Publiée le 18 juillet 2013, date anniversaire de l’auteur de ces lignes, la Charte constitutionnelle de transition en Centrafrique a donné lieu aussi bien à de nombreuses analyses[1] qu’à des interprétations[2] qui, malheureusement n’ont pas fait l’objet de publication dans des revues scientifiques. Pourtant riches en enseignement, la plupart de ces études n’alimentent que les colonnes de la presse écrite. C’est le cas de la présente mise au point sur les interprétations fallacieuses de certaines dispositions de la charte constitutionnelle.
Par interprétation, certains éminents juristes[3] entendent l’opération qui consiste à expliquer ou à dégager le sens exact et le contenu de la règle de droit applicable dans une situation donnée. Ainsi définie, l’interprétation peut être authentique, doctrinale ou scientifique. L’interprétation est dite authentique lorsqu’elle résulte de la décision des autorités investies du pouvoir d’appliquer le texte. Par exemple, l’article 76-tiret 9 de la charte constitutionnelle de la République Centrafricaine (RCA) charge la Cour Constitutionnelle de Transition d’ « interpréter la Charte constitutionnelle de Transition. A l’inverse, l’interprétation est dite doctrinale ou scientifique lorsqu’elle émane des commentateurs. A propos de commentateur, le Dictionnaire Robert donne la définition suivante : « Celui qui est l’auteur d’un commentaire littéraire, historique, juridique. » Quant au Dictionnaire Larousse Compact, il définit le commentateur comme une « Personne qui commente une œuvre, un texte » ou « qui fait le commentaire d’un événement, d’une information ». Ainsi en va-t-il d’un commentateur de l’actualité politique[4] centrafricaine qui, en qualité de Conseillère juridique du media La Nouvelle Centrafrique (LNC), s’est livré à une interprétation de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle dans sa livraison parue la semaine dernière sous le titre : « LA DECLARATION DE GUERRE FAITE PAR IDRISS DEBY A LA RCA ».
Bien qu’elle ait le mérite d’attirer globalement l’attention des acteurs politiques sur la nécessité de respecter les dispositions de ladite charte, il n’en demeure pas moins que l’interprétation des dispositions visées par notre charmante Conseillère juridique comporte des développements erronés. Bien entendu, nous ne nous attarderons guère sur l’utilisation inappropriée de bon nombre d’expressions juridiques, telles « contrainte par corps »[5], « ex situ »[6] ou « NOUS NE FAISONS LA QUE DIRE LE DROIT »[7] en lieu et place des juridictions. Délaissant ces observations de pures formes, nous nous attacherons à démontrer les limites de l’exercice auquel s’est livré la spécialiste des questions juridiques du media LNC et ce, à partir de deux questions fondamentales.
Primo, en invitant les membres du Conseil National de Transition (CNT) de la RCA à prendre part au sommet extraordinaire de la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC), tenu à N’Djamena du 9 au 10 janvier 2014, le président en exercice de cette institution a-t-il effectivement porté atteinte aux dispositions de l’article 20 (et non de « l’article 2 du chapitre Titre I » tel qu’il figure dans le texte de notre charmante Conseillère juridique) de la Charte constitutionnelle centrafricaine? Secundo, au regard de la charte constitutionnelle du 18 juillet 2013, le Président du CNT, devenu Chef de l’Etat intérimaire ainsi que les autres membres de parlement transitoire ne pouvaient-ils pas valablement faire acte de candidature en vue de briguer le poste de Chef de l’Etat de transition ?
C’est essentiellement sur ces deux questions que la présente mise au point se focalisera. Car, en parcourant l’article de la Conseillère juridique du media LNC, nous avons eu l’impression, en tant que Vice Doyen de Faculté de Sciences Juridiques et Politiques, d’avoir affaire à une juriste non seulement frappée d’une amnésie passagère (I), mais dont l’interprétation de l’article 106 (et non 107) de la charte constitutionnelle laisse à désirer (II).
UNE JURISTE FRAPPEE D’UNE AMNESIE PASSAGERE
Pour permettre aux lecteurs non-initiés de bien comprendre le degré d’amnésie passagère en question, il convient reproduire ici le dernier alinéa de l’article 20 de la Charte constitutionnelle de transition, d’où notre charmante Conseillère juridique a tiré le titre de son analyse. Traitant en effet de la souveraineté nationale, le dernier alinéa dudit article dispose que : « L'usurpation de la souveraineté par coup d'Etat ou par tout moyen constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes sera considéré comme ayant déclaré la guerre au peuple centrafricain. » Affirmer qu’Idriss DEBY aurait violé les dispositions de cet article, c’est oublier d’une part le bien-fondé de l’ « invitation » des membres du CNT à N’Djamena (A) et, d’autre part, le double statut du président tchadien (B). Si l’un de ces oublis est excusable, l’autre, en revanche, ne l’est point.
L’oubli excusable du bien-fondé de l’ « invitation » des Membres du CNT à N’Djamena
Au passage, et ceci pour uniquement éclairer la lanterne de la Rédactrice en chef[8] du même media, il convient de préciser que les Membres du CNT n’ont nullement été « convoqués » à N’Djamena, mais invités ou, pour reprendre un terme précis mentionné à l’article 9 alinéa 1 du Protocole relatif au Conseil de paix de sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX), « sollicités » en vue d’apporter leur contribution à la prise des décisions au cours de la session extraordinaire de la CEEAC des 9 et 10 janvier 2014. Pour s’en convaincre, il suffit non seulement de se remémorer les propos tenus la veille de cette session par Secrétaire Général de ladite institution, mais aussi de rapporter ici un passage du Communiqué final du 6ème Sommet extraordinaire de la CEEAC.
En effet, répondant aux questions que lui posaient les journalistes de l’Agence France Presse (AFP) la veille de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, le Secrétaire général s’est exprimé en termes ne prêtant à aucune confusion. Ce dernier a effectivement martelé ou précisé que le Sommet extraordinaire « a été convoqué » à cause de la détérioration de la situation sécuritaire en Centrafrique. A partir de cette déclaration, on voit qu’il s’agit bel et bien d’un sommet qui a été convoquée et non les membres du CNT. A la fin des travaux dudit sommet, le Secrétaire général prendra soin d’écrire dans un premier temps, « Sur invitation de son excellence, …, une session extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEEAC, s’est tenue à N’Djamena… » et, ensuite « La Conférence invite le Conseil National de la Transition ainsi que les autres composantes de la société centrafricaine à poursuivre leur délibération à Bangui sous les auspices de la Médiation de la CEEAC élargie à l'Union Africaine et aux partenaires internationaux en vue de la résolution sans délai de la crise centrafricaine au niveau politique dans le respect de la Charte Nationale de la Transition. »
Comme chacun a pu le constater, à aucun moment, le Secrétaire général de la CEEAC n’a fait allusion à une quelconque convocation ou « contrainte par corps » des membres du Conseil National de Transition à N’Djamena! Au-delà de ces préoccupations d’ordre sémantique, il importe de rappeler à la Conseillère juridique du media LNC que la session extraordinaire de N’Djamena avait pour but de de traiter de la crise en République Centrafrique et de l’avenir de la transition dans cet Etat membre de la Communauté. Manifestement, le bien-fondé de l’invitation des Membres du CNT à N’Djamena était donc de rechercher les voies et moyens pour le rétablissement d’une paix durable en Centrafrique. Que les membres du CNT soient « convoqués » à N’Djamena, au Burundi, au Bujumbura, à Malabo voire à Bangui intra-muros dans l’impérieuse obligation de ramener la paix en Centrafrique, est-il nécessaire d’exciper de la souveraineté ou du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »? Ne dit-on pas que « la paix n’a pas de prix » ?
