« PAIX, SECURITE ET DEVELOPPEMENT DANS LA BANDE SAHELO-SAHARIENNE :
Défis de la mutualisation des dispositifs de sécurité et enjeux du développement et de la gouvernance locale »
FACE AU CONSTAT PARTAGE D’INSTABILITE ET DE FRAGILITE D’UN GRAND NOMBRE D’ETATS AFRICAINS : QUE FAIRE POUR CONSTRUIRE DES ETATS PLUS ROBUSTES?
En juillet 2011déjà, j’avais été invité par mon ami Jean- Herve Lorenzi, Président du Cercle des Economistes français, pour une intervention sur le thème de la fragilité des Etats africains, et des moyens de les reconstruire afin de les remettre debout.
Dans sa conception générale, la notion même d’Etat fragile ou d’« Etat défaillant » est apparue au début des années 90, pour désigner un Etat incapable d’assurer sa mission essentielle de développement, de garant de la sécurité et de maintien de la paix à l’intérieur de ses frontières.
Une telle défaillance est devenue une donnée stratégique internationale nouvelle, et véhicule des facteurs aggravants pour la sécurité internationale puisqu’elle est naturellement porteuse de plusieurs risques, dont entre autres ceux de violations massives des droits de l'homme et même de génocide - la faillite de l’État pouvant donner lieu à une guerre civile interconfessionnelle, engendrant des génocides - de sanctuarisation : l’absence de contrôle étatique pouvant donner lieu à des trafics illicites - risque de développement du terrorisme régional et international: le pays ou une zone à cheval sur plusieurs pays peut héberger des groupes terroristes à rayonnement plurinational ou international et enfin le risque d'isolement sur la scène internationale. Un gouvernement faible peut être renversé par des acteurs politiques dont les motivations sont la confiscation du pouvoir ou la scission d’un territoire, la mise en place d’un régime totalitaire ou autocratique et isoler le pays de la communauté internationale.
Pour diverses raisons que nous examinerons plus loin, le constat est malheureusement établi que c’est en Afrique que se concentrent le plus grand nombre d’Etats au monde présentant les symptômes d’une défaillance avérée, car on se doute bien à la simple observation empirique , que la faiblesse de l’Etat est fortement liée au sous-développement et à ses conséquences dévastatrices pour la cohésion de l’Etat.
Si en juillet 2011, traiter de cette thématique relevait pour moi d’un exercice quelque peu académique, aujourd’hui, comme vous le savez tous, je vis tous les jours, aux côtés de mes compatriotes dans mon propre pays la République centrafricaine, les conséquences terribles de l’effondrement d’un Etat.
Comme le dit un adage chez nous, « le poisson peut pleurer, mais personne ne s’en apercevra puisqu’il vit dans l’eau ». Je suis aujourd’hui dans la situation de ce poisson qui pleure dans l’eau, et à qui le terrien demande comment fait-il pour vivre dans l’eau, et surtout de décrire cette eau. Je tenterai de le faire en répondant aux trois questions suivantes:
1- Quels sont les signes, c’est-à-dire les caractéristiques généralement admises de la faillite d’un Etat ?
2- Quelles sont les causes principales de la fragilisation, puis de la faillite de l’Etat en Afrique ?
3- Comment remédier de façon efficace à cette situation et construire des Etats solides ?
1- QUELS SONT LES SIGNES ET LES CARACTERISTIQUES GENERALEMENT ADMIS DE LA FAILLITE D’UN ETAT ?
Il y a plusieurs définitions de l’Etat défaillant, mais pour simplifier, nous allons nous en tenir à deux définitions, celles de l’Organisation des Nations Unies et de l’OCDE.
Pour les Nations-Unies, « la fragilité consiste à une érosion de la capacité d’un État à fournir à ses citoyens des services sociaux. La fragilité d’un Etat découlerait aussi de l’absence d’un gouvernement efficace, ou de l’absence des perspectives économiques viables dans un Etat ».
Selon l’OCDE, « Un État est fragile lorsque le gouvernement et les instances étatiques n’ont pas les moyens et/ou la volonté politique d’assurer la sécurité et la protection des citoyens, de gérer efficacement les affaires publiques et de lutter contre la pauvreté au sein de la population ».
