par Tom Miles et Paul-Marin Ngoupana
GENEVE/BANGUI (Reuters) - De nouvelles violences se sont produites dans la nuit de mercredi à jeudi à Bangui, en Centrafrique, où l'Onu a appelé la communauté internationale à intervenir plus massivement pour éviter un génocide.
Les forces françaises et africaines sont confrontées à une situation "presque impossible" à maîtriser, a déclaré de son côté le représentant français aux Nations unies, Gérard Araud.
Plus d'un mois après le début de l'opération française Sangaris aux côtés des forces africaines de la Misca, la situation reste volatile, au risque de fragiliser la reprise des discussions sur l'élection d'un nouveau président de transition après la démission la semaine dernière de Michel Djotodia.
Huit personnes ont été tuées mercredi à Bangui et les tensions persistaient jeudi. Des habitants en colère ont tenté de mettre le feu à un convoi de musulmans tchadiens fuyant le pays, avant d'être dispersés par les forces de la Misca qui ont procédé à des tirs de sommation.
Le général Francisco Soriano, commandant de la Force Sangaris, qui s'exprimait à Paris depuis Bangui par visioconférence, a indiqué ne pas avoir connaissance de l'incident mortel survenu durant la nuit.
"La situation dans la capitale et en Centrafrique est éminemment complexe, elle est très volatile", a-t-il indiqué. Mais "sur le plan sécuritaire les progrès sont là. La situation s'améliore, elle s'améliore lentement mais elle s'améliore."
"Les derniers incidents remontent à samedi dernier au moment de l'annonce du départ du chef de l'Etat. En ces périodes de vide politique, des incertitudes accentuent (...) les craintes."
HAINE
Sous la pression de la communauté internationale, Michel Djotodia, arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'Etat en mars 2013 mené par la Séléka, une rébellion à majorité musulmane, a été contraint au départ la semaine dernière.
Le président par intérim, Alexandre-Ferdinand Nguendet, a annoncé depuis un renforcement des mesures de sécurité pour tenter de mettre un terme aux affrontements qui se poursuivent entre ex-Séléka et miliciens chrétiens malgré la présence de 1.600 militaires français et quelque 4.400 soldats africains.
Les premiers éléments d'un contingent rwandais sont arrivés jeudi à Bangui et devraient d'abord rester dans la capitale.
"En Centrafrique, je pense que nous avons peut-être sous-estimé la haine et le ressentiment entre communautés", a déclaré mercredi l'ambassadeur français aux Nations unies. Gérard Araud, lors d'une conférence sur les moyens d'empêcher les génocides organisée à l'occasion du 20e anniversaire du drame rwandais.
"Il s'agit d'une situation presque impossible pour les soldats africains et français. Nous devons réfléchir dans des termes très pratiques à la façon d'être efficace pour empêcher les gens de s'entre-tuer quand ils veulent désespérément le faire, envisageant le recours à des psychologues.
MISSION EUROPÉENNE
De retour de Centrafrique, le chef du bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'Onu, John Ging, a lui aussi mis en garde contre un risque de génocide et appelé la communauté internationale à apporter une aide financière massive pour répondre aux besoins humanitaires criants du pays.
"Il y a là tous les éléments que nous avons constatés ailleurs, comme au Rwanda et en Bosnie. Les éléments sont en place là-bas pour un génocide (...)", a-t-il dit.
Pour John Ging, la crise était prévisible, évitable, et elle est le fruit de la négligence de la communauté internationale.
Il a cependant estimé qu'il était faux de parler de violences intercommunautaires, même si une minorité extrêmement violente cherche à élargir le conflit.
Le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon doit remettre le mois prochain au Conseil de sécurité ses recommandations en vue du déploiement de casques bleus qui pourraient prendre le relais des troupes africaines.
Lundi prochain, ce sont les ministres européens des Affaires étrangères qui décideront de l'éventuel lancement d'une mission militaire européenne pour soutenir les interventions française et africaine en Centrafrique.
"Aujourd'hui, nous avons un détachement estonien qui effectue une reconnaissance pour pouvoir voir dans quelles mesures ils sont capables de nous apporter un appui", a dit le général Francisco Soriano.
Avec Marine Pennetier et Eric Faye à Paris, édité par Yves Clarisse
L’ONU craint un génocide en Centrafrique
Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait un génocide en Centrafrique, a averti jeudi le chef des opérations humanitaires de l’ONU, John Ging, appelant à une large mobilisation humanitaire et militaire et une stabilisation politique.