Dans l’une de ses excellentes contributions, le Professeur Hervé Ascencio de l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) se demandait même si le droit à la paix n’était pas « justiciable »[9]. Une telle réflexion serait de nature à inciter le Conseiller juridique de la future locataire du Palais de la Renaissance[10] en Centrafrique à assigner son homologue du media LNC devant la Commission africaine des droits de l’homme et des Peuples non seulement pour violation de l’article 23 de la Charte des droits de l’homme et des Peuples, mais aussi pour non reconnaissance du président Idriss DEBY comme « Acteurs de paix »[11]. La Conseillère juridique du media LNC pourrait ainsi, par analogie, être poursuivie pour « révisionnisme ou négationnisme »[12]. Car, si le président tchadien se laissait influencer par son article, il pourrait prendre la décision de ne plus s’impliquer en faveur d’un apaisement des tensions en République Centrafrique conformément aux dispositions des articles 8[13] et 9 du Protocole relatif au Conseil de paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX).
Par ailleurs, étant donné que « la paix constitue un facteur décisif dans la réalisation des objectifs de la CEEAC »[14], la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement devait-elle privilégier la souveraineté nationale du peuple centrafricain devant les violations massives des droits l’homme et le risque de génocide auquel était exposé la République Centrafricaine ? Répondant immédiatement à cette question par la négative, force est de souligner qu’au nom de la « responsabilité de protéger »[15], la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement se devait, conformément aux dispositions de l’article 9 alinéa 2 b) du traité de la CEEAC de prendre « toutes mesures en vue d’atteindre les objectifs de la Communauté ». De façon spécifique, l’article 8b vi) du Protocole relatif au COPAX, l’invite à prendre « toutes les initiatives conformes » à ses missions. Quant à l’article 9 du même Protocole, il indique clairement que « La Conférence juge de l’opportunité de décider et de conduire toute initiative contribuant à la consolidation ou au rétablissement de la paix et de la sécurité à l’intérieur de la Communauté ou à ses frontières. A ce titre, elle peut décider de la constitution de comité ad hoc, solliciter l’apport de personnalités indépendantes et définir le mandat confié à ceux-ci à cette occasion. »
A partir du moment où les articles évoqués précédemment ne dressent aucune liste de ce qu’ils entendent par « toutes mesures » ou « toutes les initiatives », le fait d’inviter les membres du CNT à N’Djamena pour qu’ils se prononcent sur la démission de ceux qui n’ont « pu rien faire » ou ont même « laissé faire » rentre bel et bien dans la catégorie des « mesures » ou « initiatives » à prendre. Par conséquent, il ne peut et ne doit être interprété comme une violation de l’article 20 de la Charte constitutionnelle. Comme les Professeur Eric Canal-Forgues et Patrick Rambaud le font clairement remarquer, « Lorsqu’un Etat faillit manifestement à son devoir interne de protection, parce que ses autorités ne veulent pas ou ne sont pas en mesure de porter secours aux populations civiles en situation de détresse extrême, la responsabilité « subsidiaire » de la communauté internationale peut être activée. »
L’invitation des membres du CNT à N’Djamena ou leur « sollicitation » s’inscrit incontestablement dans la logique du principe de la responsabilité de protéger. La Conférence des Chefs d’Etat et du Gouvernement de la CEEAC devait-elle resté indifférente face aux atrocités dont nombre de Centrafricains étaient victimes sous les yeux mêmes du Chef de l’Etat de transition et de son Premier ministre démissionnaires? Dès lors que l’article 9 alinéa 1 du Protocole COPAX spécifie que la Conférence peut « …, solliciter l’apport de personnalités indépendantes et définir le mandat confié à ceux-ci à cette occasion », ne peut-on pas considérer les Membres du CNT comme des « personnalités indépendantes » auxquelles cet article fait allusion ? D’où vient que les chroniqueurs du media LNC s’en prennent abrutissement à Monsieur Charles-Armel DOUBANE en lui reprochant tantôt de ne pas « dénoncer » ou « contester »[16] la soi-disant déclaration de guerre d’Idriss DEBY à la RCA, tantôt de se « vitrifier dans la médiocrité et la lâcheté politique »[17] ?
En tant que Vice Doyen nous venons très respectueusement par la présente mise au point porter à la connaissance de la Rédactrice en chef et du Conseiller juridique du media LNC qu’ayant assumé pendant plusieurs années le cours de « Droit des organisations internationales » à l’ex- Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l’Université de Bangui et représenté jusqu’à une période récente la RCA auprès des Nations Unies M. Charles-Armel DOUBANE est très bien placé pour comprendre non seulement le bien-fondé de l’invitation des membres du CNT à N’Djamena, mais aussi le dédoublement fonctionnel du président tchadien. Il a même salué, pour paraphraser le Professeur Danièle Darlan, « Le Droit international public au service du processus de paix »[18] en Centrafrique dans un communiqué de presse que LNC a pris le soin de publier dans ses colonnes au lendemain du sommet extraordinaire de N’Djamena. Par conséquent, l’ancien Ambassadeur de la RCA auprès des Nations Unies n’a point besoin de « petites gens » ni de petits chroniqueurs pour l’inciter à faire des dénonciations : on ne dénonce pas pour le plaisir de dénoncer.
