Dans LES COLLINES DE L’OUBANGUI - N°265 du 14 Mars 2013
Les Collines de l’Oubangui (LCO): Professeur Gaston Mandata N'guérékata, pouvez-vous rappeler à l'opinion les raisons qui vous ont motivé pour la création de votre parti?
Gaston Mandata N’guérékata (GMN): Je voudrais avant tout faire observer une nuance. Le Conseil National pour la Renaissance Centrafricaine-Fini Bê-Afrika (CNRC-FB) est une plateforme citoyenne de réflexion et d'action politique. Ce qui veut dire, au sens où l'entendent les textes de loi réglementant les partis politiques en Centrafrique, qu'il n'est pas encore un Parti.
Ceci dit, pour répondre à votre question sur le fond, le CNRC-FB est une émanation de patriotes Centrafricains d'horizons divers et variés décidés à s'organiser afin de mettre un terme à la dégradation sans précédent de la situation du pays, marquée depuis plusieurs décennies par une injustice sociale criante, de multiples atteintes à la liberté, l’impunité de crimes répétés et graves aux droits humains fondamentaux, l'inacceptable transformation de l'Etat en un patrimoine familial, l'incurie organisée au sein de l'armée nationale (FACA) la réduisant à l'ombre d'elle-même et permettant ainsi la livraison d'un pan entier du territoire national en un vaste non man's land où sévissent des groupes armés conventionnels et non conventionnels se livrant à des pillages, des exactions et crimes de sang sur les paisibles populations rurales... bref, il s'agissait de rassembler de manière large des compatriotes ainsi que des forces sociales et politiques de l’intérieur et de la diaspora, dans une dynamique militante visant l'émergence d'un projet politique alternatif capable de sortir l'impasse, notre patrie, la République Centrafricaine.
LCO: 53 ans après son accession à l’indépendance, la RCA est au point que tout le monde connaît. Selon vous, comment faire pour l'incruster dans le train du développement et de la mondialisation?
GMN: Notre pays est dans une situation peu reluisante. Il réunit tous les ingrédients d'un Etat en déliquescence où l'extrême misère, qui touchait quelques milliers de personnes il y a 15 à 20 ans, s'étend aujourd'hui à plus d'un million de Centrafricains. Avec moins d'un dollar américain par jour pour vivre pour la majorité des citoyens, une espérance de vie à la naissance de 48 ans contre 51 ans en Afrique ; la Centrafrique vit des moments particulièrement dramatiques.
Mais, cet état désastreux et alarmant du pays ne doit pas amener nos compatriotes à baisser les bras, à tomber dans le pessimisme ou à croire à la fatalité.
Il existe des raisons objectives d'espérance et d'engagement pour renverser la tendance actuelle dans notre pays vers le meilleur. Je veux dire, nous pouvons bien nous en sortir, si les acteurs sociaux et politiques centrafricains acceptent de se mettre en adéquation avec les aspirations profondes de nos populations, particulièrement celles de nos régions rurales qui constituent 70% de la Nation. Que les acteurs sociaux et politiques Centrafricains prennent réellement conscience des immenses potentialités dont notre pays regorge. En effet, il est de notoriété publique que la Centrafrique a des atouts importants. Je citerais par exemple : la forte proportion des jeunes au sein de la population, la courbe ascendante de la natalité, les grandes superficies inexploitées des forêts vierges et des terres riches agricoles, les ressources énergétiques et minérales prouvées (pétrole, uranium, or, diamant, cuivre, cobalt, fer, etc)
De mon point de vue, le chemin du retour de la croissance économique et de l'amélioration des conditions de vie du plus grand nombre de nos compatriotes passera d'abord par l'acceptation d'une « Paix des braves » entre tous les fils du pays engagés depuis plusieurs décennies dans une lutte fratricide pour la prise et l'exercice du pouvoir politique. Une fois la Paix revenue en notre sein, il va falloir créer les conditions d'une « Union Sacrée » des grandes forces sociales et politiques visant le démantèlement des groupes armés nationaux et étrangers non-conventionnels, la restauration de la sécurité sur l'ensemble du territoire national, l'implantation et le renforcement des services publics de base. Ces conditions préalables réunies, un accent particulier doit être mis sur le développement des activités dans les secteurs agricole, forestier, minier et touristique. Il faut également assainir l’environnement des affaires, améliorer les infrastructures de base (routes, ponts, réseau d'électricité, etc…) et développer les échanges avec l’extérieur en tenant compte de la géopolitique et la géoéconomique d'un monde irrémédiablement multipolaire.
