Dans une interview exclusive accordée à la DW, la nouvelle présidente de la transition en Centrafrique fait le point sur les défis auxquels elle et son nouveau gouvernement devront faire face.
Dans un contexte tendu de pillages et de violences entre chrétiens et musulmans, la question sécuritaire et l'unité nationale seront les enjeux majeurs. Le tandem de l'exécutif, composé de la présidente Catherine Samba-Panza et de son Premier ministre André Nzapayeké, peaufine la feuille de route du gouvernement. Cette équipe de technocrates réduite, composée de 18 ministres devra oeuvrer à la réconciliation pour mener le pays vers les élections d'ici un an:
DW : Quelles seront vos priorités en tant que présidente de la Centrafrique ?
C. Samba-Panza: "Notre priorité sera de mettre en place l’autorité chargée des élections mais ça ne sera pas facile, il y a d’énormes difficultés, les administrations ayant été totalement délabrées. Les administrations locales dans les communes chargées du recensement ne fonctionnent plus, il faut donc remettre tout cela en marche".
DW : Votre élection a suscité beaucoup d’espoir, mais les violences continuent, comment peut-on enrayer cette spirale ?
C.SP: "Il y a eu des engagements forts de la part des ex-seleka et des anti-balaka de cesser les hostilités, mais il y a encore beaucoup de membres incontrôlables sur le terrain. J’ai rencontré des représentants des mouvements qui regrettent ce qui se passe, simplement il y a beaucoup d’autres éléments incontrôlés et nous sommes en train de réfléchir ensemble à une stratégie".
DW : Certains disent que vous avez été portée par la France ? Est-ce que vous êtes la candidate de la France ?
C.SP: "J’ai été soutenu par un courant de jeunes, un courant de femmes, un courant national, mais bien entendu, la France et les pays de la sous-région ont étudié mon parcours et ont soutenu ma candidature".
DW : Quels seront les critères retenus pour le choix des membres du gouvernement ?
C.SP: "Je veux avoir de bons techniciens des différentes couches de la population, mais il faut aussi tenir compte des susceptibilités politiques. Je veux être rassembleur".
DW : Est-ce que vous envisagez de créer un ministère de la réconciliation comme c’est le cas au Mali ?
C.SP: "Oui, il y aura un ministre chargé de la réconciliation mais il n’y aura pas que cela dans son portefeuille, cet aspect sera adossé à un autre département. Les problèmes sont liés à des membres incontrôlés, nous avons des réconciliations entre musulmans et chrétiens qui se font déjà dans certains endroits du pays. Avec l’appui de la communauté internationale nous allons mettre de l’ordre dans tout cela".
DW : Est-ce que cet appui de l’Union Européenne est suffisant ?
C.SP: "Cette aide est la bienvenue, et j’attends de l’Allemagne, qui est un pays fort au sein de l’Union un appui important sécuritaire, humanitaire et en terme budgétaire. J’aimerai bien que l’Allemagne nous aide à mettre en place des radios locales à Bangui et à l’intérieur du pays, ce serait une très bonne chose...."
Le coup d’Etat de la coalition rebelle Seleka (Alliance) ne fut pas le premier qu’ait connu la République Centrafricaine (RCA). Elu président de la république, le premier prêtre catholique du pays, Barthélemy Boganda, n’avait pas eu le temps d’exercer le pouvoir. Il était mort dans un accident d’avion dont les causes restent à élucider et cela avant l’indépendance, survenue le 13 août 1960. Sa mort plongea la RCA dans une lutte de succession qui propulsa son cousin David Dacko au sommet de l’Etat, à 29 ans, tandis que le rival de ce dernier, Abel Goumba, prenait le chemin de l’exil. Le 31 décembre 1965, Dacko était renversé par Jean-Bedel Bokassa, neveu de Boganda qui instituera l’Empire Centrafricain en 1977. En septembre 1979, Dacko prenait sa revanche, conduit à Bangui dans les wagons du néocolonialisme français, à la suite de l’opération barracuda. Il fut renversé une deuxième fois par le général André Kolingba en septembre 1981. Celui-ci restera au pouvoir jusqu’à ce que souffle le vent de La Baule qui hissera démocratiquement Ange-Félix Patassé à la présidence de la république. La démocratie partisane et conflictuelle conduisant tout droit à l’autocratie tout en légitimant la révolte et les coups de force, l’autocrate Patassé fut renversé par le général François Bozizé le 15 mars 2003. Cependant, les deux élections présidentielles de 2005 et 2011 n’ont rien changé quant à la gouvernance du pays. Le 24 mars 2013, Bozizé était renversé à son tour. Contrairement à ses prédécesseurs putschistes, Michel Djotodia, le tombeur de Bozizé, n’a pas imposé sa volonté à ses compatriotes pendant longtemps. Le 10 janvier 2014, il était poussé à la démission. Comment expliquer un règne aussi éphémère ?