“Il y a tous les éléments que nous avons vus dans des endroits comme le Rwanda, la Bosnie, les éléments sont là pour un génocide. Cela ne fait pas de doute”, a déclaré M. Ging lors d’une conférence de presse à Genève, après avoir passé cinq jours en Centrafrique. “Des atrocités sont commises de façon continue”, a-t-il expliqué, soulignant que “les communautés ont peur. Les gens ont peur des autres communautés”.
“Ce n’est pas un conflit interreligieux pour l’instant mais cela pourrait le devenir. Nous devons créer les conditions pour que la peur disparaisse”, a-t-il poursuivi. “Les conséquences vont être dramatiques si nous n’agissons pas immédiatement”, a-t-il ajouté, dénonçant l’”effondrement” complet du pays. M. Ging a exhorté la communauté internationale à apporter une aide financière majeure pour fournir une assistance humanitaire en Centrafrique.
Sur les 247 millions de dollars demandés en décembre, l’ONU n’en a reçu que 6%, soit 15,5 millions de dollars, a-t-il déploré. Sur le plan militaire, le responsable onusien a souligné que “les troupes mobilisés ont fait du bon travail” mais il a appelé les pays à “élargir” cette action.
Des forces française et africaine interviennent en Centrafrique pour tenter de rétablir l’ordre et une mission européenne doit les rejoindre. Le pays a été plongé dans le chaos par un coup d’Etat en mars dernier et des affrontements opposent régulièrement des membres des communautés musulmane et chrétienne.
L'ONU craint un génocide en Centrafrique, toujours sous tension
Elisa Perrigueur | Publié le 16.01.2014, 11h53 | Mise à jour : 17h40
La tension ne chute pas à Bangui. Malgré la présence militaire française, les exactions rythment le quotidien de la capitale centrafricaine. Sept personnes, dont un jeune homme d'une quinzaine d'années, ont trouvé la mort dans la nuit de mercredi à jeudi dans un quartier situé au nord.
Quatre d'entre elles ont été tuées à l'arme blanche et trois autres par balles.
Des habitants ont accusé les militaires français de l'opération Sangaris d'être à l'origine des décès par armes à feu, au cours d'un contrôle qui aurait mal tourné. Une information néanmoins démentie ce jeudi par l'armée. «Hier(mercredi, ndlr) en fin d'après-midi nous avons été pris à partie par des éléments armés non identifiés, a détaillé une source militaire française sur place. Nous avons riposté mais il n'y a aucune confirmation de bilan. Les trois morts n'ont rien à voir avec l'accrochage».
La crainte d'un génocide «comme au Rwanda ou en Bosnie»
Le week-end dernier, plus 130 cadavres ont été retrouvés dans l'ensemble du pays. La violence entre Séléka et Anti-Balaka se répand toujours comme une traînée de poudre. Certains témoignages effarants évoquent même des scènes de cannibalisme dans la capitale. L'Organisation des Nations-Unies a fait part ce jeudi de son inquiétude. «Il y a tous les éléments que nous avons vus dans des endroits comme le Rwanda, la Bosnie, les éléments sont là pour un génocide. Cela ne fait pas de doute», a estimé ce jeudi John Ging, chef des opérations humanitaires de l'ONU. Le général Francisco Soriano, commandant de l'opération Sangaris, a tenu ce matin à relativiser le danger, soulignant la «baisse réelle de la tension dans la capitale» depuis le 2 janvier.
L'Europe se décide sur l'envoi de troupes
Les renforts restent encore limités, mais ils sont là. Après la Pologne, qui a envoyé un avion militaire transportant 50 soldats en Centrafrique, c'est l'Estonie qui se mettra bientôt en route pour Bangui. Le pays balte va mettre à disposition près de 55 militaires, a déclaré ce jeudi Peeter Kuimet, porte-parole du ministère de la Défense estonien. Cette unité devrait arriver en Centrafrique fin février et pourrait y rester jusqu'à quatre mois.
Les représentants des pays de l'Union européenne avaient par ailleurs donné vendredi dernier leur accord de principe au lancement d'une mission militaire européenne pour soutenir les interventions française et africaine en Centrafrique. L'objectif serait de déployer de 300 à 500 hommes sous les couleurs de l'UE dans un délai d'un maximum de dix semaines, afin notamment de sécuriser l'aéroport de Bangui. Les discussions sur la planification de cette opération sont en cours. Les ministres des Affaires étrangères trancheront le 20 janvier, lors d'une réunion, à Bruxelles. Ces effectifs s'ajouteront aux 1 600 hommes de la force Sangaris ainsi qu'aux 4 400 militaires de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique), qui sera portée à 6 000 hommes fin février.
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