L’urgence « des urgences »[19] de la session extraordinaire de N’Djamena consistait à conjurer le mal du territoire centrafricain ou, pour reprendre l’heureuse expression de l’un de nos Professeurs de Science politique à la Faculté de Droit, des Sciences Politiques, Economiques et de Gestion de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, de chasser le diable du confessionnal. En d’autres termes, l’urgence du sommet extraordinaire de N’Djamena était de « Faire la paix »[20]. Si le fait que le CNT ait siégé en dehors de la RCA apparaît aux yeux de la spécialiste des questions juridiques du journal LNC comme « Inouïe » ou « Du jamais vu », la procédure utilisée se révèle, à notre avis, plus démocratique que ne le fût la décision unilatérale des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO lors du sommet extraordinaire tenu à Abidjan le 26 avril 2012. Chacun se souviendra que la CEDEAO avait motu proprio décidé non seulement du délai de transition au Mali, mais aussi de la prorogation du mandat du président par intérim[21]. Entre la décision de la CEDEAO d’avril 2012 et celle de la CEEAC de janvier 2014 laquelle est plus respectueuse ou usurpatrice de la souveraineté du peuple ?
A partir du moment où la Conseillère juridique du media LNC ne fait allusion qu’au discipline du droit interne, telle le « droit commercial », on peut aisément comprendre qu’elle est plus interniste qu’internationaliste. Par conséquent, le Vice Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Bangui sera quelque peu indulgent à son égard. Car, comme l’écrivaient les Professeurs Henri Mazeau et Denis Mazeau « le droit et l’économie sont des sciences trop vastes pour qu’un cerveau humain si prodigieux soit-il, puisse les assimiler dans leur ensemble »[22]. Au demeurant, le Vice Doyen se voit obliger d’accorder à la Conseillère juridique du media LNC le bénéfice d’une excuse pour non maîtrise non seulement du droit international public en général, mais aussi des « nouveaux principes juridico-politiques »[23] permettant en particulier de contourner la souveraineté nationale en vue d’assurer la protection des droits de l’homme[24]. En revanche, la mansuétude ou la magnanimité du Vice Doyen pourraient-elles s’étendre à l’oubli du double statut du président tchadien ?
L’oubli impardonnable du double statut du président tchadien
Dans le Communiqué final du 10 janvier 2014, le double statut du président tchadien a été pourtant clairement mis en évidence par le Secrétaire général de la CEEAC. A deux reprises, ce diplomate a pris soin de mentionner ce « dédoublement fonctionnel » jadis théorisé par Georges Scelle en écrivant : « Son Excellence Monsieur Idriss DEBY ITNO, Président de la République du Tchad, Président en exercice de la CEEAC ». La question qui se pose est de savoir si la décision de faire déplacer les membres du CNT à N’Djamena est une décision collégiale ou une décision unilatérale du président tchadien. Les travaux de la Conférence extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernant s’étant déroulé à « huis clos », nous ne savons comment la Conseillère juridique du media LNC a pu s’infiltrer dans la salle de ces travaux pour affirmer mordicus dans son article que le président tchadien avait unilatéralement décidé de faire déplacer les membres du CNT à N’Djamena. A moins qu’elle ait le don d’ubiquité ou se soit transformée subitement en une sorte de nouveau « paraclet » pour porter à la connaissance du public des informations qui ne figurent nulle part dans le Communiqué final du Secrétaire général de la CEEAC. Faisant partie du commun des mortels, elle ne possède à nos yeux ainsi qu’à ceux de ses collaborateurs aucune de ces qualités. Dénuées donc de tout fondement, ses affirmations concernant la décision unilatérale du président Idriss DEBY ne constituent à notre avis que des « rêveries de promeneur solitaire ».
En se fondant sur la jurisprudence dégagée par l’arrêt Stoll c. Suisse rendu le 10 décembre 2007 par la Cour européenne des droits de l’homme, pourquoi le Conseiller juridique du président tchadien n’assignerait-il pas la Conseillère juridique du media LNC devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour diffamation ou divulgation de fausses informations ? Comme le rapporte Madame Sandrine TURGIS[25], Maître de Conférence à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, l’affaire Stoll c. Suisse avait pour origine la condamnation du requérant pour publication « de débats officiels secret » à la suite de la publication d’articles traitant d’opinions exprimées par l’ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis dans un rapport confidentiel. Identifiant des carences dans les publications incriminées, la Cour a considéré qu’il aurait été loisible de joindre aux articles le texte intégral du rapport en cause, voire de mettre ce texte à disposition des lecteurs sur le site internet du journal afin de permettre à ces derniers de prendre la connaissance exacte de la teneur de ce document. En l’absence de reproduction du rapport, la Cour a estimé que la forme tronquée et réductrices des articles, laquelle était de nature à induire en erreur les lecteurs au sujet de la personnalité et des aptitudes de l’ambassadeur, a considérablement réduit l’importance de leur contribution au débat public protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et conclut à l’absence de violation de cet article 10. Les médias traditionnels ont donc tout intérêt à utiliser les nombreuses opportunités offertes par internet pour compléter et étayer les informations qu’ils diffusent.
Cependant, à supposer que notre Conseillère juridique ait raison, une autre question qui n’est pas des moindre est de savoir si son excellence Monsieur Idriss DEBY ITNO, a agi en qualité de président tchadien ou de président en exercice de la CEEAC. La réponse ne fait aucun doute : jusqu’à preuve de contraire, le président tchadien reste le président en exercice de la CEEAC. Même si sa décision unilatérale a été prise en violation de l’article 20 alinéa 5 de la Charte constitutionnelle de Centrafrique, il n’en demeure pas moins que la finalité de sa décision a été approuvée par le peuple centrafricain. En témoignent les scènes de liesse observées sur toute l’étendue du territoire à la suite de l’annonce de la démission du Chef de l’Etat de transition et de son Premier ministre sur les ondes nationales et internationales. Même si comparaison n’est pas raison, cette stratégie du président en exercice de la CEEAC nous semble analogue à celle du général de Gaulle. On se souviendra en effet qu’en 1962 et 1969 le général de Gaulle avait usé d’une procédure différente de celle de l’article 89 pour réviser la Constitution française de 1958. Dans le premier cas qui fut un succès, le Président souhaitait que l’élection du Chef de l’Etat ne soit plus réalisée par un collège électoral restreint, mais au suffrage universel direct. Dans le second cas, qui fut un échec, la réforme avait deux objets : transformer le Sénat en assemblée consultative représentant les intérêts socio-économiques et donner une organisation régionalisée à la France.
Dans les deux cas, le général de Gaulle était confronté à l’opposition résolue du Sénat. Le recours à la procédure normale de révision apparaissant dès lors improbable, il décida de contourner l’obstacle parlementaire en utilisant l’article 11 de la Constitution. Celui-ci permet au Chef de l’Etat d’organiser un référendum sur la base d’une simple proposition du Premier ministre. La question qui se posait alors était de savoir si le recours à l’article 11 pour réviser la Constitution était conforme ou pas à la Constitution. Comme le fait excellemment remarquer Madame Séverine NICOT[26], Maître de Conférences à l’Université Pierre-Mendès-France (Grenoble II), ce détournement de l’article 11 avait provoqué l’une des batailles politiques les plus animées de l’histoire de la Vè République française.