Jugement de valeur versus realpolitik
Le coup d’Etat de Seleka est intervenu après l’entrée en vigueur de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance, le 15 février 2012. Cette convention se dresse entre autres contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement et les révisions constitutionnelles à des fins personnelles. Pour être crédible, l’Union Africaine n’avait d’autre choix que de ne pas reconnaître les nouvelles autorités centrafricaines. Confrontée à ce jugement de valeur et à la débandade des forces de sécurité et de défense du régime Bozizé ou au fait accompli, c’est-à-dire la réussite du cinquième coup d’Etat du pays en cinq décennies d’indépendance, la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) se devait de trouver un juste milieu. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC ont alors tenu deux sommets extraordinaires à N’Djamena, le 4 et 18 avril 2013, afin de donner une certaine légitimité aux nouveaux maîtres de la RCA. Il a été décidé que l’Accord de paix de Libreville de janvier 2013 devait servir de socle à une nouvelle transition de 18 à 24 mois. Les acteurs clés de cette transition, à savoir le chef de l’Etat, le premier ministre, les membres du gouvernement, le président du Conseil National de Transition (CNT), de la Cour constitutionnelle de transition et de la Haute autorité des médias, institutions à créer, ne devaient pas être candidats aux prochaines élections. Conformément à l’Accord politique de Libreville, le premier ministre, issu de l’opposition dite démocratique, ne devait pas être démis de ses fonctions par le Chef de l’Etat. Il était interdit à celui-ci de porter le titre de président de la république. Son titre officiel devait être chef d’Etat de la transition. Mieux, il devait être élu par le CNT. Cette institution était chargée de rédiger et d’adopter d’abord une charte constitutionnelle de transition et ensuite un projet constitutionnel à soumettre au référendum avant la tenue des élections législatives et présidentielles. La CEEAC avait même retenu la feuille de route issue des négociations de paix de Libreville entre la majorité présidentielle de Bozizé, Seleka, l’opposition dite démocratique, la société civile et les groupes politico-militaires qui n’avaient pas pris part à la saga Seleka. Cette feuille de route prévoyait entre autres la mise en place d’un processus de DDRR, c’est-à-dire démobilisation, désarmement et réintégration, pour tous les rebelles centrafricains, et retour pour les combattants étrangers, et une réforme du secteur de sécurité (RSS), le tout avec l’aide de la communauté internationale.
Appétit de domination
Djotodia et les siens avaient accepté tous les arrangements institutionnels décidés par la CEEAC. Toutes les institutions de la transition avaient été mises en place. Rédigée de manière consensuelle, avec le concours des constitutionnalistes centrafricains et de leurs collègues déployés par les Nations Unies et l’Organisation Internationale de la Francophonie, la charte de transition a bétonné la non-éligibilité des acteurs clés de la transition aux prochaines élections. L’article concernant ce sujet ne peut être révisé. Mais les nouvelles autorités, qui tendaient la main à la communauté internationale pour mettre sur chantier les processus de DDRR et RSS, n’entendaient manifestement pas que celle-ci mette son expertise à leur disposition, conformément à l’esprit et à la lettre de l’Accord de paix de Libreville.
Au départ de la saga Seleka, cette coalition comptait plus ou moins 5000 combattants. A leur arrivée à Bangui, on est passé à 20000 pendant que l’armée nationale sous Bozizé ne disposait que de quelques 7000 hommes, tous en débandade, et encore moins d’effectifs dans la gendarmerie et la police, eux aussi en débandade. Les 20000 élements de Selaka provenaient de composantes suivantes : l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), le groupe politico-militaire fondé par Djotodia, majoritairement de son ethnie Goula ; la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP-Fondamentale) du « général » Noureddine Adam, essentiellement de son ethnie Rounga ; la Convention des patriotes pour le salut du Kodro (CPSK) du « général » Moussa Dhaffane, un Fulani parfois présenté comme un Tchadien, Kodro signifiant « pays » en langue Sango ; la jeunesse désœuvrée de Bangui issue de ces trois communautés et recrutée par chacun des trois groupes après le coup d’Etat afin de renforcer la position du groupe ; les mercenaires venus surtout du Tchad et du Soudan et disposant de l’armement lourd de la coalition. On notera que la CPJP-Fondamentale et la CPSK étaient des groupes dissidents de la CPJP, fondée par un autre politicien Rounga, Charles Massi, le père du très médiatique Eric Massi, qui aurait été assassiné par le régime Bozizé.
Il n’existait aucune chaîne de commandement entre les éléments de ces différentes composantes. Chaque élément Seleka obéissait à celui qui l’avait recruté. C’est sans doute pour pallier cette situation qu’en peu de temps, Djotodia avait réussi à arrêter et jeter en prison le président de la CPSK et à faire descendre le président de la CPJP-Fondamentale de son piédestal de ministre d’Etat chargé de la Sécurité en lui indiquant une voie de garage, la présidence d’une nouvelle institution dite de la promotion des acquis démocratiques. Pendant que la communauté internationale attirait son attention sur le fait que le pays avançait droit dans le mur si les anciennes forces de sécurité et de défense ne reprenaient pas très vite du service, comme lors de tous les coups d’Etat précédents, et si les processus de DDRR et RSS n’étaient pas menés conformément à l’Accord de paix de Libreville, Djotodia, lui, proclamait urbi et orbi que la nouvelle armée nationale devait être dirigée par les éléments de Seleka quel que soit leur niveau d’éducation. Mieux, il joignait l’acte à la parole. Des incultes Seleka de rang de caporal ou soldat de 1ère et 2ème classes étaient promus au rang de colonel ou général lors des cérémonies officielles. Une société privée européenne de sécurité immatriculée en Amérique était chargée de transformer les éléments Goula de Seleka en gardes présidentiels.
Erreurs fatales
Pendant que les anciennes forces de sécurité et de défense étaient tenues à l’écart et en respect puisque désarmées, les éléments de Seleka étaient déployés à travers le territoire national pour assurer la sécurité de la population alors même que les caisses de l’Etat étaient vides. Pour survivre, les Seleka n’avaient d’autre choix que de créer l’insécurité à travers des exactions de toutes sortes dont les pillages, les tueries et autres violations graves des droits de l’homme. C’était là la marque de fabrique de la coalition depuis le début de sa rébellion.
De même que Kin-la-Belle, qui n’est en réalité que Kin-la-Poubelle, le coup d’Etat de Seleka a transformé Bangui-la-Coquette en Bangui-la-Roquette. Dans cette ville, le régime Bozizé et la coalition Seleka avaient distribué des armes à la population dans les quartiers qui leur étaient favorables. La population elle-même s’était également servie dans les casernes militaires lors de la débandade des forces de sécurité et de défense de l’ancien régime. En plus des pillages systématiques, Bangui vivait un nouveau phénomène, le banditisme armé qui allait crescendo. Les nouvelles autorités brandissaient des slogans de « Bangui ville sans armes » tout en confiant cette tache aux éléments de Seleka. Résultat, les opérations de désarmement de la population se transformaient en nouveaux pillages et nouvelles tueries.
