http://www.la-croix.com/ 5/1/14 - 18 H 24
Un mois après le début de l’intervention française, la sécurité n’est pas rétablie en Centrafrique. Cette crise évoque plus une guerre civile qu’une guerre de religion.
OÙ EN EST LA MISSION FRANÇAISE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ?
Officiellement, la France a engagé 1 600 soldats en République centrafricaine (RCA). En réalité, on compte au moins 2 000 soldats (entre 20 % et 25 % sont des forces spéciales). De passage à Bangui, jeudi dernier, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian rappelait la mission : « Toutes les armes doivent disparaître pour que le processus politique puisse enfin retrouver une forme de sérénité. » Les Français patrouillent quotidiennement dans la capitale centrafricaine, escortent des convois, interviennent en cas d’accrochage. Le Quai d’Orsay espère organiser, comme au Mali, une élection présidentielle en 2014 afin de doter la Centrafrique d’un président et d’un gouvernement démocratiquement élus.
L’OPÉRATION EST-ELLE EFFICACE ?
En termes de désarmement, les procédures imposées par le haut commandement limitent considérablement l’action de l’armée française : les soldats ne sont pas autorisés à fouiller, par exemple, les maisons suspectes ou à désarmer les miliciens regroupés dans les cantonnements. Ainsi, beaucoup d’armes circulent, du couteau à la grenade en passant par les fusils mitrailleurs. Pour tous les militaires français interrogés, la situation est « volatile ». Dans ce climat, l’obsession du commandement français est d’éviter de « mettre le feu aux poudres », comme le disait le général Francisco Soriano, chef de l’opération Sangaris, la veille de Noël.
Depuis le début de l’opération, Bangui alterne des périodes violentes – attaques, règlements de comptes, lynchages – et des temps plus calmes. Peu d’informations circulent sur l’état du pays : « On évoque de nombreux “Oradour-sur-Glane” », a lancé un militaire français. Comme la sécurité n’est pas rétablie à Bangui, les Français ne peuvent pas se déployer en dehors de la capitale. Seul un détachement d’une centaine de Français se trouve à Bossangoa. Dans un pays aussi grand que la France et la Belgique réunies, les effectifs de l’armée française apparaissent très limités.
QUI SONT LES BELLIGÉRANTS ?
Le conflit oppose d’une part la Séléka, de l’autre, les anti-balaka (« anti-machette » en langue sango). La Séléka est composée de mouvements rebelles issus du nord-est du pays, une zone à majorité musulmane et marginalisée par Bangui. Depuis le début de sa rébellion, en décembre 2012, la Séléka pille, brûle et tue sur son passage, visant en premier lieu les chrétiens (environ 80 % de la population). Après avoir renversé François Bozizé à Bangui en mars 2013 et mis l’un des siens au pouvoir, Michel Djotodia, elle a poursuivi ses exactions dans la capitale centrafricaine jusqu’à l’intervention française, le 5 décembre. Dans cette coalition, on trouve des groupes habitués à ce genre de razzias contre les civils, comme les djandjawids du Darfour (Soudan) et les Zagawas du Tchad (l’ethnie guerrière du président Idriss Déby). Si la Séléka est majoritairement composée de musulmans, elle compte aussi dans ses rangs des rebelles chrétiens (environ 10 %).
Les anti-balaka sont au départ une constellation de milices villageoises apparues en septembre en réaction aux exactions de la Séléka. Elles sont issues en partie des Cocora et des Coac, deux milices formées et armées par François Bozizé en janvier 2013 pour lutter contre les avancées de la Séléka. Parmi les anti-balaka, on compte aussi des éléments des Forces armées centrafricaines (Faca, l’armée restée fidèle au président renversé François Bozizé). Les anti-balaka sont issus des populations du sud de la RCA. Pour l’immense majorité, ils sont chrétiens, principalement évangéliques (les catholiques représentent environ 25 % de la population).
EST-CE UNE GUERRE DE RELIGION ?
Cette crise évoque plutôt une guerre civile, aux dimensions multiples. Un premier clivage, historique, oppose les peuples marchands et nomades (communautés du nord, musulmanes), aux peuples agricoles (communautés du sud, chrétiennes). Historiquement, c’est du nord que partaient les colonnes venues razzier et rafler les esclaves dans le sud de la RCA.
À cela s’ajoute un arrière-plan politique. Depuis l’indépendance de la RCA, le pouvoir à Bangui a toujours été exercé par des politiciens « sudistes ». Jamais par des nordistes. La Séléka entendait renverser cette constante en installant un président issu du nord-est. Troisième facteur de violence, les coupeurs de routes, jeunes désœuvrés, petits voyous recrutés par les deux camps et qui en profitent pour piller, voler ou tuer.