En particulier, la thèse de l’inconstitutionnalité, presque unanimement soutenue par les formations politiques, a donné lieu à l’accusation de « forfaiture » que le président du Sénat, Gaston Monnerville, porta contre le général de Gaulle au prétexte que l’utilisation détournée de l’article 11 constitue une « violation délibérée, voulue, réfléchie, outrageante de la Constitution ». Quant à François Mitterrand, alors qu’il n’était, encore, que député, il s’était fortement opposé à cette utilisation de l’article 11 et n’avait pas hésité à qualifier cette attitude de « coup d’Etat permanent » Il est difficile de développer ici tous les aspects de ce débat. Pour étayer nos propos analogique, nous nous limiterons aux arguments avancés par Doyen Georges Vedel.
En effet, le Doyen Vedel justifia la constitutionnalité du recours à l’article 11 en invoquant l’apparition d’une coutume. Il estima que le succès du référendum de 1962 avait effacé l’inconstitutionnalité de la démarche du général de Gaulle : l’approbation populaire aurait eu pour effet d’ériger l’article 11 en un nouveau procédé de révision de la Constitution. Par analogie, l’exaltation du peuple centrafricain suite à la démission assistée du chef d’Etat de transition et son Premier ministre est une approbation populaire de la démarche du président Idriss DEBY. On a même écouté et vu sur les médias audiovisuels une partie de la population banguissoise, encore campée sur les sites de fortune aux abords de l’Aéroport Bangui M’POKO, scander la phrase : « Merci au Président de la CEEAC ! ». Au regard de ce qui précède, comment imaginer une population remerciant en un temps record le Président de la République d’un Etat voisin qui, la veille, lui aurait déclaré la guerre ? Ces observations prouvent à suffisance que le titre choisi par notre célèbre Conseillère juridique ne correspond nullement à la réalité.
A l’issue de la première partie de notre mise au point, nous estimons avoir suffisamment mis à la disposition de nombreux lecteurs du media LNC des éléments pouvant leur permettre de comprendre le titre choisi pour cette première partie. Mais au-delà de l’amnésie passagère à laquelle nous avons consacré un long développement, l’interprétation que la Conseillère juridique du media LNC donne de l’article 106 de la charte constitutionnelle laisse à désirer.
II.- UNE INTERPRETATION DE L’ARTICLE 106 DE LA CHARTE CONSTITUTIONNELLE LAISSANT A DESIRER
Faisant partie des dispositions transitoires, cet article s’énonce de la manière suivante : « Le Chef de l’Etat de la Transition, le Premier Ministre de Transition, les membres du Gouvernement de Transition et les membres du Bureau du Conseil National de Transition sont inéligibles aux élections présidentielles et législatives organisées à l’issue la transition ». Ainsi libellé, cet article exclut-il le Président et les membres du CNT de candidater au poste de Chef de l’Etat de transition ? Au regard de la Charte constitutionnelle, la réponse à cette question est non (A). Aucune disposition de cette charte ne les y empêche. C’est à l’occasion de l’élaboration des critères d’éligibilité du nouveau chef de l’Etat de transition que les Conseillers Nationaux se sont eux-mêmes auto-excluent de la compétition (B).
La non-exclusion des membres du CNT à l’élection du Chef de l’Etat de transition
La plus grosse bourde ayant conduit notre Conseillère juridique à une interprétation erronée de l’article 106 de la Charte constitutionnelle provient du fait qu’elle a travaillé sur la base du texte de la charte téléchargé sur Internet. Certes, tous les meilleurs auteurs[27] s’accordent à dire qu’Internet constitue une véritable révolution en matière de transmission d’information. Comme l’explique une juriste et, de surcroît, Rédactrice en chef de la revue Médias[28], « le réseau offre en effet un accès plus facile et bien plus rapide à une grande somme d’informations que les moyens traditionnels de communication. Pourtant, Internet n’étant soumis à aucun contrôle, on y trouve des informations sérieuses, mais aussi d’autres qui sont farfelues, fausses et dangereuses. »
Au regard de ce qui précède, il y a franchement lieu de se demander si notre charmante Conseillère juridique n’a pas oublié le sage conseil prodigué par le Professeur Marie-Anne COHENDET, conseil selon lequel il faudra, en matière d’internet, « veiller à utiliser des sites sérieux »[29]. En effet, le texte de la charte constitutionnelle de transition publié sur Internet non seulement ne revêt pas la signature du Chef de l’Etat de transition, et donc non authentique, mais encore la rédaction de certaines dispositions ne correspond pas à celle publiée au journal officiel de la République Centrafricaine. Ainsi, alors que dans le texte publié au journal officiel, l’article 106 se termine par l’expression « à l’issue de la transition », la version Internet publiée en « pdf » sur un site douteux se termine par « durant la transition ». Internet ne véhiculant pas toujours des informations authentiques, on comprend pourquoi le Conseiller juridique de LNC s’est fourvoyé dans l’interprétation de l’article 106 de notre charte constitutionnelle. En effet, la locution prépositive « à l’issue de » et la préposition « durant » n’ont pas une signification équivalente. Alors que l’une comporte une dimension téléologique, l’autre marque, selon un agrégé de grammaire « une valeur d’insistance »[30]. Placées dans un texte juridique, il va de soi qu’elles peuvent donner lieu à des interprétations divergentes, voire erronées.
Contrairement donc aux allégations péremptoires de la Conseillère juridique du media LNC, allégations selon lesquelles « les membres du CNT ne peuvent prétendre à la présidence, même de transition », Monsieur Alexandre NGUENDET n’était pas juridiquement exclu de la course au poste de Chef de l’Etat de transition. Personnellement, après les alternances chaotiques observées depuis 1981, le retour à la tête du pays d’un jeune de moins de 45 ans et pourquoi pas d’une jeune femme permettrait mutatis mutandis tantôt de nous départir d’une classe politique dont la plupart est née avant les indépendances, tantôt de faire une application du concept genre. Etant donné que « chaque génération a son expérience à faire pour pousser l’humanité de l’avant »[31], pourquoi ne pas accorder la chance à un ou une jeune centrafricain de conduire la période de transition ? Les jeunes n’en sont pas incapables ! L’exemple de Madagascar est encore d’une brulante actualité où un jeune a bel et bien fait ses preuves de 2009 à 2014.