Les éléments centrafricains de Seleka sont originaires du nord-est de la RCA et essentiellement issus de la minorité de 20 % de Musulmans que compte le pays. Les mercenaires de Seleka sont également de confession musulmane. Dans toutes les villes conquises pendant la rébellion ou occupées après le coup d’Etat, leurs pillages en règle épargnaient les quartiers musulmans qui par ailleurs servaient de lieux de stockage aux butins de guerre quand ceux-ci ne prenaient pas la direction des pays voisins. Si les élites musulmanes centrafricaines étaient marginalisées par les différents régimes, la cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans avait toujours été au rendez-vous de l’histoire. Le caractère sélectif des pillages, exactions, tueries et autres violations graves des droits de l’homme perpétrés par les éléments de Seleka a changé cette donne, constituant par voie de conséquence un appel vibrant à la révolte des chrétiens. Les Anti-Balaka étaient nés. L’équilibre de la terreur plongeait lentement mais sûrement le pays vers des tueries massives à caractère génocidaire entre chrétiens et musulmans. Seule une force robuste pouvait stopper cette dynamique macabre. Compte tenu de l’irresponsabilité de l’Afrique à se prendre en charge, cette force ne pouvait malheureusement pas être africaine.
Conclusion
En acceptant le cadre institutionnel décidé par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, Djotodia avait le choix entre se mettre en retrait et attendre les élections censées mettre un terme à la période de transition ou se porter candidat (unique) à l’élection du chef de l’Etat de la transition par le CNT. Il avait choisi la deuxième option tout en caressant le rêve d’être plus malin que tout le monde, obsédé qu’il était à réaliser l’unique révolution dont les Africains sont capables depuis l’indépendance : l’avènement de l’hégémonie Goula et musulmane en RCA.
Son appétit de domination a entraîné des violations graves des droits de l’homme, lui délivrant ainsi un passeport en or vers La Haye. Pour l’instant, ce passeport lui a permis d’accepter sans la moindre résistance sa démission et de faire escale au Bénin, pays d’où il était venu en 2012 pour reprendre les rênes du mouvement politico-militaire qu’il avait créé et qui en son absence avait rejoint l’Accord paix global de Libreville de 2008 entre le gouvernement Bozizé et les rébellions qui essaimaient en RCA depuis le coup d’Etat de 2003. Quand ce passeport lui permettra enfin d’atterrir à La Haye, ce qu’il faut souhaiter vivement après la réussite de la transition, il y aura des Africains pour crier à la justice des Blancs. Certes, bien de dirigeants occidentaux mériteraient qu’on leur délivre le même passeport. Mais eux au moins ne massacrent pas leurs propres citoyens.
La tenue des élections et le retour à l’ordre constitutionnel étant l’objectif de la transition, la communauté internationale devrait se rendre à l’évidence. Les élections dans le cadre de la démocratie partisane et conflictuelle ne règlent rien en Afrique. Elles permettent tout simplement un retour à la case départ pour l’instauration d’une nouvelle autocratie ou hégémonie ethnique ou régionale. Dès lors, il est impératif, puisque les Africains eux-mêmes ne s’en rendent pas compte, que la communauté internationale aide ces grands enfants à amorcer une réflexion sur les mécanismes qui conduisent à la prise en otage des instruments de la souveraineté de tout un peuple par une bande de zigomars et les moyens de conjurer les crises à répétition que cela entraîne. Car si Ange-Félix Patassé, élu démocratiquement et en toute transparence, a pu devenir un autocrate, légitimant ainsi la rébellion de François Bozizé, qui fut salué en véritable libérateur lors du coup d’Etat de 2003, rien ne permet d’espérer qu’il n’en soit pas ainsi demain.
Par Jean-Pierre CAMPAGNE et Christian PANIKA | AFP 26/01/2014
La présidente centrafricaine Catherine Samba Panza et son Premier ministre, André Nzapayeké, préparaient dimanche le programme de pacification que le futur gouvernement -attendu rapidement- devra appliquer en urgence face à la poursuites des violences entre chrétiens et musulmans.
Dans Bangui, violences, tirs et tentatives de pillages se concentraient dimanche autour du quartier du PK-5, au centre-ville, le poumon commercial de la capitale, avec ses centaines de magasins appartenant pour la plupart à des musulmans.
Ces commerces (alimentation, téléphonie, pièces détachées pour automobiles,...) attisent depuis des jours la convoitise des pillards et miliciens chrétiens anti-balaka massés aux environs et qui lancent des raids, entraînant la riposte de jeunes musulmans, aidés d'ex-Séléka, qui ont érigé des barricades pour bloquer les accès, avec des violences débordant dans les quartiers voisins, particulièrement à Miskine.
Des tirs ont ainsi été encore entendus dans la nuit de samedi à dimanche dans ce quartier de Miskine, patrouillé par les soldats français de l'opération Sangaris et africains de la Misca.
A peine nommé samedi par la présidente, M. Nzapayeké (son nom signifie en langue nationale sango "Dieu est là") a fixé la feuille de route du futur gouvernement dont la composition devrait être annoncée rapidement.
Priorité numéro un: "arrêter les exactions" dans le pays, a indiqué le Premier ministre dans un entretien diffusé dimanche par RFI et qui se place ainsi sur la même ligne que la présidente élu lundi pour remplacer Michel Djotodia.
M. Djotodia avait renversé en mars 2013 le régime de François Bozizé à la tête d'une coalition rebelle Séléka, à dominante musulmane, dont les combattants ont multiplié pendant des mois en toute impunité les exactions contre la population majoritairement chrétienne du pays, déclenchant une spirale de violences intercommunautaires dont les civils sont les principales victimes.
Arrêter les exactions
Il a été contraint à la démission le 10 janvier pour son incapacité à mettre fin à ces tueries interreligieuse, qui ont plongé le pays dans une crise humanitaire sans précédent, avec des centaines de milliers de déplacés, dont 400.000 à Bangui, soit la moitié de la population de la ville.
