Lu pour vous
Du 13 au 15 décembre, près de cinquante dirigeants africains participeront, à Washington, à la deuxième édition de cet événement. Un test pour Joe Biden, et l’occasion, pour beaucoup, de faire avancer certains dossiers jugés stratégiques.
Huit ans que cela n’était pas arrivé. Après une première édition organisée, en août 2014, sous la présidence de Barack Obama, les chefs d’État africains ont une nouvelle fois convergé vers la capitale américaine pour le U.S.-Africa Leaders Summit qui s’ouvre, ce 13 décembre, au Walter E. Washington Convention Center.
Sur la cinquantaine de dirigeants qui avaient été conviés, la plupart ont répondu présent pour cet événement qui se déroulera sur trois jours.
L’Érythrée, avec qui les États-Unis n’ont plus de relations diplomatiques, a été ignorée par les organisateurs. Ceux-ci ont par ailleurs veillé à s’aligner sur les critères de l’UA : les pays ayant connu récemment un putsch militaire et qui ont été suspendus des instances de l’organisation continentale n’ont pas été invités. Il s’agit du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso et du Soudan.
Ce sommet revêt des allures de test pour Washington. « Joe Biden veut se démarquer de Donald Trump, marquer une rupture avec le désintérêt total de son prédécesseur à l’égard du continent », analyse Christopher Fomunyoh, du National Democratic Institute, un think tank américain.
Sur la base militaire d’Andrews (Maryland), le 11 décembre 2022, arrivée de la délégation éthiopienne qui participe au sommet États-Unis – Afrique.
Biden ne s’est jusque-là investi qu’à la marge sur les dossiers africains. Il ne s’est pas non plus rendu en Afrique – à l’exception d’un déplacement à la COP27 qui se déroulait en Egypte -, mais certains espèrent qu’il annoncera une tournée à l’occasion de ce sommet. Antony Blinken, le patron du département d’État, en a néanmoins déjà entrepris deux, dont la dernière, en août dernier, l’a mené au Rwanda, en RDC et en Afrique du Sud. « Nous n’organisons pas ce genre de sommet avec d’autres régions du monde. Cela montre l’importance que le président Biden accorde à la coopération avec l’Afrique », justifie un diplomate américain familier du continent. Le président américain devrait aussi pousser pour l’intégration de l’Union africaine au G20.
«Business first!»
Reste que, pendant ces trois jours, Joe Biden jouera un rôle d’équilibriste, tiraillé entre la volonté de se rapprocher économiquement d’un continent sur lequel les États-Unis n’ont cessé de perdre du terrain et le refus d’afficher une trop grande proximité avec des régimes qui, pour certains, sont critiqués pour leurs violations des droits de l’homme.
Le programme du sommet a été préparé par Dana Banks, la conseillère spéciale du président, avec le pari, assumé, de se tenir éloigné de thèmes trop politiques et sécuritaires, et de privilégier une approche « business first », alliant opportunités économiques et promotion de la bonne gouvernance. La première journée sera ainsi principalement axée sur la société civile, dans le cadre d’un grand forum consacré à cette question.
Le président américain espère surtout que ce sommet contribuera à améliorer la capacité des milieux d’affaires américains à développer des partenariats commerciaux avec le continent. Ces derniers devront s’accompagner de progrès en matière de gouvernance, une étape indispensable pour rassurer des investisseurs encore frileux.
La deuxième partie de l’événement sera intégralement consacrée aux U.S.-Africa Business Forum, au cours duquel plusieurs accords commerciaux devaient être signés, notamment en relation avec la Zone africaine de libre-échange (Zlecaf).
Entretiens bilatéraux!?
L’autre question que se pose l’entourage du président Biden porte sur l’organisation de rencontres bilatérales avec ses hôtes. « Le problème d’un grand sommet comme celui-ci est qu’il est difficile de ne choisir que quelques participants au risque de froisser les autres », souligne le diplomate précité. Pour le moment, aucun tête-à-tête n’a été programmé, même si plusieurs chefs d’État espèrent échanger avec leur hôte en aparté. Biden offrira toutefois un grand dîner à la Maison-Blanche, le 14 décembre, et sera pris en photo avec chacun des participants.
« On a l’impression que l’administration Biden s’efforce de ne pas aborder les sujets qui fâchent. Il y a la volonté de calquer sa position sur celle de l’UA, d’essayer de plaire et de parler à tout le monde, d’être le plus inclusif possible. Et, en même temps, d’insister sur les questions de gouvernance et de démocratie », estime Christopher Fomunyoh.
Une grande partie de la diplomatie parallèle devrait être déléguée à Antony Blinken. D’autres responsables, comme Bob Menendez, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, ont également sollicité des entretiens avec certains chefs d’État africains.
