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Diplomatie
Le sommet des leaders africains à Washington, un grand show au lendemain incertain
https://www.liberation.fr/ par Maria Malagardis publié le 13/12/2022 à 7h00
Huit ans après le sommet initié par le président Obama, Joe Biden invite cette semaine une cinquantaine de dirigeants du continent à Washington. Une grand-messe qui dissimule mal une stratégie globale encore confuse.
Adieu «les pays de merde», voici l’Afrique désormais qualifiée de «promesse d’avenir». Rompant avec la rhétorique méprisante de Donald Trump à l’égard du continent, Joe Biden, son successeur à la Maison Blanche, organise à partir de mardi, et jusqu’à jeudi, une grand-messe à Washington où sont conviés pas moins de quarante-neuf chefs d’Etat africains. Ce sommet, annoncé avec tambours et trompettes, est censé consacrer une nouvelle ère dans les relations entre les Etats Unis et les pays d’un continent tourmenté mais très courtisé.
L’administration américaine est consciente du retard accumulé dans cette offensive diplomatique en direction d’une «Afrique qui va déterminer non seulement l’avenir du continent mais aussi celui du monde», résumait en novembre 2021 Antony Blinken, le secrétaire d’Etat. Depuis un an, les diplomates américains n’ont cessé de rappeler, comme pour s’en convaincre eux-mêmes, l’importance acquise par le continent sur la scène mondiale : l’Afrique connaît la croissance démographique la plus forte au monde et représentera un quart de la population mondiale en 2050, avec 2,7 milliards d’habitants. Elle est appelée à devenir l’un des principaux marchés commerciaux et dispose de ressources naturelles stratégiques. Sans négliger qu’elle constitue un «bloc» qui pèse lors des votes au sein des instances internationales, comme l’a démontré la réticence de nombreux pays africains à sanctionner la Russie, en guerre contre l’Ukraine, à l’ONU.
Des résultats plutôt mitigés
L’opération séduction est donc présentée comme un enjeu majeur pour Washington qui cherche à contrer l’influence grandissante de la Chine, premier partenaire bilatéral de l’Afrique avec un montant cumulé de 254 milliards de dollars en 2021. Ou encore celle de la Russie, de plus en plus engagée en Afrique. En comparaison, les investissements directs américains «s’élevaient à 46 milliards de dollars en 2020, contre 69 milliards en 2014 sous la présidence Obama», déplorait en début d’année Whitney Schneidman, qui fut conseiller pour l’Afrique au sein du département d’Etat.
Le sommet des leaders africains qui s’ouvre ce mardi s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de celui initié par l’ex-président démocrate en 2014. «Mais il y a une grande différence, tempère Michael Rubin, chercheur au sein de l’American Enterprise Institute. Le sommet de 2014 vibrait de l’optimisme insufflé par Obama. Un président jeune, charismatique, lui-même d’origine africaine. En comparaison, Biden a du mal à articuler quoi que ce soit. Il a abandonné l’Afghanistan, ce qui peut susciter des doutes sur son engagement durable aux yeux des pays africains.»
En réalité, les résultats du sommet d’Obama furent plutôt mitigés. «Il y a eu alors beaucoup d’annonces, des promesses d’engagements s’élevant à plus de 37 milliards de dollars. Mais on peine à en trouver la trace, les effets. Car il n’y a eu aucune définition d’un cadre de coopération global, aucun mécanisme mis en place. Comme c’est le cas avec la Chine ou l’Union européenne qui disposent d’instruments de suivi dans leurs échanges avec le continent», constate Désiré Assogbavi, directeur pour l’Afrique francophone de l’ONG de lutte contre l’extrême pauvreté One, déjà présent lors de ce précédent sommet.
Attitude de défiance
Huit ans plus tard, ce deuxième sommet américano-africain ambitionne malgré tout de consacrer une rupture avec l’ère Trump. Elle a pourtant tardé à se concrétiser. C’est seulement en août, sept mois après sa nomination, qu’Antony Blinken a dévoilé la nouvelle stratégie américaine pour le continent. Une liste de principes qui, sans surprise, appellent à renforcer les liens commerciaux, à répondre à certaines urgences liées à la fragilité alimentaire des pays africains après le Covid et à faire de la démocratie le pivot d’un nouveau contrat d’alliances.