"Je vais prendre langue avec les différentes parties pour que nous arrêtions immédiatement certaines (...) exactions qui sont menées dans ce pays. Il faut mettre fin à tout cela rapidement", a souligné M. Nzapayeké, indiquant qu'il allait "mettre en place une équipe qui va se charger de la question de la réconciliation nationale"."Il faut qu’on s’attaque rapidement à cela, la question sécuritaire sera facilitée", selon lui: "la prochaine action à mener, c’est vraiment le retour" des déplacés chez eux.
"Là, on a un certain nombre d’actions très claires et auxquelles le gouvernement va s’attaquer dès la semaine prochaine", a-t-il promis.
Pour agir, le gouvernement doit pouvoir s'appuyer sur une administration à la dérive, dont les fonctionnaires ne sont plus payés depuis des mois et alors que les caisses d'Etat sont totalement vides.
"Nous allons essayer de régler aussi ce problème-là avec nos amis de la communauté internationale", a indiqué le Premier ministre, qui entend s'appuyer sur son expérience au sein d’institutions financières internationales et de programmes de développement pour rassurer les donateurs sur l'utilisation de l'aide, dans un pays miné par la corruption depuis des décennies.
La présidente de RCA, Catherine Samba-Panza, a désigné le samedi 25 janvier la deuxième tête de l'exécutif de transition : c'est André Nzapayéké qui occupe maintenant le poste de Premier ministre. Ce technocrate qui revendique une expérience de terrain devra gérer, conjointement avec la cheffe de l'Etat, un pays en crise et le conduire à des élections présidentielles et législatives d'ici à début 2015. Comment l'intéressé accueille-t-il cette nomination ? Quels principes guideront la formation du gouvernement ? Quels seront ses premiers gestes de Premier ministre ? André Nzapayéké a accordé à RFI l'une de ses toutes premières interviews. Il répond aux questions de Laurent Correau.
RFI : vous venez d’être choisi comme Premier ministre par la présidente de transition. Quelle est votre première réaction ?
André Nzapayéké : ma première réaction, c’est d’abord une grande fierté. Je me sens très honoré par cette décision de madame la cheffe de l’Etat. Une autre de mes réactions, c’est d’abord d’avoir une pensée pour toutes les victimes de la longue crise que nous traversons ici, aux orphelins aux veuves, aux veufs, aux pères et aux mères qui ont perdu des enfants et des parents. Le moment est venu pour nous tous Centrafricains de tout bord pour qu’on retrousse nos manches et qu’on essaie de sortir notre pays de l’ornière.
Est-ce que madame Catherine Samba-Panza vous a indiqué pourquoi elle avait décidé de vous choisir vous ?
Bien sûr. Elle voulait un technocrate, mais particulièrement quelqu’un qui n’est pas trop mêlé dans toute la politique centrafricaine, qui peut être neutre et surtout jouer un rôle de rassembleur parce que notre premier objectif, c’est d’abord d’arriver aux élections dans un délai relativement court. Mais pour arriver aux élections, il faudrait qu’on soit ensemble.
Est-ce que d’ores et déjà vous avez pu évoquer avec Catherine Samba-Panza les premiers éléments d’une feuille de route ?
La feuille de route est déjà définie avec le régime sortant. Il y a déjà une feuille de route qui a été élaborée et qui a été approuvée par la communauté internationale. Nous n’allons pas trop dévier de cette feuille de route.
Une des raisons pour lesquelles le tandem Djotodia-Tiangaye n’a pas réussi à avancer pendant dix mois, c’est le manque de confiance entre eux. Comment est-ce que vous pourrez instaurer une relation de confiance avec Catherine Samba-Panza ?
Je peux vous dire que la relation de confiance est déjà par définition instaurée entre nous. Nous sommes des professionnels. Les objectifs sont clairs. Nous ne perdons pas de temps dans les déboires politiciens. Il y a une seule personne qui est élue ici, c’est madame la cheffe de l’Etat. C’est elle qui est élue. Je ne suis pas élu. C’est madame la cheffe de l’Etat qui nomme le Premier ministre et qui nomme le gouvernement. Donc, nous allons nous inscrire dans sa vision et nous travaillerons main dans la main. Je peux vous garantir qu’il n’y aura pas de dissensions entre nous.
Le premier chantier qui vous attend conjointement, c’est la formation du gouvernement. Quels sont les principes que vous souhaitez suivre, elle et vous, pour la formation de ce gouvernement ?
Ce qui est certain, c’est qu’il faudrait tenir compte des réalités du terrain. Comme on le dit, c’est le terrain qui gouverne. Il y a différentes tendances aujourd’hui en République centrafricaine, nous en tiendrons compte, mais vraiment, il nous faut des technocrates, quelle que soit la tendance, ou bien la couleur politique de la personne qui va entrer au gouvernement. Une fois entrés au gouvernement, nous sommes des ministres au service de la République. On ne viendra pas défendre des intérêts partisans au sein du gouvernement.
Quels sont les premiers actes que vous souhaitez réaliser en tant que Premier ministre ?
En tant que Premier ministre, je voudrais très rapidement essayer de rassurer ceux qui sont encore sceptiques par rapport à ce gouvernement. Je vais prendre langue avec les différentes parties pour que nous arrêtions immédiatement certaines actions, exactions, qui sont menées dans ce pays. Il faut mettre fin à tout cela rapidement. En tout cas, mettre en place une équipe qui va se charger de la question de la réconciliation nationale. Après la composition du gouvernement, il faudrait qu’on s’attaque à ce problème. Il faut qu’on s’attaque rapidement à cela, la question sécuritaire sera facilitée. Et on évolue vers les questions humanitaires, sinon on aura beaucoup de difficultés. L’administration devra être remise au travail dans les plus brefs délais ! Evidemment, on nous dira, « les salaires si on ne nous les paye pas, on ne sait pas comment aller au travail »… Nous allons essayer de régler aussi ce problème-là, ensemble avec nos amis de la communauté internationale pour qu’on puisse avoir au moins dans les mois qui viennent les moyens nécessaires pour pouvoir motiver les fonctionnaires à reprendre le travail. La prochaine action à mener, c’est vraiment le retour de tous ceux, les réfugiés internes, les déplacés internes pour qu’ils commencent à regagner leur domicile. Là on a un certain nombre d’actions très claires et auxquelles le gouvernement va s’attaquer dès la semaine prochaine.