Installé en effet au pouvoir à la tête de la Haute Autorité de Transition à l’âge de 34 ans et ce, depuis 2009, le jeune Andry Nirina Rajoelina, ancien maire destitué d’Antananarive et « ex-disc-jockey »[32], a pu conduire la transition jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République. Tout le problème de la candidature d’Alexandre NGUENDET découle de son soutien indéfectible à l’alliance SELEKA. N’eut été cette proximité ou mieux encore, cette coloration « sélékiste », il aurait été un candidat de « la nouvelle génération montante » à laquelle un journaliste de la radio France internationale (RFI) faisait allusion. Qu’à cela ne tienne ! Compte tenu du « contexte assez sensible »[33], pour reprendre les propos même de M. Martin ZEGUELE, président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), l’intéressé a fait montre de sagesse en annonçant officiellement qu’il ne déposera pas sa candidature pour l’élection du nouveau Chef de l’Etat de transition. C’est donc à dessein et surtout par acquit de conscience que nous publions ces lignes a posteriori. Si nous nous étions empressés de le faire à la manière de la Conseillère juridique de LNC, certains esprits tordus auraient interprété notre analyse comme une façon de cautionner la candidature du Chef de l’Etat intérimaire sans pour autant chercher à en tirer la substantifique moelle.
Bref, pour en revenir à l’interprétation de notre fameux article 106, force est de relever que nonobstant les expressions divergentes évoquées ci-dessus, les dispositions de l’article 106 ne visent que les « élections présidentielles et législatives ». Sauf erreur d’interprétation de notre part, l’élection en cause ne concerne que le « Chef de l’Etat de transition ». Et donc, à proprement parler, il ne s’agit pas d’une élection présidentielle. A cet égard, plusieurs dispositions de la Charte constitutionnelle publiée le jour de notre anniversaire militent en faveur de notre interprétation. Pour s’en tenir à l’essentiel, on peut citer les articles 104 et 76 (tiret 9).
Aux termes de l’article 104, il est en effet fait mention d’une interdiction capitale que nombre d’acteurs politiques, voire les Centrafricains tout court ne respectent pas en pratique, à savoir : « Le Chef de l’Etat de la Transition ne porte le titre de Président de la République ». La Conseillère juridique du media LNC n’a-t-elle lu ou vu cette disposition ? Si elle a pu interpréter certaines dispositions de la charte constitutionnelle, on suppose qu’elle n’est pas illettrée. En revanche, dans l’hypothèse où elle souffrirait d’une quelconque cécité, nous lui conseillons vivement de bien vouloir envoyer sans tarder un dossier de candidature auprès de la Direction générale des Bourses et Stages en vue de bénéficier du prochain Gouvernement de transition d’une bourse d’études pouvant l’aider à s’inscrire dans une école de formation en braille. Aussi pourrait-elle, à l’issue de ladite formation, être à même de passer au peigne fin toutes les dispositions de la Charte constitutionnelle.
Quant à l’article 76 (tiret 9) qui traite de la Cour Constitutionnelle de Transition, celui-ci établit la distinction selon laquelle ladite Cour « est chargé de recevoir le serment du Chef de l’Etat de Transition et celui du président de la République élu ». On retrouve la même distinction dans la suite de l’article 104 précité, lequel précise que le Chef de l’Etat de Transition « reste en place jusqu’à la prise de fonction effective du Président de la République, Chef de l’Etat démocratiquement élu ». Sans trahir la pensée des rédacteurs de la charte, il nous semble que c’est le mode de dévolution ou d’accession au pouvoir qui sous-tend la distinction établie entre le Chef de l’Etat de Transition et le Président de la République. Ne procédant pas d’une élection au suffrage universel direct, le Chef de l’Etat de Transition ne bénéficie pas de l’onction populaire et par voie de conséquence ne peut être élevé à la dignité de Président de la République.
En définitive, loin de les exclure, l’article 106 de la Charte constitutionnelle autorise les membres du CNT ainsi que son Président à présenter leur candidature en vue de succéder au Chef de l’Etat de transition démissionnaire. Il faudra attendre la session extraordinaire du CNT convoquée du 13 au 28 janvier 2014 pour que les Conseillers Nationaux auto-excluent de la course vers le Palais de la Renaissance.
L’auto-exclusion des membres du CNT de la course au poste du Chef de l’Etat de transition
Dans le souci de continuer la transition d’une manière apaisée et consensuelle, les membres du CNT se sont attelés à définir des critères d’éligibilité du nouveau Chef de l’Etat de Transition. Au nombre de ces critères figure bien évidemment l’exclusion de leur candidature à ce poste. Seulement, au moment où notre mise au point sur l’interprétation fallacieuse de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle tire vers sa fin, voici que Maître Wang-You, Avocat à la Cour d’Appel de Paris vient relancer un autre débat sur l’inconstitutionnalité ou illégalité des « Critères d’éligibilité » du nouveau Chef de l’Etat de Transition élaborés par le CNT. En parcourant de bout en bout son article intitulé « Les critères d’éligibilité à la Présidence de transition fixés par le Conseil National de Transition centrafricain : Acte dépourvu de valeur juridique et inopposable erga omnes »[34], nous nous sommes, d’entrée de jeu, demandé si notre Cher Maître s’est interrogé un instant sur la nature ou le caractère desdits critères. S’agit-il des critères juridiques ou des critères politiques ?
A notre humble avis et tout en sachant que le chef de l’Etat de transition est une personnalité éminemment politique, les Conseillers Nationaux ne pouvaient ou ne devaient pas se contenter des critères juridiques pour son élection. Selon le Professeur Eric Oliva, de l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse, la « désignation des gouvernants rassemble les règles de dévolution du pouvoir politique »[35]. Aussi les membres du CNT ont-ils préféré surfer sur la mixité en cumulant les deux critères. Bien évidemment, compte tenu du contexte hyper sensible dans lequel se trouve la République Centrafricaine, il était hors de propos qu’ils se limitassent ou s’enfermassent dans des critères juridiques fixés dans le Code électoral de ce pays. Peut-être que ces Conseillers Nationaux se seraient-ils inspirés de la pertinente étude du Professeur Jean-Claude COLLIARD, intitulé « Etre présidentiable »[36] ? Au cœur de la préoccupation de cet éminent auteur figurait justement la question suivante : « à partir de quels critères l’opinion, c’est-à-dire en fait le corps électoral futur, reconnaîtra-t-elle à un prétendant la possession de ce véritable statut ? »
Au fil des sept pages qu’il a consacrées à son étude, ce Professeur de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) en a identifié deux : « un capital personnel » et « une capacité fédérative ». A ces deux critères, on peut ajouter également ceux de Jeremy Bentham[37] dont Monsieur Guillaume Tusseau nous donne un aperçu dans son étude[38]. En effet, l’ensemble du système constitutionnel benthamien vise à garantir l’aptitude des agents publics. Elle comporte trois aspects : l’aptitude morale, l’aptitude intellectuelle et l’aptitude active. L’aptitude morale consiste à poursuivre l’intérêt du plus grand nombre. L’aptitude intellectuelle consiste d’une part à avoir les connaissances appropriées, et d’autre part à détenir une capacité de jugement. L’aptitude active implique de se consacrer entièrement à sa fonction officielle.
