RFI jeudi 14 novembre 2013 à 11:52
Par Nicolas Champeaux
Après une période d'accalmie, Bangui est à nouveau théâtre d'épisodes meurtriers quasi-quotidiens depuis dimanche. Tous impliquent les ex-rebelles de la coalition Seleka qui a renversé le président François Bozizé en mars 2013. Mercredi 13 novembre, à Bangui, des ex-rebelles ont ouvert le feu sur une foule qui protestait contre l'enlèvement d'un soldat faisant un mort parmi les civils. Josué Binoua est ministre de la Sécurité, de l'immigration-émigration et de l'ordre public au sein du gouvernement de transition. Il est l'invité de Nicolas Champeaux.
RFI : Etes-vous inquiet de la reprise d’incidents liés à des membres de la Seleka à Bangui ?
Josué Binoua : Oui, parce qu'après une période d’accalmie nous assistons ces derniers jours à une multiplicité d’incidents. Et nous venons de sortir d’une réunion de sécurité où le président de la République a réaffirmé trois principes. Le premier, c'est que tout ce qui relève des opérations de maintien de l’ordre est du domaine exclusif de la gendarmerie et de la police, c’est-à-dire du ministère de la Sécurité.
Les forces de police et de gendarmerie justement ont eu à en découdre avec des membres de la Seleka, c’est bien cela ?
Avant-hier [mardi 12 novembre, ndlr], lors d’une opération de rétablissement de l’ordre, dans le troisième arrondissement, il y a eu des coups de feu qui ont été tirés de part et d’autre. Un policier a été blessé.
C’était le premier accrochage ou il y en a eu d’autres ?
Il y a eu une série d’accrochages, mais c’est allé plus loin, puisqu’il y a eu blessure d’homme, ce qui est inacceptable. Les forces de défense s’occupent de la défense opérationnelle, sauf réquisitions. Donc, tant que les militaires ne sont pas réquisitionnés, ils doivent être casernés et nous avons six casernes dans la ville de Bangui. Ce principe a été encore réaffirmé aujourd’hui : tous les militaires doivent rester en caserne avec leurs armes et ils ne peuvent pas se promener avec les armes dans la capitale. Le principe de la complémentarité, de la délimitation des responsabilités, a été réaffirmé aujourd’hui [mercredi 12 novembre, ndlr] par le président de la République et nous le rendons public.
Les principes ne suffisent pas. La Seleka avait déjà été dissoute, mais ses membres ont conservé une capacité de nuisance. Comment les mettre vraiment hors d'état de nuire ?
Pour les mettre hors d'état de nuire, il faudrait, un, les cantonner, les caserner et entreprendre le principe Désarmement-démobilisation-réinsertion.
Les ex-rebelles qui se comportent en brigands, qui organisent des braquages, qui pillent, qui ponctionnent une partie des récoltes, agissent-ils selon vous de façon isolée ou croyez-vous qu’ils agissent de façon cordonnée et que le butin est centralisé ?
Il nous faut aujourd’hui retenir toutes les hypothèses et les services de renseignements doivent nous aider à répondre à ces questions. S’agit-il d’une organisation qui se distribue le butin comme des dividendes? Nous aimerions bien connaître cela pour les traduire en justice.
Pour le moment, vous ne savez pas s’ils agissent sur ordre ? Vous n’en avez aucune idée ?
Il faut retenir toutes les hypothèses et éliminer, après enquête celles, qui ne tiennent pas.
Il y a les membres de l’ex-Seleka qui sont dans la nature. Il y a aussi visiblement des membres de la Seleka qui font du tord au sein d’institutions de la transition, comme au Comité extraordinaire pour la défense des acquis démocratiques, le Cedad. Selon la Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, ils pourraient être responsables d’arrestations arbitraires et de détentions arbitraires dans un centre caché au sein même du bâtiment de la Cedad. Partagez-vous les préoccupations de Navi Pillay ?
Le ministre de la Justice vient de nous en parler et en ce qui nous concerne, il est vraiment hors de question qu’en dehors des centres de détention officiels, il y ait d’autres centres de détention.
Vous en confirmez l’existence ?
S’ils sont cachés, ils ne peuvent pas être avérés. Maintenant, lorsqu’il y a des centres cachés et que nous les détectons, nous essayons de les combattre et de les poursuivre.