Dans ce contexte explosif, la question religieuse participe à la cristallisation des oppositions, d’autant que des éléments l’ont permise. Ainsi, parmi les Séléka, on compte aussi des fondamentalistes musulmans (ils proviendraient du Darfour et du Nigeria). Et de son côté, François Bozizé a joué avec la rhétorique confessionnelle pour justifier son combat contre la Séléka. Il s’est converti à l’Église du christianisme céleste lors de son exil au Bénin dans les années 1980, et il est le fondateur de l’Église du christianisme céleste-Nouvelle Jérusalem en Centrafrique.
Pour autant, personne ne réclame la conversion de l’autre camp. Les responsables des trois grandes religions (protestants, catholiques et musulmans) unissent leurs voix pour apaiser les tensions et condamner les violences. Sur le terrain, on compte aussi de nombreuses initiatives qui s’opposent à cette dérive interreligieuse.
QUELS SONT LES RÔLES RESPECTIFS DE LA FORCE AFRICAINE ET DES PAYS VOISINS ?
Les pays limitrophes de la Centrafrique sont instables : Soudan, République démocratique du Congo, Tchad (voir la carte). Le rôle du président tchadien dans la crise centrafricaine semble capital. « Il a toujours considéré la RCA comme une colonie tchadienne », explique un ancien ambassadeur français en Afrique. Les Tchadiens ont porté au pouvoir François Bozizé en 2003. Ils l’ont lâché en 2012 avant de soutenir Michel Djotodia.
On compte des Tchadiens aussi bien dans la Séléka que dans la force africaine déployée en RCA (850 hommes sur 4 700). Cette force, devenue le 19 décembre la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), agit sous la responsabilité de l’Union africaine. Ses effectifs proviennent de sept pays qui ont envoyé, ou sont sur le point de le faire, 850 hommes chacun : le Burundi, le Tchad, la Guinée équatoriale, le Cameroun, le Congo, le Gabon et bientôt le Rwanda. Si, sur le terrain, les Français se félicitent de la présence de cette force, elle manque parfois de cohérence, comme l’ont montré les incidents entre les Tchadiens et les Burundais, le 23 décembre.
QUELLE EST LA PROPORTION DE POPULATION DÉPLACÉE ?
L’ONU estime aujourd’hui à environ un million (sur 4,5 millions d’habitants) le nombre de Centrafricains ayant trouvé refuge dans la brousse, les camps de déplacés ou les camps de réfugiés aux frontières. À Bangui, l’Unicef a recensé 55 sites de déplacés, où vivent dans des conditions sanitaires désastreuses 370 000 personnes, soit près de la moitié des habitants de la capitale. Le nombre de déplacés ne cesse d’augmenter. Ils étaient environ 19 000 il y a un mois et seraient aujourd’hui 100 000, rien qu’autour de l’aéroport de Bangui. La sécurité n’étant pas rétablie, l’aide humanitaire parvient difficilement aux personnes hors de Bangui. Les convois sont attaqués, ce qui est arrivé, la semaine dernière, à un convoi du PAM sur la route de Bossangoa.
Paris en quête d’un plan B
THOMAS HOFNUNG Libération 6 JANVIER 2014 À 20:56
Le président Djotodia serait sur le départ. La France veut impliquer l’ONU.
Un mois après le lancement de l’opération Sangaris en Centrafrique, les affrontements demeurent quotidiens à Bangui, où le nombre de déplacés continue d’augmenter. Alors que le sort du président de transition, Michel Djotodia, paraît scellé, la communauté internationale cherche la parade. Retour sur les trois nœuds de la crise.
Sangaris, une mission dénaturée dès son lancement
Le plan initial conçu à Paris tablait sur une pacification rapide de Bangui, via le désarmement de la nébuleuse politico-militaire de la Séléka, au pouvoir depuis mars. Mais il a été totalement court-circuité par l’offensive surprise des milices anti-balaka, le 5 décembre ...
Centrafrique : la France pas enlisée mais isolée
http://www.sudouest.fr 06/01/2014 à 09h34 par Bruno Dive
Jean-Yves Le Drian a eu raison de proclamer en fin de semaine dernière à Bangui que la France n'était pas enlisée en Centrafrique. Il a bien fait de rappeler que certains commentateurs annonçaient aussi l'enlisement des troupes françaises au bout d'un mois de guerre au Mali. À ceci près que les deux interventions n'ont rien à voir. Dans un cas, une guerre de mouvement assez classique, face à un ennemi clairement identifié. Dans l'autre, un rôle d'interposition entre deux factions. Dans un cas, les militaires français font la guerre ; dans l'autre, ils font la police, ce qui n'est pas leur métier. Et la tâche de l'armée française est paradoxalement plus complexe dans les rues de Bangui que dans le désert malien.