Ce New Deal africain, sans grande originalité, a été annoncé à Pretoria, capitale de l’Afrique du Sud, lors de la deuxième tournée de Blinken sur le continent en moins d’un an. Il ne semble guère avoir impressionné son homologue sud-africaine. En réponse à cette main tendue, Naledi Pandor, la ministre des Affaires étrangères d’Afrique du Sud, a multiplié les critiques et les mises en garde. Exprimant sa méfiance face à toute velléité des Etats-Unis de vouloir imposer «leur modèle démocratique». Et dénonçant également «les tentatives de pression sur les pays pour qu’ils prennent parti dans la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine». Pretoria a toujours refusé de condamner la Russie. Et Naledi Pandor a fustigé un projet de loi adopté par la Chambre des représentants récemment qui prévoit des sanctions pour contrer l’influence russe. Un «projet de loi offensant qui prévoit de punir les pays qui ne suivent pas la ligne américaine», s’est-elle ouvertement indignée.
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Cette attitude de défiance reflète une nouvelle donne. «Aujourd’hui, l’Afrique est de plus en plus décomplexée. Elle est courtisée par de multiples partenaires, là où auparavant les Occidentaux se partageaient des chasses gardées. Désormais c’est elle qui a le choix», constate Désiré Assogbavi.
Pari sur «les hommes forts»
Le primat accordé à la démocratie ne fait par ailleurs plus illusion. Certes, au sommet qui s’ouvre ce mardi à Washington, trois pays africains qui ont connu des coups d’Etat récemment, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, ne sont pas invités. De même que l’Erythrée, pays soumis à une dictature totalitaire, avec lequel les Etats-Unis n’ont plus de relations diplomatiques. Mais le Tchad a été convié, malgré la prise du pouvoir inconstitutionnelle du fils du président Idriss Déby, après le décès de ce dernier en avril 2021.
«Aujourd’hui, comme ce fut le cas pendant la guerre froide, les Etats-Unis continuent à parier sur les hommes forts comme garants de la stabilité», analysait mi-août une note du Centre pour les études stratégiques et internationales, un groupe de réflexion américain, qui déplore dans la foulée la persistance «d’une vision à court terme», y compris dans le domaine sécuritaire. Malgré la décision de Biden de renvoyer 500 forces spéciales lutter contre les shebab islamistes en Somalie, annulant ainsi la décision de retrait prise par son prédécesseur, «c’est le statu quo qui domine, avec une focalisation sur les intérêts américains et non africains», constate la même note.
Certes, les Etats-Unis disposent d’une manne financière unique, qui en fait l’un des rares bailleurs à pouvoir vite débloquer des sommes conséquentes pour des projets africains. L’administration américaine peut ainsi se targuer d’avoir, entre autres, contribué à apporter l’électricité à 88 millions de personnes à travers Power Africa, un programme initié en 2013. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi qui permet aux pays africains d’exporter sur le marché américain sans droits de douane, a également renforcé les liens commerciaux avec le continent. Mais cet accord arrive à échéance en 2025 sans qu’on sache encore s’il sera renouvelé et de quelle façon.
«Un vide total»
Lors du sommet, Joe Biden a promis des annonces. On sait déjà qu’il devrait plaider pour une intégration de l’Union africaine au sein du G20. «Son administration est également la première à ne pas se montre hostile à l’obtention d’une place pour l’Afrique au sein du Conseil de sécurité», croit savoir Désiré Assogbavi. Le sommet sera par ailleurs largement ouvert «aux diasporas», bien plus impliquées que lors du sommet initié par Obama. Ce qui suggère une attention particulière à l’égard de l’électorat afro-américain du camp démocrate.