Plus concrètement, tous les spécialistes de la question s’accordent à reconnaitre l’autorité des travaux du think-tank indépendant américain « Fund for Peace » associée à la revue « Foreign Policy » sur la question. Cette institution, qui établit chaque année le classement des Etats défaillants dans le monde, utilise douze indicateurs dits de vulnérabilité, qui constituent eux-mêmes« l'indice de vulnérabilité », noté de 0 à 120, de chaque Etat.
Ces indicateurs de vulnérabilité sont répartis ainsi qu’il suit :
- Quatre indicateurs sociaux :
- la pression démographique ;
- 2- les mouvements massifs de réfugiés et de déplacés internes ;
- 3- les cycles de violences communautaires ;
- 4- et enfin l’émigration chronique et soutenue
- Deux indicateurs économiques :
1-les inégalités de développement ;
2-et le déclin économique subit ou prononcé
- Six indicateurs politiques :
1-la criminalisation et la délégitimation de l'État ;
2-la détérioration graduelle des services publics ;
3- les violations généralisées des droits de l'homme ;
4- l’hégémonie de l’appareil de sécuritaire ;
5- l’émergence de factions au sein de l'élite ; et enfin l’intervention d'autres puissances dans les affaires intérieures de ces Etats.
Ces indicateurs peuvent être déclinés de façon plus détaillée mais non exhaustive à travers l’absence de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national c’est-à-dire de relation de domination et de commandement des gouvernants dont la contrepartie est l’obéissance et la soumission des gouvernés ; l’absence de maillage administratif et militaire du territoire national ; l’occupation des pans entiers du territoire national par des contre-pouvoirs qui font prospérer la criminalité transfrontalière (rebellions armées, groupes mafieux, extrémistes religieux) ; la sous-traitance des missions sociales de l’Etat par des organisations non-gouvernementales ; la partialité de l’administration publique à l’égard de certains usagers, partis politiques ou citoyens ; l’absence de promotion par le mérite ; l’impunité ; la gestion non orthodoxe des finances publiques ; la corruption ; la violation délibérée des instruments juridiques nationaux ; l’incivisme; la politisation excessive de l’administration et de l’armée et le manque de moyens de travail pour les autorités administratives (gouverneurs, préfets, sous-préfets) entre autres.
Ce sont tous ces manquements réunis sous le vocable de mal gouvernance et auxquels on pourrait rajouter bien d’autres qui font le lit à un Etat failli.
Sur la base de ces critères généraux, tous les Etats reçoivent un score qui les classe en cinq catégories :
- Etat en situation critique (la pire de situations)
- Etat en danger
- Etat en balance
- Etat stable
- Etat très stable
En 2013, sur les 178 Etats étudiés, on notera que la quasi-totalité des pays africains est classée dans la catégorie « critique », et seuls quelques États du Maghreb et de l’Afrique australe parviennent à se classer dans la catégorie d’Etats « en danger » ou « en balance ».
Rank
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Country
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1
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Somalia
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2
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Congo (D. R.)
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3
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Sudan
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4
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South Sudan
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5
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Chad
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6
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Yemen
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7
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Afghanistan
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8
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Haiti
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9
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Central African Republic
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10
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Zimbabwe
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11
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Iraq
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12
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Cote d'Ivoire
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13
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Pakistan
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14
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Guinea
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15
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Guinea Bissau
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16
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Nigeria
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17
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Kenya
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18
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Niger
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19
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Ethiopia
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20
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Burundi
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2 - QUELLES SONT LES CAUSES PRINCIPALES DE LA FRAGILISATION, PUIS DE LA FAILLITE DE L’ETAT EN AFRIQUE ?
La fragilité des Etats africains s’explique par plusieurs éléments qu’on peut regrouper en deux grands ensembles : une fragilité liée aux fondements mêmes de l’Etat, c'est-à-dire au problème de la légitimité des Etats et de ses instituions secondaires (I), et une fragilité découlant aussi de la mauvaise pratique politique ou institutionnelle (II).
I. Une fragilité originaire : l’absence ou l’insuffisance de la légitimité des Etats africains
Il ne faut pas perdre de vue que l’Etat est une institution politique d’origine européenne. C’est une forme historique d’organisation, ou contingente, liée au développement de la civilisation occidentale. Il n’est pas excessif de parler d’échec de la greffe de l’Etat en Afrique, tout simplement parce que celle-ci n’a pas suffisamment veillé à son adaptabilité. Le mimétisme institutionnel a conduit les peuples africains à transposer les institutions occidentales pour les plaquer à des réalités sociales différentes.