L’avènement de la rébellion nordiste en Centrafrique et sa prise du pouvoir à Bangui constituent-elles l’événement fondateur du mouvement anti-balaka (terme qui signifie sabre ou machette en langue mandja) ? La question mérite d’être posée. A la clé : la validation ou l’invalidation de la thèse qui voudrait que les combats entre rebelles de la Séléka et miliciens anti-balaka soient ceux de musulmans contre des chrétiens.
L’apparition des anti-balaka.
L’existence de milices paysannes d’auto-défense (les anti-balaka sont littéralement ceux qui sont invulnérables au sabre ou à la machette) est antérieure au renversement du régime Bozizé, en mars 2013. Membre d’un des groupes anti-balaka de l’Ouham (nord de la RCA), Dieudonné témoigne : "Nous sommes des auto-défenses depuis que l’ancien président Bozizé avait dit de se défendre par nous-mêmes contre les bandits. Nous ici, nous sommes comme ça depuis 2009."
Le père Jean-Marius Toussaint Zoumalde, un capucin du couvent Saint-Laurent de Bouar (nord-ouest) explique : "Auparavant, ils traquaient les coupeurs de routes parce l’armée et les gendarmes en étaient incapables. Maintenant, ils veulent se venger des exactions commises par les Sélékas." Ces coupeurs de route, les Zaraguinas, sévissent dans le nord et l’ouest depuis une quinzaine d’années; les forces gouvernementales ont toujours été incapables de les neutraliser. D’où la création de milices communales, comme les anti-balaka et les "archers" (des groupes réellement armées d'arcs!) qui protègent les troupeaux et les villages.
On aurait donc tort de croire que ces miliciens sont apparus en septembre dernier, après les exactions massives des rebelles de la Séléka.
Les anti-balaka, des chrétiens ?
Depuis décembre et le début des affrontements directs à Bangui entre rebelles de la Séléka et anti-balaka, ces derniers sont présentés comme des milices chrétiennes. "Ce sont des animistes, pas des chrétiens. Leurs marabouts leur donnent des gri-gris pour les protéger des balles ; ils ont des pratiques occultes. Ce sont des jeunes qui protègent leurs villages et leur territoire depuis des années", corrige Toussaint Zoumalde.
En réalité, les anti-balaka sont issus de toutes les communautés, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou peuhls. Toutefois, la plupart sont animistes. Ils passent des rites initiatiques. Ils sont bardés de gri-gris et d’amulettes qui les protègent des balles. Leur arme de prédilection ? Le "ga na pointe", un fusil de fabrication traditionnelle qui tire du "double zéro" (calibre 12).
Un mouvement récupéré ?
Le témoignage de Dieudonné est intéressant : "Nous voulons la sécurité chez nous en luttant contre les envahisseurs, c’est tout. Les anti-balakas qui racontent qu’ils sont pour Bozizé, c’est leur problème. On n’est pas tous comme ça", explique-t-il.
Effectivement, les rangs des anti-balaka ont été grossis par l’arrivée début décembre de supporters de l’ex-président Bozizé dont le fils a été très actif et par le retour d’ex-membres des Forces armées (FACA) qui avaient fui au Congo et au Cameroun. Toutefois, ce voisinage, voire cette alliance de circonstance, n’est pas sans tensions, ainsi que l’a remarqué Toussaint Zoumlade à Bouar : "Les jeunes anti-balakas reprochent aux ex-FACA de n’avoir pas combattu la Séléka et de s’être enfuis."
Désormais, et on doit le regretter, tout opposant ou résistant à la Séléka est présenté comme un anti-balaka et est donc considéré comme un chrétien. C’est un raccourci rapide qui réduit les tensions à l’affrontement de deux groupes, alors que le "front" anti-séléka est assurément multiforme et guidé par des ambitions, politiques, sécuritaires…, bien distinctes.
Travaux pratiques de désarmement dans le sillage d'un convoi français, entre Bangui et Yaloké. Mission délicate...
Jusqu'alors, la longue colonne du 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) de Pamiers, partie du camp M'Poko de Bangui à la mi-journée, progressait sans accroc. Mais peu après 16 heures, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Boali, le véhicule de tête repère à hauteur du lieu-dit Croisement Lambi, près d'un check-point tenu par les miliciens chrétiens "anti-balaka", une camionnette Renault Trafic blanche à l'arrêt. A son bord, du ravitaillement et une panoplie d'armes rudimentaires. Aussitôt, et conformément aux ordres reçus, le détachement du dispositif français Sangaris entreprend de collecter l'arsenal, entreposé sur le bas-côté et bientôt enrichi par les poignards et les pétoires cueillies à la faveur des fouilles aux corps auxquels sont soumis, à leur grand dépit, les "vigiles" du cru. A la clé, un empilement hétéroclite de fusils artisanaux, de machettes, de couteaux et de haches, assorti d'arcs, de flèches et d'une poignée de cartouches de chasse. Le tout prestement saisi et embarqué dans l'un des camions du convoi.