Contrer la Chine et la Russie
Avec ce sommet, le président américain compte poser les premiers jalons de sa Stratégie américaine en Afrique subsaharienne. Présenté le 8 août dernier par le département d’État, ce document de 16 pages énumère de grands axes prioritaires (échanges commerciaux, lutte contre le réchauffement climatique, démocratie…). Avec, notamment, l’objectif de travailler avec l’UA « pour répondre au mécontentement des populations à l’égard des contre-performances de certaines démocraties, qui fournissent un prétexte aux aspirants putschistes ».
Cette stratégie, censée se développer au cours de la prochaine décennie, se veut très claire sur la question de la concurrence avec la Chine et la Russie. « La Chine considère l’Afrique comme une véritable arène, où elle peut défier l’ordre international […] et affaiblir les relations entre les États-Unis et les gouvernements africains », peut-on lire dans le dossier du département d’État. Qui ajoute : « La Russie considère la région comme un environnement permissif pour ses entreprises para-étatiques et ses sociétés militaires privées ».
La Chine demeure le premier partenaire commercial du continent ; le commerce bilatéral entre l’Afrique et les États-Unis n’a au contraire cessé de chuter ces dernières années, représentant « seulement » 64,3 milliards de dollars en 2021. De son côté, Moscou réalise une percée, à travers ses entreprises et par le biais de la société paramilitaire Wagner, présente dans de nombreux pays.
L’activisme diplomatique russe s’est intensifié depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. En mars dernier, dix-sept pays africains se sont abstenus de demander le retrait des troupes russes d’Ukraine lors d’un vote au Conseil de sécurité. En juillet suivant, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, s’est rendu en Égypte, au Congo, en Ouganda et en Éthiopie.
Pas question pour autant, assure-t-on à Washington, d’imposer un quelconque choix aux États du continent. Lors de sa visite en Afrique du Sud, en août dernier – organisée quelques jours seulement après la tournée de Sergueï Lavrov –, Blinken avait affirmé que « les États-Unis ne dicter[aient] pas leurs choix aux Africains [et que] personne au monde ne devrait le faire ».
Il avait pourtant eu un échange animé avec son homologue sud-africaine, Naledi Pandor, qui, avait dénoncé le dépôt, en avril précédent, à la Chambre des représentants, d’un projet de loi portant sur « la lutte contre les activités malfaisantes de la Russie en Afrique ». « Si votre tactique consiste à dire aux pays africains d’être démocratiques et d’utiliser votre modèle parce qu’il fonctionne, vous risquez de ne pas être entendus », avait alors lancé Mme Pandor. Une phrase qui sonne comme un avertissement à l’égard de la stratégie que Biden entend défendre.
Diplomatie parallèle
Outre la myriade de tables rondes et de conférences auxquelles les délégations ont été conviées durant le sommet, les participants, eux, viendront défendre en coulisses d’autres dossiers diplomatiques qu’ils souhaitent voir avancer.
C’est notamment le cas du Zimbabwe, représenté par Frederick Shava, son ministre des Affaires étrangères. Sous le coup de sanctions depuis près de vingt ans, Harare réclame la levée de mesures qui asphyxient sa fragile économie. Le Zimbabwe, où doit se tenir une élection présidentielle l’an prochain, peut compter sur le soutien de ses alliés de la SADC, au premier rang desquels l’Afrique du Sud, un point d’ancrage pour Washington pour sa nouvelle Stratégie. LIRE
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Kigali et Kinshasa chercheront, à n’en pas douter, à défendre leur position respective sur le dossier du M23, qui les oppose depuis des mois et qui, selon nos informations, pourrait faire l’objet d’un sommet parallèle à Washington.
Le Kényan William Ruto sera quant à lui l’objet de toutes les attentions à l’occasion de son deuxième déplacement officiel aux États-Unis après sa participation, en septembre, à l’Assemblée générale de l’ONU. Une rencontre avec des investisseurs a ainsi été programmée, le 16 décembre, à l’issue du sommet. Ruto viendra aussi défendre un autre dossier : celui de la présidence tournante de l’UA pour l’année 2023, que le Kenya dispute aux Comores.
La gestion du problème des énergies non renouvelables sera aussi l’une des préoccupations de plusieurs participants africains, notamment des producteurs d’énergies fossiles. Lors de la pré-COP27, à Kinshasa, en septembre, l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, John Kerry, avait ainsi demandé à la RDC, de retirer certains blocs pétroliers de leur mise aux enchères, afin de protéger ses forêts. Un sujet sur lequel Kinshasa refuse de transiger.
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