Ce sont, à n’en point douter, ces éléments d’appréciation exposés ci-dessus qui figurent en des termes pas similaires au critère n°5 et non à « l’article 5 »[39] des « Critères d’éligibilité » du nouveau Chef de l’Etat de Transition. Si les Conseillers nationaux centrafricains se sont effectivement inspirés des travaux de ces auteurs, nous suggérons à Monsieur le Recteur de l’Université de Bangui, le Professeur Gustave BOBOSSI-SERENGBE d’initier illico presto une note à l’attention du futur ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique en vue de décerner à tous les membres du CNT le titre de « Docteur Honoris Causa ». Ils le méritent de façon collégiale pour tout le travail intellectuel abattu et qui a permis une élection crédible et transparente de Madame Catherine SAMBA-PANZA comme nouveau Chef de l’Etat de transition.
Par ailleurs, nous nous permettons de rappeler à notre Cher Maître que depuis l’Accord de Libreville du 11 janvier 2013 dont lui-même a singulièrement examiné la caducité et d’autres le contour juridique[40], les institutions politiques de la République Centrafricaine évoluent sous un régime d’exception ; ce que le Professeur Luc SINDJOUN de l’Université de Yaoundé II(Cameroun) appelle : « Gouvernement de transition »[41]. D’après les explications de ce Professeur, explications auxquelles nous adhérons entièrement, le « gouvernement de transition permet de réconcilier crise et institution ; c’est une institution de circonstances exceptionnelles chargée de la diminution des tensions et de la sortie de la crise : c’est une solution institutionnelle fluide et flexible en ce sens qu’elle est liée au passage à négocier »[42]. Autrement dit, en période de transition où manifestement il existe, selon le Professeur Frédéric Joël AÏVO, de l’Université d’Abomey-Calavi, une « crise de normativité de la Constitution »[43], point n’est besoin de s’enfermer dans un juridisme opiniâtre. Aussi ne nous appartient-il pas de rappeler à notre très cher Maître Wang-You toute la jurisprudence relative à la théorie des circonstances exceptionnelles, que ce soit en droit administratif ou en droit constitutionnel. Les arrêts Rubin de Servens[44] et Canal, Robin et Godot[45] rendus en 1962 par Conseil d’Etat français en Assemblée plénière font naturellement ses délices au moment de ses plaidoiries devant les différentes juridictions parisiennes.
D’aucuns seraient tenter de nous objecter que les arrêts auxquels nous faisons allusion ne règlent que la question des pouvoirs du Président de la République en période de circonstances exceptionnelles et non ceux du CNT. La réplique à une telle objection ne saurait tarder : à partir du moment où les démissions simultanée du Chef de l’Etat de transition et son Premier ministre ont créé un vide dans le fonctionnement des pouvoirs publics, qui pouvait valablement signer le décret de promulgation d’une loi relative aux critères d’éligibilité qu’aurait adopté le CNT conformément à la procédure décrite par Maître Wang-You dans son article? Certainement pas le Chef de l’Etat de transition intérimaire ! Car, aux termes de l’article 23 alinéa 2, et sauf incompréhension de notre part, celui-ci n’avait qu’un seul décret à signer pendant ses quinze jours d’intérim, notamment : le décret de convocation d’une session extraordinaire à l’effet d’élire un nouveau Chef de l’Etat de transition. En dehors de cet unique décret, il devra se contenter d’assurer l’intérim.
Au-delà du débat soulevé par Maître Wang-You, nous pensons, pour notre part que le travail de définition de critères ne doit pas se limiter à l’élection du nouveau Chef de l’Etat de transition. Pour éviter des revendications politiciennes et catégorielles, il convient également que le CNT élabore des critères se rapportant aussi bien à l’effectif qu’au profil des personnalités devant composer le prochain Gouvernement de transition. Dans le droit fil des préoccupations exprimées par de nombreux observateurs de la vie politique centrafricaine, nous proposons à la Chef de l’Etat de Transition ainsi qu’au Premier ministre qu’elle aura choisi, la mise en place d’un gouvernement restreint, dénommé conformément à dynamique du rétablissement de la paix en Centrafrique impulsée au cours du dernier sommet extraordinaire de la CEEAC et un idéal-clé de la devise centrafricaine (Unité) : « Gouvernement d’action pour la paix et le renforcement de l’unité entre Centrafricains », en abrégé GAPRUN.
Composé de technocrates, ce Gouvernement devra se limiter à seize (16) membres. Cet effectif ne découle pas d’un choix hasardeux. Il correspond au découpage administratif de la République Centrafrique en 16 préfectures. En vue d’éviter toute contestation et de réaliser l’unité nationale, il serait judicieux de coopter un technocrate par préfecture. De la sorte, aucune préfecture ne se sentira exclue de la gestion de la chose. Dans notre commentaire sur le Gouvernement TOUADERA III en 2011, cette proposition avait été suggérée aux autorités politiques de l’époque. Mais comme la logique de ces dernières était de faire fi des suggestions venant des universitaires, cette attitude a évidemment conduit le pays non seulement au coup d’Etat du 23 mars 2013, mais également vers un risque de génocide.
Comme le Professeur Robert Charvin se plaisait à le répéter à ses jeunes étudiants de Master 1 « Majeur Droit et Science politique » de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, le rôle des universitaires est rendre intelligible ce qui ne l’est pas. Dans une contribution fort intéressante consacrée à l’interprétation du Professeur de droit, il écrira ceci : « Son interprétation du droit n’est pas une démarche d’intelligence indépendante visant à la connaissance, à rendre compréhensible, à donner du sens ; elle est une participation à l’exercice du pouvoir dont elle facilite la reproduction. »[46]
Bien que nous ne soyons pas encore « Professeur », au sens universitaire du terme, nous osons croire que les décideurs et surtout nos étudiants en droit sauront tirer pleinement profit de la présente mise au point. Quant aux chroniqueurs du journal LNC, notamment sa Rédactrice en chef, ils prendront dorénavant le temps de réfléchir assez profondément avant de foncer aveuglement « dans le désert de l’intellectualisme centrafricain »[47]. Autrement, ils regretteront leur témérité. Car ils risqueront fort bien de rencontrer dans ce « désert de l’intellectualisme centrafricain » tantôt une branche intellectuelle des SELEKA ainsi que celle des Anti-Balakas qui n’hésiteront point à incendier, à décapiter, à détruire, voire à « nettoyer au Karcher », et ce, avec une certaine élégance et pugnacité, leurs élucubrations intellectuelles ; tantôt aussi, pour paraphraser un célèbre écrivain de la littérature africaine d’expression anglophone, ils seront désagréablement aux prises avec des tigres qui ne proclament jamais leur « tigritude »[48], mais bondissent sur leur proie.