Il y a donc un certain ménage à faire au niveau de ce Comité extraordinaire, qui se comporte un petit peu comme une police parallèle. C’est ce que semble suggérer la haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU...
C’est une également question d’école. Parce qu'il y a ceux qui pensent que de tels centres ne doivent pas s’occuper du maintien de l’ordre - y compris arrêter et détenir les gens -, et d’autres qui pensent que ces centres-là peuvent également faire le travail de police. C’est de bonne guerre, ces divergences de point de vue. En ce qui nous concerne, le chef de l’Etat l’a réaffirmé : tout ce qui touche le maintien de l’ordre relève bel et bien de la sécurité publique.
Donc, ce comité n’est pas habilité à procéder à des arrestations ?
Ils sont habilités à faire ce qui relève de leur responsabilité, qui exclut tout ce qui est arrestation, tout ce qui est détention, tout ce qui relève du travail de la police et de la gendarmerie.
Vous allez faire passer le message aux membres de ce comité ?
Ils assistent à toutes les réunions et nous débattons, nous échangeons en toute fraternité.
Ils étaient présents à la réunion de ce mercredi ?
Tout le monde était présent, personne n’est exclu.
Le chef de l’Etat leur a transmis le message de façon claire ?
Le chef de l’Etat a été très clair, il a répété les responsabilités pour que nous dénichions les braqueurs, pour que nous dénichions ceux qui font des enlèvements, pour que nous dénichions tous ceux qui vivent en dehors de la loi.
Centrafrique: des communautés «au bord du gouffre»
RFI jeudi 14 novembre 2013 à 09:19
En République centrafricaine, des dizaines de milliers de villageois qui ont fui les attaques et exécutions sommaires perpétrées tant par des groupes armés que par des forces de la Seleka dans le nord-ouest du pays, « n'ont toujours pas regagné leurs habitations ». C'est le constat que dresse Monseigneur Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, qui rentre d'une tournée dans la région.
L’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, s'est notamment rendu à Bossangoa, une ville secouée en septembre par des affrontements entre éléments armés « anti-balaka » (anti-machette) et membres de la Seleka et toute une série d'exactions.
A Bossangoa, « depuis le 11 septembre, il y a deux communautés : la communauté musulmane qui se trouve dans l’école Liberté, la communauté chrétienne se trouve à l’évêché. Et ce climat de peur règne encore dans le cœur et sur le visage des uns des autres », témoigne l’archevêque de Bangui au micro de RFI.
La peur de toutes parts
Il a vu des familles vivant dans une grande promiscuité. Elles cuisinent, mangent, dorment, se lavent et font leurs besoins au même endroit. « Vous avez plus de 40 000 personnes dans un petit périmètre, où la situation sanitaire est décadente », décrit-il. Avouant son « indignation », il en appelle « aux autorités pour que l’on puisse décider d’en finir avec cette situation en mettant des gendarmes, des policiers qui pourront faire des patrouilles ».
Selon lui, les gens souhaitent rentrer chez eux, mais « ils ont peur ». Une peur partagée, de toutes parts. « J’ai senti la peur sur le visage de certains, parce qu’ils savent qu’au quartier, ils pourraient être arrêtés et tués. J’ai senti la peur, aussi, du côté des Seleka parce qu’ils pensent qu’il y a des anti-balaka parmi ces gens-là qui pourraient aussi leur régler leur compte. J’ai senti la peur du côté des musulmans, qui pensent que les chrétiens hébergent aussi des anti-balaka. De part et d’autre, ce climat de peur. Il va falloir en sortir par le dialogue », insiste-t-il.
Instrumentalisation politique
Pour Mgr Dieudonné Nzapalainga, cette méfiance mutuelle est entretenue par certains, et le pays doit tout faire pour éviter de tomber dans le piège d'une confrontation intercommunautaire.
« Certains essaient d’exploiter, pour ne pas dire instrumentaliser ou bien encore récupérer les situations. Mais nous, nous disons, en tant que responsables religieux : cette question est une question politique », martèle l’archevêque. « On ne peut pas confondre, en disant ce sont des chrétiens qui s’attaquent à des musulmans ou les musulmans qui attaquent les chrétiens. C’est faux », insiste-t-il. « Musulmans, chrétiens, nous avons toujours été ensemble. Aujourd’hui, nous sommes quelque part au bord du gouffre », conclut-il.