«Reste que les Etats Unis peinent à proposer une vision cohérente et durable. En pratique, le bureau des Affaires africaines est la division géographique qui a le moins d’influence. Avec beaucoup de difficultés pour attirer l’attention du septième étage, où se trouvent le département d’Etat et son équipe. L’actuel lyrisme rhétorique [sur l’Afrique] masque mal un vide total», constate Michael Rubin. Lequel se montre plutôt pessimiste : «J’ai bien peur qu’un mois après la fin du sommet, il soit déjà complètement oublié.»
Ouverture du sommet États-Unis/Afrique en présence d'une cinquantaine de chefs d'État
https://www.rfi.fr/ Publié le 13/12/2022 - 04:45
Le sommet États-Unis-Afrique s’ouvre mardi 13 décembre à Washington, les dirigeants de 49 pays africains et de l’Union africaine étant conviés pendant trois jours dans la capitale américaine, pour parler sécurité, économie, santé ou encore changement climatique. Les États-Unis veulent réaffirmer leur intérêt pour le continent africain, après la présidence de Donald Trump.
Le président américain se livre à un exercice de rattrapage, estime une source ouest-africaine. Si chaque pays a ses propres attentes, indique cette même source, l’ensemble du continent se réjouit du retour de Washington. Pendant son mandat, le prédécesseur de Joe Biden, Donald Trump n’avait en effet jamais caché son désintérêt pour l’Afrique. Il s’agit du deuxième sommet après celui organisé par Barack Obama en 2014, rapporte notre envoyée spéciale à Washington, Magali Lagrange.
Les sujets de discussions de ces trois jours sont variés : lutte contre le terrorisme, contre le changement climatique, sécurité alimentaire, économie ou encore Agoa, du nom de l’accord visant à faciliter les exportations africaines vers les États-Unis, et qui est prolongé jusqu’en 2025.
Du côté américain, il y a une volonté de se rapprocher de l’Afrique, au moment où d’autres partenaires ont pris plus d’importance sur le continent, comme la Chine ou la Russie. Les États-Unis veulent aussi mettre l’accent sur l’importance des voix africaines sur la scène internationale.
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Un dialogue « ouvert » et « même avec ceux avec qui il y a des divergences »
Ayant invité 49 pays ainsi que l'Union africaine (UA), les États-Unis veulent un sommet « ouvert », « même avec ceux avec qui il y a des divergences », insiste la secrétaire d’État adjointe en charge de l’Afrique Molly Phee. Elle ajoute que « cela reflète l’engagement du président et du secrétaire d’État américains à mener des discussions respectueuses ».
Un forum des affaires aura également lieu avant le point culminant de la réception à la Maison Blanche jeudi 15 décembre. Pour l’administration américaine, il s’agit avant tout de se rapprocher du continent. Le changement de ton se veut complet : dialogue, priorités et intérêts partagés sont les éléments de langage qui reviennent, selon notre correspondant à Washington, Guillaume Naudin.
Un contexte géopolitique tendu
On y parlera sans doute du contexte géopolitique, même si l’administration Biden se garde bien de mettre ces préoccupations en avant. Elle s’inquiète de la présence militaire russe et de l’influence économique grandissante de la Chine sur le continent.
Les conflits et les points de tension ne manquent pas. En particulier au Sahel, où les États-Unis coopèrent militairement avec la France, notamment en fournissant du renseignement par leurs drones. Mais l’armée française a quitté le Mali, et sa présence au Burkina Faso est en question. Les États-Unis doivent donc s’adapter à un nouvel environnement.
« En août de cette année, les États-Unis ont émis une stratégie pour l’Afrique », explique Paul-Simon Handy qui dirige le bureau de l’institut d’études et de sécurité à Addis-Abeba. « Un document innovant en ce sens que pour la première fois, on voit les États-Unis se projeter, définir des intérêts stratégiques en Afrique, développant une vision qui va au-delà des intérêts de stabilité à court terme, qui ont été finalement le crédo des États-Unis, comme de plusieurs pays occidentaux, européens en particulier, en Afrique. Stabilité à court terme qui a mené notamment à la durée de certains régimes autocratiques en Afrique avec les conséquences que l’on sait aujourd’hui. Donc, ils essaient aujourd’hui de définir leur propre vision stratégique, tout en restant un allié stratégique de la France ».