Dans la même veine, la charmante Conseillère juridique du media LNC (Mme Sandra Martin-White[49]) avait violemment fustigé l’analyse faite par le Professeur Danièle DARLAN dans un autre article intitulé : « Les absurdités et oublis juridiques de Mme Danièle DARLAN »[50]. Poussant le bouchon très loin, Mme Sandra Martin-White a même eu le toupet de défier in fine les juristes centrafricains en ces termes : « Y A-T-IL DES JURISTES COMPETENTS EN CENTRAFRIQUE ? » A l’issue de notre mise au point sur ses interprétations fallacieuses de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle, « une question nous brûle les lèvres »[51] : entre Mme Danièle DARLAN et Mme Sandra Martin-White, qui est la plus absurde que qui ? Comme disent les anglophones : « That is the question ! » ou encore pour reprendre La Fontaine dans Le Villageois et le Serpent : « Voilà le point ! ».
Bangui, le 21 janvier 2014
Alexis N’DUI-YABELA,
Maître-Assistant à l’Université de Bangui et
Vice-Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques.
[1] Pour l’essentiel, on peut citer A.R. KONGBO, « Brève analyse juridique à chaud de la Charte constitutionnelle de transition du 18 juillet 2013 », in La Nouvelle Centrafrique du 25 juillet 2013, 3p ; D. DARLAN, « La charte constitutionnelle de transition du 18 juillet 2013 : un compromis pour la paix en République Centrafricaine », in La Nouvelle Centrafrique du 19 septembre 2013, 10p.
[2] Voir étude du Maître Wang-You SANDO, « La crise centrafricaine : caducité de la transition actuelle et perspective d’une sortie », in La Nouvelle Centrafrique, 7p.
[3] Voir M. de Villers et A. Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, 9ème édition SIREY, 2013, v° « Interprétation » ; ou encore P. Avril et J Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, Paris, 3ème édition PUF, 2013.
[4] Actualité politique dominée par la démission du Chef de l’Etat de transition et de son Premier ministre lors du sommet extraordinaire de la CEEAC tenu à N’Djamena les 9 et 10 janvier 2014.
[5] Voir Chapitre IV du Code pénal et Code de procédure pénale de la République Centrafricaine dont les articles 31 à 40 traitent de la « Contrainte par corps ». L’article 31 par exemple dispose que « La condamnation définitive à l’amende, aux dommages-intérêts et frais de justice sera poursuivie contre le condamné par la voie de la contrainte par corps. Cette contrainte ne sera jamais exercée contre la partie civile et le civilement responsable ».
[6] Ces deux expressions ne relèvent pas du Droit constitutionnel. Alors que le premier a trait au droit pénal, le second concerne le droit de la biodiversité (cf. à ce propos N. de Sadeleer et Ch.-H. Born dans leur ouvrage intitulé, Droit international et communautaire de la biodiversité, Paris, Dalloz, 2004, pp.106-108. Ces pages contiennent des développements relatifs aux « Mesures de conservation in situ et ex situ »).
[7] Sauf incompréhension de notre part, il nous semble qu’il appartient à une juridiction et non à un individu, fut-il Conseillère juridique de « dire le droit ». Du latin « juridictio » qui signifie « droit de rendre justice », le mot juridiction est défini par le Dictionnaire Larousse Compact comme le « Pouvoir de juger, de rendre justice ». Dans son ouvrage sur le droit des Institutions judiciaire, Madame Michèle-Laure RASSAT, Professeur des Facultés de droit, précise à cet égard que « Les institutions de justice sont des juridiction. Le terme de « juridiction » est un terme générique désignant toutes les institutions que nous allons définir » (cf. M-L Rassat, Institutions judiciaires, Paris, PUF, 1993, p.109).
[8] Voir sa chronique intitulée « La France entre le marteau et l’enclume », in LNC du 16 janvier 2014. Dans cette chronique, la Rédactrice en chef écrit ceci : « Pour que DJOTODIA dégage, il aura fallu que la Centrafrique vende son âme au diable, toute honte bue.
Idriss DEBY le dictateur tchadien de convoquer à N’Djamena les Conseillers du CNT, comme s’ils étaient des fonctionnaires d’une de ses provinces… ».
[9] Voir H. ASCENCIO, « Le droit à la paix est-il justiciable ? Les leçons d’un modèle africain », in L’homme dans la société internationale, Mélanges en hommage au Professeur Paul Tavernier, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp.505-523.
[10] Le Palais de la Renaissance à Bangui (capitale de la RCA) est l’équivalent de l’Elysée à Paris.
[11] Selon le manuel du Thème d’animation Paix et développement- Dossier 2002-2003 du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement intitulé, « Garantir la paix ? Prévenir les conflits. Cahier1. Comprendre et agir », « nous sommes tous acteurs de paix : sur le plan individuel, collectif et institutionnel. Chacun d’entre nous, partout dans le monde, est membre de la société civile et, en ce sens, peut être facteur de paix », p3.
[12] Voir A. Chaffel, Institutions et vie politique en France depuis 1945, Paris, Ellipses Edition Marketing S.A, p.85. Dans cet ouvrage ce Professeur et Agrégé en Histoire définit ces termes comme « Courant de pensée qui nie ou minimise le génocide des Juifs par les nazis et conteste l’existence des chambres à gaz ».
[13] Traitant de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, cet article 8 stipule que : « La Conférence est l’instance Suprême de la COPAX.
b) Elle a la plénitude des compétences en de maintien, de consolidation, de promotion et de rétablissement de la paix et de la sécurité en Afrique Centrale ; à ce titre, elle :
i) décide des mesures appropriées de prévention, de gestion et de règlement des conflits, et notamment de l’opportunité d’une action militaire ;
vi) prend toutes les initiatives conformes aux missions du COPAX.
[14] Voir le point (h) du Préambule du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX).
[15] Voir à ce sujet l’intéressant article de M. A. PETERS, Professeur à la Faculté de droit de l’université de Bâle (Suisse) intitulé, « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence-Vers une responsabilité de protéger », in Revue de Droit international et de Droit comparé, 2002, pp.290-308 ; ou encore le Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), publié en décembre 2001. Ce rapport est intitulé « La responsabilité de protéger ». La Commission avait été mise en place par le Gouvernement canadien suite à l’appel de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, M. Koffi Annan à l’Assemblée générale des Nations Unies pour parvenir à un consensus sur la conduite à tenir face à des violations massives des droits de la personne et du droit humanitaire. Composée de 10 personnes éminentes du monde entier et coprésidée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Australie, Gareth Evans, et par Son Excellence Mohamend Sahnoun, d’Algérie, conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU et ancien représentant spécial de ce dernier pour la Somalie, cette Commission avait pour mandat de susciter un débat exhaustif et de favoriser un consensus politique mondial sur les problèmes mentionnés.