Pour ne s’en tenir qu’aux Etats d’Afrique Francophone, les institutions françaises découlant notamment de la constitution de 1958 y ont été systématiquement adoptées à l’indépendance, sans efforts d’indigénisation poussée et d’appropriation des mécanismes de l’Etat moderne occidental.
Si nous prenons par exemple les conséquences des ravages causés aujourd’hui dans beaucoup de pays africains par le cocktail multipartisme et ethnicité /identité régionale - qui constitue une réalité sociale en Afrique - on est surpris de constater qu’aucune réflexion sérieuse ne se mène pour savoir comment intégrer cette donne dans les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Etat africain, afin d’éviter entre autres que des forces politiques soient essentiellement constituées d’une ethnie ou d’une région, avec toutes les conséquences politiques et institutionnelles.
Il faut tenir compte des réalités du continent, où les réflexes identitaires autour de l’ethnie et de la région sont quasi-omniprésents, pour les dépasser dans le cadre de la construction d’une citoyenneté pleine et entière, dans la diversité. Ce projet républicain est le grand défi d’aujourd’hui et de demain pour nos Etats, face à l’ethnicité et au régionalisme. L’Occident, depuis la Grèce antique, a su progressivement créer la démocratie libérale sans connaître l’ethnicité, mais puisque celle-ci constitue une réalité sociale en Afrique, comment pouvons-nous construire des républiques démocratiques et stables, sans avoir conçu les outils théoriques et pratiques de la « compression » de cette réalité dans les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Etat et des partis politiques ?
Le contexte de la mondialisation rend possible et même souhaitable le phénomène, non d’uniformisation institutionnelle, mais d’harmonisation institutionnelle. Tout le problème est celui de l’adaptation aux réalités sociales spécifiques africaines. Les élites africaines ont une lourde responsabilité dans cette situation, du fait d’une absence de vision politique d’ensemble pour leurs peuples. Ils n’ont pas su ou pu concevoir, à partir des réalités ethniques, un modèle adapté de nation. La faiblesse de l’Etat en Afrique est en grande partie due à l’absence d’Etat-Nation.
II. Une fragilité fonctionnelle : une mauvaise pratique politique et une mauvaise gouvernance économique et financière
Il ne suffit pas de se doter d’un Etat pour que celui-ci fonctionne. Il faudrait non seulement des dirigeants, mais surtout des dirigeants agissant selon les principes d’organisation et de fonctionnement de l’Etat. L’analyse est donc construite ici à partir des principaux éléments constitutifs de l’Etat, à savoir un territoire, une population et un gouvernement.
La fragilité des Etats africains trouve, entre autres, sa racine lointaine dans l’établissement artificiel des frontières des Etats africains. Ce morcellement de l’Afrique par la Conférence de Berlin en février 1885 - la fameuse balkanisation - s’est opéré sans tenir compte de l’Atlas des peuples africains et donc au détriment de leurs identités et de leurs réseaux de solidarité. Plus d’un siècle après, on dénombre cinquante-quatre (54) Etats africains qui, en réalité sont des états-multinationaux et non des états-nations homogènes sur le plan culturel. La conséquence d’une telle situation est le caractère artificiel de ces frontières - ce qui pose de fait la question de leur légitimité - et la dispersion des membres d’une même ethnie c’est-à-dire d’un seul groupe sociolinguistique homogène sur plusieurs pays différents.
Cette situation a très souvent servi de terreau aux problèmes identitaires, à l’irrédentisme, et d’intégration, bien à l’origine de nombreux conflits au sein des Etats (conflit sur l’ivoirité en Côte d’Ivoire) ou entre les Etats.