LCO: Le 11 janvier 2013, les Centrafricains se sont engagés dans la signature d'un Accord à Libreville au Gabon visant à pacifier durablement notre pays. Comment voyez-vous l'application dudit Accord deux mois après?
GMN: Les accords de Libreville ont été signés à la hâte. Les véritables protagonistes de la dernière crise militaire et politique en Centrafrique ne se sont pas donné le temps nécessaire pour débattre à fond les réels motifs à la base de la reprise des hostilités et d'esquisser les solutions idoines en vue d’une paix durable.
Qu’à cela ne tienne, ces accords ont été signés et ils sont déjà entrés en application avec la nomination du Premier ministre et la constitution de son gouvernement.
Quant à l'application de ces accords, je pense qu'il est trop tôt de porter un jugement par rapport aux résultats escomptés. Mais, à l’allure où les choses évoluent, je ne peux qu’être dubitatif. Visiblement, les parties en présence semblent s’accuser mutuellement du non-respect des clauses sur lesquelles elles se sont pourtant entendues. Je constate tout au moins que le Gouvernement éprouve des difficultés dans l’accomplissement de sa mission. Vous voyez, tout cela n’augure pas d’un avenir meilleur. Y-a-il un capitaine à bord ? Quel cap pour la RCA post-Libreville 2013 ? …
LCO: Vous résidez aux Etats-Unis et sur le terrain au pays votre parti ne se fait pas sentir. Comment al-lez-vous aborder les prochaines échéances législatives et présidentielles?
GMN: Le CNRC-FB est une organisation naissante qui entend oeuvrer, avec tous les Centrafricains d’où qu’ils se trouvent, pour une sortie durable du pays de l'impasse où il se trouve et pour jeter sérieusement les bases de la reconstruction nationale. A ce titre, la priorité a été donnée aux actions d'explication et de sensibilisation des compatriotes sur les principes et valeurs à la base du CNRC-FB ainsi que ses objectifs. Ce travail a permis aujourd'hui à beaucoup de compatriotes, particulièrement de la diaspora d'y adhérer massivement. A ce jour, le CNRC-FB est implanté en Centrafrique, en France, aux Etats-Unis, au Maroc, au Sénégal, au Bénin, au Togo, au Cameroun et en Egypte. Maintenant, le cap sera mis sur une meilleure lisibilité et visibilité de la Plateforme au niveau national. Il s'agit concrètement de la mise en place de la Direction officielle du CNRC-FB au pays ainsi que de ses structures de base sur l'ensemble du territoire national. Donc, pour reprendre votre expression dans l'autre sens : je dirais que le CNRC-FB se fera bientôt sentir au pays. Quant aux prochaines échéances électorales, je puis vous assurer que le CNRC-FB s'y prépare.
LCO: La problématique de l'exploitation des nombreuses ressources de notre sous-sol se pose avec une acuité brûlante. Si vous y avez réfléchi, comment devrions-nous nous prendre pour exploiter ces richesses sans écueils et ainsi développer notre pays?