[16] Voir article précité de la Conseillère juridique du journal LNC
[17] Voir chronique de la Rédactrice en chef précitée.
[18] Cf. D. Darlan, « Le droit international public au service du processus de paix en République Centrafricaine », Bangui, février 2010, 28p.
[19] Cf. « République Centrafricaine : les urgences de la transition », Rapport Afrique N°203 de International Crisis Group/Working to prevent conflict worldwide, Nairobi/Bruxelles, 11 juin 2013, 35p.+ Annexes.
[20] Voir Y. CONOIR et G. VERNA (dir.), Faire la paix. Concepts et pratiques de la consolidation de la paix, Québec (Canada), Les Presses de l’Université Laval, 2005, 789p.
[21] Cf. B. D. SEGBEDJI, Pr Younous Hamèye Dicho de l’ADR samedi face à la presse ! « La CEDEAO a usurpé la souveraineté du peuple malien », in L’indépendant du 30 avril 2012 ; ou encore Mohamed D. DIAWARA, « Délai de transition et prorogation du mandat de Dioucounda : usurpation de la souveraineté du Mali par la CEDEAO ».
[22] Voir H. Mazeau et D. Mazeau, Méthode de travail DEUG DROIT, Paris, Editions Montchrestien, 1993, p.17.
[23] Pour des renseignements détaillés sur ces principes, se reporter à l’ouvrage de J-C ZARCA, Relations internationales, Paris, 3ème édition mise à jour, Ellipses Marketing S.A, Coll. « Mise au point », 2007, pp.43-47.
[24] La plupart des auteurs distingue « trois générations » des droits de l’homme : la paix fait partie de la troisième génération des droits de l’homme.
[25] Voir son article intitulé « La coexistence d’internet et des médias traditionnels sous l’angle de la Convention européenne des droits de l’homme », in Revue trimestrielle des droits de l’homme (93/2013), notamment, pp.34-35. L’essentiel des informations contenues dans ce paragraphe est tiré de cet article.
[26] Voir le Corrigé de son sujet de dissertation in M. VERPEAUX (dir.) Annales Droit constitutionnel 2009. Méthodologie et sujets corrigés, Paris, Dalloz, 2008, p.231.
[27] Cf. F-J PANSIER, Méthodologie du droit, Paris, 6è édition LexisNexis, 2013, 59-77 ; ou encore J. Bonnard, Méthode de travail de l’étudiant en droit, Paris, 4è édition Hachette Supérieur, 2008, pp.37-55.
[28] Cf. E. DUVERGER, Les droits de l’homme, Toulouse, Editions Milan, Coll. « Les essentiels Milan », 2008, p.27.
[29] Voir A-M COHENDET, Droit constitutionnel. Cours. Travaux dirigés. Conseils de méthode. Exercices. Sujets d’examen. Corrigés, Paris, LGDJ/Lextenso éditions, Coll. « COURS », 2013, p.25.
[30] Cf. R. Lagane, Difficultés grammaticales, Paris, Larousse, 1995, p.55.
[31] Voir B. NANGA, Les chauves-souris, Paris, Présence africaine, p.161.
[32] Voir B. Yamaha Ndjambou, Précis de l’histoire d’Afrique, Collection bertyx 2001, p.47.
[33] Propos tenu la semaine dernière lors d’une interview sur RFI.
[34] Cet article a été publié le 19 janvier 2014 in Centrafrique Presse Info.
[35] Voir E. Oliva, Droit constitutionnel, Paris, 3ème éditions DALLOZ, Coll. « Aide-mémoire », 2002, p.51.
[36] Voir J-P COLLIARD, « Etre présidentiable », in L’Esprit des institutions, L’équilibre des pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Pierre PACTET, Paris, Dalloz, 2003, pp
[37][37] J. Bentham, First Principles Preparatory to Constitutional Code, P. Schofield (ed.), Oxford, Clarendon Press, 1989, Section 12 (N.d.T.)
[38] Voir G. Tusseau, « Sur le panoptisme de Jeremy Bentham », in Revue française d’histoire des idées politiques, n°19, pp.3-38.
[39] Les rédacteurs de ces critères ne les ont pas énuméré sous forme d’article, d’où vient que Maître Wang-You parle d’ « article 5 » dans son article ?
[40] Voir D. DARLAN, « Analyse juridique de l’accord politique de Libreville du 11 janvier 2013, Bangui, FSJP, 7p ; ou C. LENGA, Accord politique de Libreville sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en République Centrafricaine signé le 11 janvier 2013, 7p.
[41] Voir l’étude assez dense et documentée du Professeur L. SINDJOUN sur la question et qui s’intitule, « Le gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de l’Etat en crise ou en reconstruction », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Mélanges offerts à Slobodan MILACIC, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp.967-1011. Dans une perspective de droit constitutionnel comparé, on pourra également se reporter à la contribution de Ch. Chabrot intitulée, « La transition constitutionnelle en France », V° Séminaire franco-japonais de Droit public, Colmar-Lyon, 4-10 septembre 2002, in La Constitution et le Temps, Ed. L’Hermès, Lyon, 2003, pp.95-110 ; ou encore M. VERPEAUX, Les transitions constitutionnelles sous la révolution française, in Mélanges en l’honneur de Pierre PACTET précité, pp.937-956.
[42] Voir L. Sindjoun, op.cit, pp.972-973.
[43] Voir F-J AÏVO, « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », in Revue de Droit public, 1/2012, pp.141-186
[44] Voir M. Long, P. Weil et al., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris, 18ème édition Dalloz, 2011, pp532-540.
[46] Voir R. Charvin, « Le Professeur de droit et son interprétation de la réalité sociale », in Droit du pouvoir et pouvoir du droit, Mélanges offerts à Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp.211-221.
[47] Cf. sa chronique précitée.
[48] On attribue ce néologisme au regretté Wole SOYINKA. Fustigeant les partisans du mouvement de la « Négritude », il aurait prononcé à leur endroit le phrase suivante : « Le tigre ne proclame jamais sa tigritude, il bondit sur sa proie ».
[49] Ne connaissant pas le statut marital de notre Conseillère juridique, nous nous permettons par courtoisie et galanterie qui caractérisent les Centrafricains et surtout pour le poste qu’elle occupe de faire précéder son nom de « Madame ».
[50] Voir LNC du 16 septembre 2013.
[51] Nous empruntons cette expression à l’humoriste français Eric Massot, dans son sketch intitulé « Madame Moisie », professeur de français.