Joe Biden fera aussi un discours devant les milieux économiques et les dirigeants d’entreprises. De son côté, Jon Temin vice-président des programmes politiques au centre Truman pour la politique nationale, espère qu’il y aura aussi des messages sur ces sujets. « J’espère qu’il va vraiment insister sur la démocratie, les droits humains et la bonne gouvernance autant que les questions économiques et les intérêts du secteur privé. Je crois qu’il y a un fort intérêt à avoir davantage d’entreprises américaines qui investissent en Afrique, ce qui est mutuellement intéressant et les États-Unis sont derrière dans certains domaines de ce point de vue. »
Washington annonce 55 milliards de dollars sur trois ans pour l'Afrique
Peu avant, le conseiller à la sécurité nationale du président américain Jake Sullivan a annoncé que les États-Unis « vont consacrer 55 milliards de dollars à l'Afrique sur trois ans ». Les fonds seraient consacrés à la santé et à la réponse au changement climatique, mais sans donner de détails sur leur provenance ou leur répartition.
Il a assuré que ces financements, et plus généralement l'engagement américain, ne seraient pas liés à l'attitude des pays africains face à la guerre en Ukraine, à l'heure où nombre d'entre eux refusent de condamner ouvertement la Russie.
Au sein de l’UA, une source salue la disponibilité de Washington sur ces thèmes, mais précise que la stratégie du continent consiste à diversifier ses partenaires internationaux, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Chine ou de l’Union européenne. Elle précise que les partenariats se mesurent surtout à la réalisation des projets, au-delà des effets d’annonces.
Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Soudan absents
Mais plusieurs pays du continent ne seront pas représentés à ce rendez-vous. Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Soudan n’ont pas reçu leur carton d’invitation pour le sommet de Washington. Ces quatre pays, qui ont connu des coups d’État, sont sous sanctions de l’Union africaine et les États-Unis disent s’être basés sur la ligne de l’UA. Le Tchad, en revanche, est convié puisqu’il n’est pas sous sanctions de l’organisation continentale.
Deux autres membres de l’UA ne sont pas conviés, indiquent les États-Unis. L’Érythrée – avec qui Washington précise ne pas avoir de relations diplomatiques entières – et la République arabe sahraouie démocratique. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont reconnu la « marocanité » du Sahara Occidental, une position ensuite confirmée par Joe Biden.
Le président camerounais Paul Biya à Washington après des années de relations tendues
Parmi ceux qui ont répondu présent, le président camerounais Paul Biya est arrivé samedi 10 décembre dans la soirée. À bientôt 90 ans, il participe désormais rarement à des évènements de ce type et ne s'était rendu aux États-Unis depuis une assemblée générale de l'ONU en 2017. Sa présence souligne une certaine volonté de se réconcilier avec Washington après plusieurs années de relations délicates sur fond de crise dans les régions anglophones. Au fil du conflit, débuté fin 2016, Washington a durci le ton à mesure que des accusations de violations des droits de l’Homme ont été portées contre les forces de défense et de sécurité camerounaises.
En février 2019, l'administration américaine a ainsi mis fin à plusieurs programmes d’assistance et de formation militaire, et bloqué une livraison de matériel. Puis, en novembre de la même année, le président Donald Trump a exclu le Cameroun de l'Agoa. Si sur le terrain, le conflit continue, la délégation camerounaise plaidera néanmoins pour un retour du pays dans l’accord au cours de ce sommet axé sur le commerce et les investissements.
La délégation camerounaise, composée de dix membres, cherchera aussi à obtenir davantage de soutien dans la lutte contre le financement des groupes armés séparatistes. Le Cameroun a noté une avancée sur ce sujet avec l'inculpation il y a deux semaines par la justice américaine de trois Américains d'origine camerounaise qui avaient collecté en ligne 350 000 dollars : l’argent aurait servi à acquérir des armes, des explosifs, mais aussi à préparer des enlèvements dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
La presse camerounaise a relayé la possibilité d'un tête-à-tête entre Paul Biya et Joe Biden. Toutefois, les organisateurs assurent que le président américain ne prévoit aucun aparté avec les participants au sommet.