THOMAS HOFNUNG 10 OCTOBRE 2013 À 19:22
ANALYSE
Parrainée par la France, une résolution envisageant le déploiement de Casques bleus a été adoptée ce jeudi, à New York, par le Conseil de sécurité.
A l'initiative de Paris, une course contre la montre est engagée au niveau international pour venir en aide à la Centrafrique, ce «pays néant» comme l'a récemment baptisé Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères. Alors que les massacres continuent à l'intérieur du pays et que le risque d'un conflit interconfessionnel augmente de jour en jour, la France est parvenue à mettre les Nations unies dans la boucle. Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité, ce jeudi, une résolution qui envisage le déploiement de Casques bleus pour ramener le calme dans cette ancienne colonie française. Selon ce texte, le secrétaire général, Ban Ki-moon, devra présenter un plan à ce sujet dans les 30 jours. Une seconde résolution autorisant le recours à la force, sous chapitre VII, sera alors soumise au vote. Mais a priori pas avant la fin novembre, voire début décembre.
Dans un premier temps, les Nations unies vont soutenir la force panafricaine déjà présente sur place, la Misca (Mission internationale de soutien en Centrafrique), laquelle est impuissante à enrayer les exactions commises hors de Bangui. Actuellement composée de 1600 hommes, celle-ci est censée atteindre dans les prochaines semaines le seuil des 3600 soldats avec une augmentation des contingents venus du Tchad, du Congo-Brazzaville, du Cameroun et du Gabon, les principaux pays contributeurs.
Il y a urgence. «C'est l'anarchie la plus totale sur place, il n'y a plus d'Etat, plus de chaîne de commandement», relève-t-on à Paris. «Les violences sont multiples, ajoute une source diplomatique, et s'il n'y a pas de plan d'islamisation d'un pays très majoritairement chrétien, le risque d'un conflit religieux prend corps. Dans certaines zones, les groupes liés au mouvement Séléka (qui a pris le pouvoir en mars dernier, ndlr) ont détruit les églises, abattu les porcs et interdisent de boire de l'alcool.» Des comités d'autodéfense se sont constitués dans les villages, qui n'hésitent plus à se lancer dans des expéditions punitives contre les musulmans, considérés collectivement comme des soutiens au mouvement Séléka.
GROUPES ISLAMISTES
En sollicitant l'ONU, Paris veut faire coup triple : éviter d'avoir à intervenir en solo dans une ancienne colonie africaine (comme au Mali), circonscrire et si possible guérir ce foyer de déstabilisation situé dans une région hautement instable et, enfin, partager le fardeau financier du soutien logistique à la force panafricaine, en mal de moyens et de financements. A l'heure actuelle, la France dispose de 450 hommes regroupés sur l'aéroport de Bangui. Ces soldats effectuent des patrouilles dans la capitale, où la situation s'est quelque peu stabilisée ces dernières semaines, notamment pour assurer la sécurité des quelque 500 ressortissants (binationaux compris).
«Nous sommes dans une logique de prévention», explique un haut responsable français. La Centrafrique, note-t-il, est «à la confluence de trois zones de conflit majeures: l'Afrique des Grands lacs, le Soudan-Somalie et le Sahel.» Paris s'inquiète de la présence au sein de la nébuleuse Séléka de rebelles et demi-soldes venus du Soudan, du Tchad, mais aussi d'une éventuelle implantation de groupes islamistes chassés du Mali ou du Nigéria. «La Centrafrique n'est pas devenue un foyer terroriste, mais elle pourrait le devenir si on ne fait rien», dit-il. Un message qui, croit-on à Paris, ne devrait pas laisser insensibles les Américains.
Si tout se déroule comme prévu, la France augmentera ses effectifs en Centrafrique pour soutenir la future opération de maintien de la paix de l'ONU et l'appuyer, comme au Mali aujourd'hui, en tant que force de réaction rapide dotée d'hélicoptères et de moyens de renseignement autonomes. «Nous ne voulons pas intervenir en première ligne, dans cette affaire nous jouons seulement un rôle de catalyseur», plaide un diplomate.
La France veut éviter à tout prix un scénario "à la Serval": au Mali, elle a mobilisé la communauté internationale et soutenu durant des mois le déploiement d'une force panafricaine, avant de devoir intervenir seule en urgence pour stopper l'offensive des groupes jihadistes. "Au Mali, nous faisions face à un ennemi bien armé et déterminé. En Centrafrique, il s'agit surtout de mettre un terme à l'anarchie, c'est un dossier à la portée de la communauté internationale", veut croire un responsable à Paris.
Mais que se passerait-il, demain, si un massacre à grande échelle était commis? La France et ses soldats ne seraient-ils pas sous forte pression pour agir? "On n'en est pas là. La Centrafrique, ce n'est pas le Rwanda", assure une source diplomatique. Qui ajoute dans le même souffle: «Dans les instances internationales, quand on parle de la Centrafrique, nos partenaires se tournent systématiquement vers nous pour nous demander ce qu’il faut faire...»
Thomas HOFNUNG