A titre d’exemple, je citerai le cas des populations Ewé à cheval sur le Ghana, le Togo, le Benin et dans une moindre mesure au Nigeria ; les Sarakolé à cheval sur le Mali et le Sénégal ; les Touaregs dispersés entre la Mauritanie, l’Algérie, le Mali, le Niger, la Libye et le Tchad ; les Kong entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ; les Mossi entre le Togo et le Burkina Faso ; les Mboums entre le Tchad, le Cameroun et le Centrafrique ; les Zaghawa entre le Soudan et le Tchad ; les Zandé entre le Centrafrique, le Soudan du Sud et la République Démocratique du Congo ; les Ngbaka entre le Centrafrique et la R.D. Congo ; les Tutsi et les Hutu répartis entre le Rwanda et le Burundi ; les Fang entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée Equatoriale ; les Somali entre la Somalie et l’Ethiopie. Autant d’exemples de dispersion des peuples africains sur des ensembles territoriaux non homogènes qui posent en soi des problèmes de cohésion sociale. La fragilité des Etats africains tient donc aussi au fait que les Etats ont précédé la nation, à l’inverse de la démarche occidentale. Il n’est pas surprenant que de tels Etats, qui constituent plutôt une mosaïque d’ethnies juxtaposées les unes aux autres, mais rarement intégrées, au point de former un bloc sociologique appelé Nation, soient désarticulés aujourd’hui.
Il faut cependant souligner que la fragilité des Etats africains ne s’explique pas seulement par le mauvais tracé colonial des frontières. Elle est aussi nourrie aujourd’hui par la sève du déficit démocratique et des multiples crises économique et sociale. La pratique perverse, sous toutes ses formes, de la politique en général et de la démocratie en particulier participe également à la fragilité des Etats africains. Les dirigeants qui accaparent le pouvoir au profit d’une minorité ethnique ou régionale affaiblissent leurs Etats. De même, les dirigeants prédateurs sont des acteurs de la fragilité de leurs Etats, en ce qu’ils pillent les biens publics et ont la particularité d’être indifférents à une redistribution équitable des profits de l’économie à l’ensemble de la communauté nationale. L’absence de développement économique contribue à la fragilité des Etats africains. Ainsi, le non-respect des principes fédérateurs de la bonne gouvernance peut induire dans la durée des conflits susceptibles de fragiliser la consistance de l’Etat et, à terme, d’en entrainer la faillite.
La fragilité des Etats africains provient également de la porosité d’une grande partie des frontières nationales. Celle-ci permet la circulation des armes, ce qui alimente les conflits tels qu’au Mali, au Tchad ou en Centrafrique. De ce fait, les Etats n’ont plus la maîtrise de leur territoire et ne disposent pas de moyens conséquents pour surveiller leurs frontières.
Les multiples et récurrentes crises politico-militaires qui ont secoué la République Centrafricaine, mon pays, depuis plus de quarante ans ont gravement fragilisé l’Etat dans ses fondements et créé les conditions de celle, plus dramatique, en cours.
En effet, pendant toutes ces décennies, l’infernal enchaînement de tentatives de coups d’Etat, de coups d’Etat, de mutineries de l’armée, de rebellions armées et d’instabilité institutionnelle a fini par créer les conditions du chaos actuel, du non-Etat, d’Etat-fictif ou fantôme comme on le baptise. Caractérisée par l’inexistence des forces de défense et de sécurité, l’absence totale de l’administration sur toute l’étendue du territoire, la destruction de toutes les infrastructures administratives et sociales, cette situation a induit des comportements asociaux et inhumains.
3- QUE FAIRE, COMMENT LE FAIRE ET QUI DOIT FAIRE QUOI POUR SORTIR CES PAYS DE LEUR SITUATION ?
Les actions à mener sont à la fois politiques, économiques et géostratégiques :
- Des actions politiques :
-
La sagesse populaire affirme qu’« il vaut mieux prévenir que guérir ». En amont de toutes les actions, il y’ a d’abord la nécessité d’améliorer la prévention des conflits. Lorsque des mécanismes d’alerte existent, et sont suivies d’actions politiques et diplomatiques préventives, beaucoup de situations de crise pouvant entraîner la descente aux enfers d’un Etat peuvent être maitrisées. L’absence ou l’inefficacité de tels mécanismes, au triple plan national, sous -régional ou régional font partie des solutions durables à la gestion de ce type de crises.