Coiffé d'un casque lourd et d'un gilet pare-éclats noir, le chef de la bande, un paysan moustachu surnommé par ses hommes "Moundjou" -le Blanc- du fait de la pâleur de son teint, tente bien de résister. " Les Seleka sont planqués dans la brousse, lance-t-il à un lieutenant impassible. Jeudi dernier, ils ont attaqué ce village. Et ce matin même, les peuls -ethnie de confession musulmane- ont massacré cinq paysans du coin. Dès votre départ, ils viendront une fois encore nous tuer. Vous devez nous rendre notre armement!""Impossible, rétorque l'officier du 1er RCP. Nous désarmons tout le monde. Vous comme les autres. J'ai des instructions, et je les applique." Dialogue de sourds. Plutôt conciliant lors des échanges initiaux, le meneur durcit bientôt le ton. C'est qu'il sent son autorité mise à mal. Notamment par les anathèmes des plus véhéments de ses acolytes. "Vous les Français, vous voulez nous voir tous mourir en martyrs?", peste en vain l'un d'eux.
"Nous tendrons des embuscades à vos convois!"
Soudain, un ordre claque, déclenchant une cavalcade vers les maisons de brique ocre voisines. "Les clés, les clés, vite!" Allusion aux cadenas que les anti-balakas portent autour de la taille. Et qui, à les en croire, les rendent invulnérables aux balles de l'ennemi dès lors qu'ils les verrouillent. A l'instant où la colonne s'ébranle, Moundjou lance une ultime -et dérisoire- mise en garde: "Attention! Si vous ne ramassez pas les armes des Seleka, nous tendrons des embuscades à vos convois!"
Un peu plus loin, à Bogbazou, village situé à 5 km de Bossembélé, nouvelle halte. Et changement d'atmosphère. Bien sûr, les Sangaris confisqueront sur place un tromblon maison et examineront de près la roquette antichar usagée qui trône à fleur d'asphalte. Mais cette fois, le maître du barrage, vêtu d'un treillis de combat, tient à leur montrer les engins de mort qui le tracassent. A savoir les quatre petites mines anti-personnel de facture russe alignées dans un support de polystyrène posé à même le sol. "Il y en a plein d'autres là derrière, dans un conteneur, insiste-t-il. Emportez-les." Peine perdue, là encore. Le règlement, c'est le règlement. Et ce type de mission revient aux gars du Génie. Lesquels, promet-on au boss local, passeront ce vendredi.
Vers 18 heures 45, à la nuit tombée, l'escouade motorisée pénètre dans l'enceinte du Lycée évangélique de Yaloké. En chemin, elle a traversé un quartier chrétien, puis longé une mosquée, avant d'emprunter l'artère commerçante où glissent des ombres en djellabas, calots de toile sur la tête. Sous l'oeil de Sangaris, on vit donc ici côte à côte. Mais y revivra-t-on jamais ensemble?
Jean-Christian et Véronique M’Boya ont fui la guerre en 2002 déjà. Installés à Sainte-Verge, ils craignent pour leur famille et leurs amis restés à Bangui.
Derrière leurs sourires et leur apparente sérénité, se cache une énorme angoisse. Dans leur salon de Sainte-Verge, Jean-Christian M'Boya et son épouse Véronique ont peur pour leur famille, restée à Bangui. Les violences qui secouent la République Centrafricaine ont déjà endeuillé les M'Boya : un cousin de Jean-Christian, instituteur, a été assassiné par un de ses anciens élèves.
" On fait tout ce qu'on peut pour les aider à se mettre à l'abri "
Jean-Christian, intendant au lycée Jean-Moulin de Thouars, et Véronique, enseignante, vivent quotidiennement dans la crainte de recevoir de mauvaises nouvelles des frères, sœurs, oncles, cousins, restés à Bangui, avec qui ils entretiennent des contacts réguliers. « On se pose tous les jours la question de savoir ce qui va se passer demain. Dès que le téléphone sonne et qu'on voit l'indicatif de Centrafrique, c'est une angoisse terrible. »
Intarissable sur l'histoire tourmentée du pays, Jean-Christian estime que le conflit actuel est bien plus complexe qu'un affrontement entre chrétiens et musulmans.« C'est simplifié pour la compréhension », mais il analyse davantage les faits comme une escalade de la violence après la vengeance de populations trop longtemps laissées pour compte.
Une tradition de tolérance gâchée
Le couple éprouve un sentiment de gâchis. Véronique et Jean-Christian avaient dû quitter la Centrafrique en 2002, car l'insécurité ambiante leur faisait craindre pour leur vie. Pourtant, ce couple de chrétiens avait projeté d'y vivre et avait lancé un projet pour aider les Peuls, nomades musulmans, à vivre de la production laitière de leurs troupeaux. « En m'installant en Centrafrique, j'avais découvert un pays de grande tolérance, avec un vrai respect mutuel des deux religions », se souvient Véronique, pour qui quitter le pays a été un déchirement.
« Les gens sont devenus fous, regrette Jean-Christian. Ma famille a tout le temps peur, ils sortent peu et au moindre mouvement, ils rentrent vite. Les gens s'organisent : dès qu'il se passe quelque chose de suspect, ils tapent sur des casseroles pour alerter. »
« On fait tout ce qu'on peut pour les aider à se mettre à l'abri. Heureusement, ma famille m'écoute. Je leur ai dit " On ne s'associe pas à ça ". » Véronique complète : « On leur envoie de l'argent pour qu'ils puissent mettre les enfants en province et manger. Si on a faim, on peut tomber dans la violence ».
Si la guerre centrafricaine leur paraît pour le moment « insoluble »,Véronique et Jean-Christian sont rassurés de voir « la communauté internationale qui vient au chevet du pays ». Mais l'absence de mobilisation associative continue de les inquiéter. Tout comme le départ d'un de leurs amis, forcé à quitter le pays sans sa famille car chassé de son quartier pour sa religion musulmane et son appartenance à la famille du président déchu Djotodia. « On espère qu'il pourra arriver jusqu'à l'aéroport. » Comme lui, des milliers de Centrafricains sont « en danger à tout moment ».
Véronique et Jean-Christian M'Boya ont longtemps mené un engagement associatif pour venir en aide aux enfants victimes du Sida. Avant la guerre, ils ont dû y mettre fin. Mais face aux événements actuels, ils envisagent de mettre quelque chose en place pour aider les enfants des rues, laissés orphelins par la guerre avec « des traumatismes incroyables ». Ils lancent un appel à toutes les bonnes volontés qui souhaiteraient leur prêter main-forte dans ce projet.