GMN: Le régime issu du coup d'Etat du 15 mars 2003, et qui est toujours en place, n’arrête pas de faire miroiter l’exploitation de l’uranium, de l’or, du ciment, du pétrole et que sais-je encore, comme moyen pour sortir le pays de son état de délabrement. Franchement, il faut arrêter cette duperie. Je pense qu’avant d’en arriver là, il faudrait se poser la question de savoir qu’avons-nous fait des revenus issus de l’exploitation de nos trois principales ressources naturelles depuis dix années : le bois, le diamant et l'or. Lorsqu'on sait que beaucoup de pays africains, qui n’ont même pas nos ressources précitées, réussissent à répondre aux besoins élémentaires de leurs concitoyens plus que nous, la question n'est pas d'exploiter de nouvelles ressources, mais de commencer par mieux gérer et redistribuer équitablement les revenus de celles qui sont déjà en exploitation. Par exemple, le diamant seul a permis au Botswana de se hisser économiquement au rang des pays enviés sur le continent. Le problème de la Centrafrique se situe au niveau Politique où il manque cruellement de leadership capable de proposer et conduire efficacement un programme économique et social axé sur tout ce que le pays possède comme richesses du sol et du sous-sol. Je pense en premier lieu à l’agriculture qui occupe les trois quarts de notre population, à l’élevage, à la faune, à la flore et enfin au sous-sol. Avant de parler de l’exploitation de notre sous-sol, il faut penser à un certain nombre de préalables à savoir, la mise en place d’un cadre législatif et fiscal favorable aux affaires, l’instauration d’un Etat de droit, la bonne gouvernance, etc… Sinon, en l’état actuel des choses, où l'Etat se confond à un individu et sa proche parentèle, vous conviendrez avec moi, l’exploitation de quelques ressources du sous-sol que ce soit, uranium ou pétrole, ne fera que profiter à une poignée d’individus sans foi ni lois.
LCO: Professeur GMN, avez-vous une assise internationale et comment voyez-vous la représentativité de la RCA sur le plan international?
GMN: Il ne m’appartient pas de me prononcer sur ma notoriété, je laisse le soin aux autres de le faire. En ce qui concerne la représentativité de notre pays au niveau international, tous les indicateurs sont au rouge alors qu’objectivement la Centrafrique a de quoi mériter mieux que sa place actuelle au sein du concert des Nations. Notre pays est aujourd’hui classé parmi les derniers de la planète que ce soit sur le plan diplomatique, économique, social, sécuritaire, etc… Or, nous disposons des atouts non négligeables pour rehausser notre place dans le commerce international et aussi redorer notre image sur le plan politique et diplomatique, notamment dans la sous-région de l'Afrique Centrale où nous étions un pays phare pendant la lutte de décolonisation avec le projet des Etats unis de l'Afrique latine de notre leader national Barthélemy Boganda.
LCO: Avez-vous en tant qu'enseignant, un projet pour les enseignements primaire, secondaire et supérieur en RCA?
GMN: Le CNRC- FB fait de l’éducation et la santé la priorité de ses priorités car, comme vous le savez sans Education aucun pays ne peut progresser et s'épanouir. Il nous faut procéder à une réforme globale de notre système éducatif visant, entre autres, à rendre obligatoire et gratuite la scolarisation de tous les enfants jusqu’à l'âge de 15 ans, développer l'éducation populaire, améliorer la qualité de l’enseignement en rendant obligatoire l’apprentissage de notre langue nationale et officielle, le Sango, ainsi que l'usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), promouvoir la formation technique et professionnelle de nos jeunes, développer l'apprentissage de métiers d'artisans par le parrainage ou le système de compagnonnage pour nos jeunes sortis tôt du système scolaire, motiver le personnel enseignant par des salaires décents, des primes à l'excellence et les stages de remise à niveau, réhabiliter et renforcer les infrastructures scolaires et en créer partout où elles n'existent pas de telle sorte que toute l’étendue du territoire national en soit pourvue. Je pense notamment aux régions de l’Est et Nord-Est du pays longtemps délaissées.
LCO: Votre dernier mot aux Centrafricains et à l'opinion.
GMN: Les accords du 11 janvier 2013 signés à Libreville au Gabon sont censés ramener la paix au pays ; tous les signataires de ces accords doivent respecter leurs engagements et veiller à sa stricte application de manière sincère. Vu la gravité de la situation nationale et le défi à relever, nous devons faire montre d’initiative, de courage et surtout de détermination pour créer une seconde renaissance de la République Centrafricaine et redonner espoir à nos concitoyens. J’invite tous les compatriotes à soutenir le CNRC-FB dans son projet de bâtir une Nation unie, indépendante, prospère et une société juste et solidaire.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer dans votre journal dont je tiens à saluer le courage et l'abnégation dans le devoir d'informer les centrafricains et le monde sur la situation de notre pays.
J’adresse enfin à tous un message d’espoir. Nous avons touché le fond. Nous ne pouvons que rebondir, reprendre notre place dans le concert des nations. Vive la RCA !
Propos recueillis par Isaac Dangaye