Si le ministre de la Défense s'agace, c'est parce que cette intervention est de moins en moins bien comprise par l'opinion publique. D'à peine majoritaire il y a un mois, l'approbation par les Français est devenue minoritaire, comme l'a montré hier notre sondage, publié dans « Sud Ouest Dimanche ». À la lassitude face à la multiplication des opérations de l'armée française en Afrique s'ajoute un manque de clarté quant aux objectifs : autant le refus d'un État islamiste au Mali allait de soi, autant l'arbitrage entre factions centrafricaines suscite le scepticisme. Or, cette intervention est appelée à durer.
Les Français approuvent d'autant moins l'opération centrafricaine que la France se retrouve plus seule que jamais pour la mener. Nos partenaires européens n'ont consenti - du bout des lèvres - qu'un soutien a minima lors du dernier sommet de Bruxelles : pas de troupes, pas de financement commun, juste un peu de matériel, pour la forme. Et les Casques bleus de l'ONU, dont ce devrait être la mission, ne sont pas près de prendre le relais : l'Union africaine la juge « prématurée », alors qu'elle n'est pas capable elle-même de mettre au point sa propre force. Quant aux alliés, tchadiens ou congolais, ils font plus de mal que de bien car soupçonnés d'être juges et parties par les diverses factions. Il faut pourtant redire que l'intervention de l'armée française en Centrafrique était nécessaire et légitime, car elle seule avait la capacité d'agir vite et d'empêcher un nouveau Rwanda. Mais face à une situation qui se dégrade, elle ne peut pas rester isolée plus longtemps, sauf à admettre l'idée que la France s'est fourrée dans un guêpier.
Les pays africains évacuent leurs ressortissants de Centrafrique
par Paul-Marin Ngoupana
BANGUI05/01/14 11:16 (Reuters) - Les pays africains ont commencé à évacuer leurs ressortissants de République centrafricaine dans un contexte de violences inter-confessionnelles et de détérioration de la situation humanitaire.
Malgré le déploiement des 1.600 militaires français de l'opération Sangaris et de près de 4.000 soldats de la paix africains, les affrontements entre musulmans partisans des ex-rebelles de la Séléka et milices chrétiennes "anti-balaka" ont fait plus de 1.000 morts depuis décembre.
Les Nations unies estiment à 935.000 le nombre de déplacés.
Les organisations humanitaires ont du mal à fournir soins et nourriture aux plus de 100.000 personnes qui sont regroupées dans le principal camp de réfugiés, à l'aéroport de Bangui.
Le gouvernement malien a affrété deux vols pour évacuer environ 500 de ses ressortissants dimanche. Vendredi dans la nuit, 150 Nigériens sont arrivés à Niamey.
"Je ne peux pas dire s'il y a eu des agressions contre des Maliens, mais la plupart des pays ont désormais décidé par précaution de faire rentrer leurs ressortissants", a déclaré le porte-parole du gouvernement malien, Mahamane Baby.
Le Tchad a rapatrié environ 12.000 personnes ces derniers jours par terre ou par air. Ce total apparaît plus élevé que celui des autres pays parce que les Tchadiens sont visés par les chrétiens qui accusent les forces tchadiennes de soutenir les ex-rebelles de la Séléka, bien que le Tchad ait démenti.
Le Sénégal a quant à lui rapatrié plus de 200 personnes cette semaine.
RETOURNER AU TRAVAIL
En France, le soutien de l'opinion à l'intervention militaire en République centrafricaine s'effrite, selon un sondage Ifop pour Sud-Ouest Dimanche diffusé samedi. Seules 41% des personnes interrogées s'y déclarent favorables, contre 51% au début de l'intervention, il y a un mois.
Samedi matin, des coups de feu en provenance d'un quartier nord de la capitale ont été entendus par un journaliste de Reuters à Bangui, dans un secteur qui avait déjà été touché par des obus cette semaine. On ne sait pas s'il y a eu des victimes.
Dans un message radio-diffusé qui résonne étrangement compte tenu du quotidien vécu à Bangui, le gouvernement provisoire a appelé samedi les Centrafricains à retourner au travail.
"Le pays est tombé et l'économie nationale est au fond de l'abysse. C'est pourquoi les fonctionnaires doivent retourner au travail dès le 6 janvier pour donner une impulsion au pays", a déclaré le ministre des Travaux publics, Gaston Makouzangba, dans un message diffusé plusieurs fois sur les ondes de la radio publique.
Le coût de la nourriture a fortement augmenté à Bangui. Un journaliste de Reuters a pu constater que le prix du riz avait doublé pour atteindre 1.000 francs CFA le kilo (1,50 euro) en un peu plus d'un mois.
Avec Abdoulaye Massalatchi au Niger,; Tiemoko Diallo à Bamako et Diadie Ba à Dakar; Danielle Rouquié pour le service français