BANGUI 24/01/14 20:33 (Reuters) - Un ancien ministre musulman, Joseph Kalité, a été tué vendredi à coups de machette à Bangui, la capitale centrafricaine confrontée à une escalade de la violence au lendemain de l'investiture de la nouvelle présidente par intérim, Catherine Samba-Panza.
Neuf autres personnes sont tombées dans la journée sous les coups de groupes armés dont certains appartenaient aux milices chrétiennes anti-balaka. Des commerces ont été pillés dans le quartier de Miskine, peuplé en majorité de musulmans, ont rapporté des témoins.
Joseph Kalité, qui fut plusieurs fois ministre, notamment du Logement, sortait d'un taxi lorsqu'il a été agressé, a raconté l'un de ses proches par téléphone à Reuters.
"Les anti-balaka l'ont frappé à coups de machette et de bâton jusqu'à ce qu'il succombe", a-t-il dit. Un beau-frère de Kalité, qui se trouvait avec l'ancien ministre, a réussi à échapper aux agresseurs.
Le corps de Joseph Kalité a été conduit à la mosquée Ali Babolo où des reporters de Reuters ont pu voir son corps mutilé.
"Il n'avait pas de fonction au sein de la Séléka", l'ex-mouvement rebelle musulman", a assuré à Reuters Mahmoud Hissène, vice-président d'une organisation de jeunesse islamique. "Il avait même été exclu de la Séléka mais c'était un responsable musulman et c'est pour cela qu'il a été lâchement assassiné."
Depuis l'intervention des forces françaises le mois dernier, et profitant de la désorganisation et du désarmement de certains miliciens musulmans, des chrétiens mènent des opérations de représailles contre les hommes de la Séléka et les civils musulmans.
Les pillages de magasins vendredi à Miskine ont pour leur part entraîné des représailles menées par des combattants musulmans. Des explosions et des fusillades ont été entendues dans le secteur.
Des soldats français et le contingent rwandais de la force de paix africaine, la Misca, sont intervenus et ont tiré des coups de semonce pour séparer les belligérants.
PLUS DE 2.000 MORTS
Le président de la Croix-Rouge centrafricaine, le pasteur Antoine Mbao Bogo, a annoncé que neuf corps, en plus de celui de Joseph Kalité, avaient été retrouvés sur les lieux des affrontements, qui ont fait aussi onze blessés.
Dans le quartier PK12, également largement peuplé de musulmans dans le nord de la capitale, des habitants craignant pour leur sécurité ont décidé de quitter la ville en convoi sous escorte militaire.
Alors qu'ils entassaient leurs maigres biens dans des camions, des anti-balaka rassemblés à quelques centaines de mètres d'eux les insultaient et se moquaient d'eux. Des soldats français ont séparé les deux camps.
Depuis décembre, date du début de l'intervention militaire française aux côtés de forces africaines pour tenter de rétablir la sécurité dans le pays, les violences ont fait plus de 2.000 morts et un million de déplacés selon l'Onu.
Première femme élue à la tête de la Centrafrique depuis l'indépendance du pays en 1960, Catherine Samba-Panza, ancienne maire de Bangui, a dit son intention d'ouvrir le dialogue avec les représentants des groupes armés pour tenter de ramener le calme.
La présence sur le terrain de 1.600 soldats français et de 5.000 soldats africains n'a pas permis pour l'heure d'apaiser les tensions. L'Union européenne a annoncé l'envoi de 500 militaires qui seront basés dans les environs de Bangui et devraient rester sur place pendant six mois avant de passer le relais à la force de l'Union africaine.
Réunis lundi à Bruxelles, pays donateurs et organisations internationales ont promis près d'un demi-milliard de dollars d'aide humanitaire à la République centrafricaine.
Des élections sont prévues au plus tard d'ici février 2015 en Centrafrique.
Avec Paul-Marin Ngoupana, Guy Kerivel pour le service français
La Centrafrique plongée dans une spirale de représailles
A une centaine de mètres du bien mal nommé rond-point de la Réconciliation, sur le bas côté de l'avenue des Martyrs, un homme en costume noir agonise au milieu des hautes herbes. Il tente de lever un bras déchiqueté lorsqu'une équipe du CICR le recueille.
« C'est l'ancien ministre Joseph Kalite. Nous étions en taxi quand les jeunes bandits nous ont attaqué au croisement avec des couteaux », raconte son cadet, NoussaHébint Noubkidive, dépouillé de ses chaussures, de son téléphone et de ses pièces d'identité. Des soldats équato-guinéens de la Misca viennent de le sauver. L'ancien ministre, lui, succombera quelques instants plus tard à l'hôpital communautaire après avoir été poignardé au cou, à la tête et aux bras, tué pour avoir été trop proche de ses « parents » goula et musulmans de la Séléka.
« Les blessures ont évolué. Il y a encore des blessés par balle mais aujourd'hui, l'essentiel des personnes que nous soignons ont été blessées à l'arme blanche ou par des jets de grenades. Hier, on a eu dix passages au bloc. C'est quand même beaucoup pour une période où l'on parle de calme relatif », estime André Munger, l'un des responsables de Médecins sans frontières en RCA.
A peine a-t-il fini sa phrase que de nouvelles victimes arrivent accompagnées de leur famille. Prince Fionboy, 16 ans, a pris une balle dans la tête. « Au début, on a appris que les [milices chrétiennes] ‘anti-balaka’ s'étaient infiltrés dans le marché de Miskine. Après, les Séléka ont tiré à bout portant sur la population civile. Les soldats rwandais de la Misca sont passés à pied en colonne mais dès qu'ils sont partis, ça a recommencé », raconte son petit frère André. Chacun pleure ses morts dans un hôpital où les tentatives d'enlèvement des blessés de l'ennemi se poursuivent.