- Lorsque la prévention a échoué, il s’agira principalement de reconstruire des Etats forts et crédibles, dotés de gouvernements légitimes, avec l’appui politique déterminé de la communauté internationale. Quand un Etat n’est plus en mesure d’assurer la protection de ses propres ressortissants, il devient une source d’instabilité et une menace pour ses voisins. Par conséquent, la responsabilité de la protection de cet Etat doit passer à la communauté internationale qui devient responsable « par défaut ». Cependant toute mission suppose trois conditions : un objectif clair et précis, des hommes capables de mener la mission, et des moyens adéquats. C’est pourquoi, la reconstruction d’Etats défaillants doit être précédée de la mise en place de système de pilotage stratégique, chargé d’élaborer une stratégie commune et concertée d’intervention des principaux bailleurs. C’est la disponibilité d’un tel cadre stratégique d’intervention, cohérent et aux priorités arrêtées en accord avec le gouvernement assisté, piloté par une autorité internationalement crédible et doté d’un mandat clair, qui en garantira l’efficacité. La réunion de ces conditions permettra de construire et /ou de reconstruire des institutions fortes, légitimes, modernes et efficaces à court et moyen terme. Ces stratégies intégrées de nation building et de state building, ont déjà été menées par les Nations Unies, qui disposent d’une somme d’expériences acquises indéniables en la matière (Libéria, Sierra-Leone, Mozambique, etc.). Les Nations Unies ont l’avantage de pouvoir se doter de la légalité et de la légitimité nécessaires pour agir, si besoin est, par la force. Elles mobilisent généralement dans leurs actions l’Union Européenne, et certains de ses pays membres dont l’expérience historique et l’influence sur les pays africains à assister est indéniable, ainsi que des acteurs régionaux et sous régionaux.
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- Les difficultés politiques ne doivent pas être sous-estimées car il y a bien des rentiers insoupçonnés des situations de chaos (putschistes, rebelles, chefs de guerre, vendeurs d’armes, trafiquants de drogues, pillards, etc.). La reconstruction de l’appareil régalien d’un Etat défaillant, ainsi que celle d’institutions nécessaires à la relance de son économie ne sont pas de l’intérêt de certains acteurs, notamment les factions qui monopolisent le pouvoir économique et instrumentalisent les tensions ethniques et religieuses comme moyens de maintenir le chaos politique. Ces factions sont douées dans l’art d’utiliser toutes les ressources de contrôle d’un appareil d’État, même défaillant, pour se maintenir en place. Le trucage des élections, l’intimidation des contre-pouvoirs éventuels et la corruption des élites et des notables leur permettent de tenir l’État et les rentes, tout en se couvrant d’un vernis démocratique. La tentation du laisser-faire est sous-tendue par une lecture fataliste de l’histoire de l’Afrique : des expressions malheureuses comme : « ils sont tous comme ça », « on ne pourra rien changer, c’est leur nature », « ils ne sont pas mûrs pour la démocratie », etc. etc. le prouvent. Très souvent les interventions de la communauté internationale n’arrivent que lorsque les dégâts deviennent insupportables. En d’autres termes, beaucoup de pays post-conflits n’auraient pas dû arriver à ce stade si les réactions de la communauté internationale avaient été diligentes, opportunes et cohérentes.
- Il faut reconstruire des Etats viables, c’est-à-dire se donner les moyens de faire triompher les valeurs démocratiques universelles qui garantissent la présence des forces politiques aux opinions différentes dans la représentation nationale par le biais d’élections libres, ainsi que leur participation effective à la gestion de la chose publique. Les minorités doivent être admises et respectées. La viabilité d’un Etat sous-tend sa stabilité, et cette condition détermine son attractivité pour des investissements durables dans l’économie réelle, gage de création de richesses et d’emplois nécessaires à la permanence de l’Etat.
2 - Des actions économiques :
- Si certains Etats défaillants sont dotés de ressources minières et minérales non négligeables, d’autres le sont moins. Tous font cependant face au même problème : la médiocrité des capacités de gestion macroéconomique, avec une vision claire des objectifs à court, moyen et long terme. Il faut promouvoir l’intégration de ces pays dans l’économie mondiale, par l’émergence de capacités locales à même de développer durablement les économies, tout en protégeant leurs actifs et leur environnement.
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- Il faut les appuyer dans le développement et le renforcement de leurs capacités à créer un environnement favorable à la promotion des investissements privés, y compris mais pas uniquement, les Investissements Directs Etrangers (IDE). Ce n’est pas une tâche aisée, face à une culture administrative fondée sur la toute-puissance de l’Etat, pourtant défaillant. La promotion des investissements privés est le seul moyen d’assurer la viabilité budgétaire de ces pays par le biais d’une fiscalité transparente et performante. Un Etat debout et fort, ce sont des finances saines. Il faut veiller à ce que le budget dégage un solde budgétaire primaire positif. Cela est nécessaire pour faire face au service de la dette, ainsi qu’à la réhabilitation et à la construction des infrastructures routières, et des réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement.
- Il faut aider ces Etats à maintenir la stabilité monétaire et à éviter le surendettement, surtout lorsqu’il est sans contreparties en matières d’investissements locaux. La maitrise des flux internationaux de matières premières et de leurs revenus est également une priorité.
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- Un Etat défaillant est synonyme d’économie informelle avec ses conséquences bien connues : corruption des fonctionnaires, travail clandestin, marchés parallèles, contrebande, contrefaçon, trafic de drogue, blanchiment de l'argent sale dans les paradis fiscaux. Il faut donc combattre l’économie informelle.
- Il ne faut plus accepter le détournement de l'aide internationale ;
- Il faut développer les moyens de structures telles que LICUS, ou LowIncome Countries Under Stress, de la Banque mondiale qui a acquis une expertise certaine dans le redressement économique d’Etats faillis.
- Il faut jeter les bases d’une sécurité alimentaire solide par un appui déterminé à l’agriculture et à la sécurisation de la propriété des terres,
3 - Des actions géostratégiques
La défaillance des Etats a des répercussions géopolitiques qui menacent la stabilité de la région et modifie les rapports de puissance avec les Etats voisins.
De ce fait, la réflexion géostratégique mondiale devra s’orienter vers trois points à savoir :
- La mise en place effective de a Force Africaine en Attente (FAA) au sein de l’Union Africaine, avec l’assistance militaire des Nations Unies et de l’Union Européenne, pour faire face aux situations les plus difficiles ;
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- La mobilisation des moyens pour faire face aux menaces externes et internes communes, tels que les intégrismes religieux et les systèmes maffieux en voie de radicalisation dans certaines zones, en impliquant une collaboration de tous les Etats.
- La restructuration et la formation des forces de défense et de sécurité des Etats défaillants.
4 – Renforcement des politiques d’intégration sous régionale et régionale
Les Etats africains doivent développer de manière volontariste et déterminée les politiques d’intégration sous régionale et régionale, afin de réduire au maximum les effets négatifs des barrières physiques matérialisées par les frontières, puisque dans la réalité, il n’y a pas de barrières humaines entre les peuples. En réduisant les facteurs de fragilisation, on renforce le processus de consolidation des Etats africains.
En conclusion, la construction des Etats solides doit tenir compte du fait socio-historique qu’est la préexistence des groupes sociolinguistiques sur lesquels sont plaqués les nouveaux Etats issus de la Conférence de Berlin et affermir au quotidien la gouvernance des affaires publiques.
Cette tâche est complexe et nécessite une volonté politique résolue de la communauté des nations. C’est un facteur indispensable pour éliminer les facteurs et des foyers de risque d’atteintes très graves aux droits humains, à la sécurité internationale et au développement des échanges. Trouver des remèdes au phénomène de la fragilité des Etats africains est une tâche essentiellement collective.
Pour ma part, je considère que les explications passées ici en revue les unes après les autres comportent déjà en elles-mêmes un début de solution. Toutefois, les réflexions doivent se poursuivre et s’appesantir sur les points suivants :
- Sur le plan politico-institutionnel, il faudrait par exemple rénover les institutions publiques. Les dirigeants devraient avoir une bonne pratique démocratique, tout en étant soucieux de garantir des services sociaux de base à leurs populations.
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- Sur le plan sécuritaire, il faudrait pour ces Etats dits fragiles, un renforcement de leurs moyens humains, matériels et aériens en matière de contrôle et de surveillance de leurs frontières et de leur territoire.
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- Sur le plan économique, une amélioration de la gouvernance économique et financière contribuerait aussi à la réduction de la fragilité des Etats. Les partenaires bilatéraux et multilatéraux ont également ici un rôle majeur à jouer.
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Je peux conclure en disant que la fragilité des Etats africains n’est pas une fatalité.