LES EXACTIONS SE POURSUIVENT
A Bangui, vendredi 24 janvier, la situation était encore extrêmement tendue. Affrontements à l'arme à feu, assassinats vengeurs à l'arme blanche... Ces trois derniers jours, de multiples incidents mortels se sont produits dans la capitale, principalement aux frontières entre les secteurs chrétiens et musulmans ou autour des camps militaires où sont casernés les centaines de combattants de la Séléka, qui ne sont pas remontés vers le nord du pays ou ne se sont pas dispersés en civils dans les quartiers.
Mercredi, de graves violences se sont produites à quelques dizaines de mètres de la demeure de la nouvelle présidente Catherine Samba-Panza. L'ambassadeur de France, Charles Malinas, est resté bloqué pendant plus d'une heure à ses côtés après qu'une foule de badauds et d'« anti-balaka » aient lynché quatre prisonniers Séléka de la prison.
A l'intérieur du pays, des combats, des actes de représailles sont signalés entre les éléments de la Séléka qui tentent de regagner leurs fiefs du nord et de l'est du pays et des groupes de miliciens « anti-balaka » qui progressent dans tout l'Ouest. « C'est pas bon, la situation est en train de nous échapper », confie une source diplomatique. Les soldats français et africains, trop peu nombreux et pas formés pour ce type de mission de maintien de l'ordre, ont le plus grand mal à empêcher les exactions commises le plus souvent par des civils sur des civils.
LA NOUVELLE PRÉSIDENTE INVESTIE
Cette semaine a pourtant laissé espérer un apaisement. Après son élection lundi par les membres du conseil national de transition, Catherine Samba-Panza a été investie trois jours plus tard comme chef d'Etat de transition. La cérémonie, en présence de Laurent Fabius, passé en coup de vent pour signifier à la nouvelle présidente que la France est à ses côtés, s'est déroulée dans un syncrétisme de protocole légué par la colonisation française et de coutumes traditionnelles.
Sous le regard des dix juges de la cour constitutionnelle de transition en cape d'hermine, Catherine Samba-Panza s'est vue successivement remettre l'écharpe de grand croix du mérite centrafricain par le grand chancelier, le drapeau national par le chef d'état major, un bouclier et un couteau de jais par un vieux chasseur habillé d'un costume de peaux de boa et d'écorces de bois et enfin une calebasse d'abondance.
Dans la salle de l'assemblée nationale, chacun y allait alors de son éloge, pas toujours désintéressée, pour la remplaçante de Michel Djotodia, évincé le 10 janvier sous pression internationale et en particulier de la France. Il y a cinq mois, le 18 août 2013, quelques heures après que des roquettes se soient abattues autours de l'Assemblée nationale, l'ancien chef de la Séléka avait prêté serment avec des breloques en toc payées à prix d'or.
LES SÉLÉKA DANS L'ATTENTE
Aujourd'hui, Catherine Samba-Panza bénéficie d'un a priori très favorable des diplomates occidentaux. L'Union européenne a promis d'envoyer 500 soldats. Les bailleurs de fonds promettent de rouvrir le robinet de l'aide. Mais les urgences sécuritaire et humanitaire perdurent, et celle qui devra conduire le pays à des élections doit composer très rapidement un gouvernement, selon ses dires, de dix-huit technocrates. Les déçus, qu'ils soient politiciens ou membres d'un groupe armé, risquent de se faireentendre.
Alors que les groupes « anti-balaka » promettent d'observer une trêve qu'ils ont déjà rompu, les Séléka, même divisés et affaiblis par la pression des forces françaises et le départ de leurs deux principaux responsables, Michel Djotodia et Noureldine Adam, le patron des services de renseignement, promettent qu'ils ne resteront pas éternellement les bras croisés à regarder tous les pouvoirs leur échapper pendant que leurs parents se font massacrer.
« On ne souhaite pas en arriver là mais on attend le top des généraux pour sortir de nos camps. On est prêt à mourir », jure le jeune Ahmat. Furieux, le général Afsakine, lui, dit avoir trouvé la solution à tous les problèmes nés du déclenchement de l'opération Sangaris : « Il faut déclarer la guerre civile ».
Boyabo est le premier camp de réfugiés centrafricains à avoir ouvert en RDC en juillet dernier. En six mois, plus de 8 000 Centrafricains sont venus y trouver refuge à une trentaine de kilomètres de la frontière avec la Centrafrique. C'est toute une logistique à mettre en place, essentiellement par le Haut Commissariat aux réfugiés. Mais ces derniers jours, il y a des inquiétudes quant au stock de nourriture disponible.
Dans le camp de réfugié de Boyabo, à une trentaine de kilomètres de la frontière avec la Centrafrique. Autour du petit préau qui abrite la distribution de nourriture, ils sont plus d’une centaine à se presser, à crier leur mécontentement. Des réfugiés en colère s'emportent : « Au voleur ! », scandent-ils. La raison ? Pour la première fois, leur ration de farine a été réduite. Ils sont persuadés qu’on la leur a pris et se plaignent.
Les fonds du PAM pour la RDC en baisse cette année
A l’intérieur du préau, les volontaires distribuent tout ce qui leur reste : 7 kg de farine de maïs par personne, au lieu de 12 habituellement. Le programme alimentaire mondial (PAM) n’a pas livré autant que d’habitude, comme l'explique Dieumerci Momboi en charge de la distribution alimentaire : « Le PAM nous a approvisionné seulement 60 tonnes, or il nous faudrait 90 tonnes. Cela fait très mal, on voit les réfugiés se plaindre. »
De son côté, le PAM tire la sonnette d’alarme depuis des semaines. Cette année, les donateurs ont été deux fois moins généreux pour la République démocratique du Congo. Résultat, l’agence est obligé de revoir son aide à la baisse. Une situation difficile, alors que la majorité des 8 000 Centrafricains réfugiés du camp estiment déjà ne pas manger assez.