Le Tchad veut retirer ses troupes de Centrafrique
Tanguy Berthemet Le Figaro Mis à jour le 03/04/2014 à 19:10
Lassé des accusations contre ses soldats, le principal partenaire de l'armée française quitte brutalement la force africaine.
Le Tchad quitte la Centrafrique. Dans un communiqué lapidaire, Ndjaména a fait part jeudi de son intention de «retirer le contingent tchadien de la Misca (la mission africaine en Centrafrique)». Annoncée depuis Bruxelles, où se tenait un sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine largement consacré à la crise à Bangui, la nouvelle a pris tout le monde de court. Ni le général Mokoko, chef de la Misca, ni les pays de la région ne semblaient au courant. «On ne s'y attendait pas. Il faut voir maintenant quand et comment se fera ce départ», reconnaît un diplomate. Pour l'heure, les autorités tchadiennes se sont en effet contentées de déclarer que «les modalités pratiques de ce retrait seront arrêtées d'un commun accord avec l'Union africaine».
Ce manque de précisions, associé au brusque départ du président Idriss Déby de la capitale belge, confirme que cette retraite est le fruit d'un coup de sang. Au cœur du problème, une fusillade, samedi 28 mars à Bangui, impliquant des militaires de l'armée nationale tchadienne (ANT). Le clash a causé la mort de huit à dix civils. Selon des témoins, des soldats de Ndjaména auraient ouvert le feu sans discrimination sur la foule alors qu'ils traversaient le PK12, un quartier chrétien à l'entrée nord de la capitale centrafricaine. Les officiers tchadiens ont pour leur part affirmé avoir répliqué à une attaque à la grenade des Anti-Balaka, une milice chrétienne. «Il y a bien eu une attaque des Anti-Balaka, mais la réponse des Tchadiens était totalement hors de proportion», tranche un militaire africain en poste à Bangui. L'incident a soulevé une vaste protestation. La présidente centrafricaine, Catherine Samba-Panza, a demandé l'ouverture d'une enquête. À l'ONU, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme a affirmé «que des soldats tchadiens avaient tiré sur la foule». Sentant le vent mauvais, Paris a bien tenté de réagir en faisant porter la responsabilité du drame sur les Anti-Balaka.
Dans son communiqué, Ndjaména précise en effet que c'est «face aux accusations répétées (…) tendant à leur faire porter la responsabilité de tous les maux dont souffre la République centrafricaine» que la décision de quitter la RCA a été prise. Dans les faits, l'incident du 28 mars n'est que le dernier d'une longue liste de litiges opposant la RCA et le Tchad.
Pour la Misca, cela reste néanmoins une mauvaise nouvelle. Avec 800 hommes aguerris, le Tchad représentait l'un des contingents les plus puissants et les plus efficaces de la force africaine
De fait, les troupes tchadiennes ont régulièrement été taxées par les chrétiens centrafricains de complicité avec les miliciens de la Séléka, une rébellion à majorité musulmane qui avait pris le pouvoir en mars 2013 avant d'être chassée par les troupes de la Misca et les Français de «Sangaris». Non sans raison.
La chasse à l'homme et les lynchages qui, depuis trois mois, ont systématiquement visé les membres de la communauté musulmane de Centrafrique, souvent d'origine tchadienne, ont encore un peu plus tendu les choses. Et les relations délicates qu'entretiennent Idriss Déby et Catherine Samba-Panza n'ont rendu le dialogue que plus difficile encore. Pour brutale qu'elle soit, l'annonce du retrait tchadien n'est donc pas une surprise.
Pour la Misca, cela reste néanmoins une mauvaise nouvelle. Avec 800 hommes aguerris, le Tchad représentait l'un des contingents les plus puissants et les plus efficaces de la force africaine. Or, avec 6 000 hommes - en comptant les Tchadiens -, cette mission était déjà considérée en sous-effectif pour assurer sa mission.
À Paris, l'hypothèse d'un départ de l'ANT n'est pas mieux accueillie. Depuis l'intervention au Mali, la France a fait du Tchad son principal partenaire lors de ses opérations militaires dans cette partie de l'Afrique. Si Ndjaména n'est plus au Mali depuis des mois, l'armée française comptait sur son homologue tchadienne pour contrôler le nord-est de la Centrafrique encore sous domination de la Séléka. Tout n'est cependant pas encore perdu. Si les Tchadiens claquent la porte, ils ne le feront qu'en bon ordre et, dans l'attente, «assumeront, sans failles, (leur) mission de paix dans les zones relevant de (leur) responsabilité».
Centrafrique: le Tchad dénonce «un lynchage médiatique et politique»
(RFI 04/04/14)
Le Tchad retire son contingent de la force africaine déployée en Centrafrique, la Misca. L'annonce en a été faite à Bruxelles, jeudi 3 avril, à l'occasion du sommet Union européenne-Afrique. Moussa Faki Mahamat, le ministre tchadien des Affaires étrangères explique, pour RFI, les raisons de cette décision.
Pourquoi avez-vous décidé le retrait du contingent tchadien de la Misca ?
Moussa Faki Mahamat : Le contingent tchadien en Centrafrique est déployé dans le cadre d’une mission internationale. Nous avons constaté depuis plusieurs mois un lynchage systématique qui touchait le Tchad, son contingent et même les citoyens tchadiens vivant en Centrafrique. On fait porter la responsabilité sur le Tchad, sur le contingent tchadien, même si ce contingent agit dans le cadre du mandat. Le week-end passé, des éléments [tchadiens], qui sont en mission, ont été appelés par le commandant de la force de la Misca pour venir à Bangui. Ils sont tombés dans une embuscade tendue par les anti-balaka. Naturellement, ils ont réagi. Cela a soulevé un tollé.
Et il faut que les choses soient très claires, pour nous. Les milices anti-balaka ont été qualifiées par les forces internationales, notamment par la Misca et Sangaris [l'opération française en Centrafrique, ndlr], comme des forces ennemies à la paix, et qui devraient être traitées comme telles. Ce sont les propos du général Mokoko [le général congolais Jean-Marie Michel Mokoko, chef de la Misca, ndlr]. Alors, quand les Tchadiens ont réagi à cette attaque, il y a eu un tollé. Il y a des responsables politiques, et pas des moindres, qui ont qualifié les anti-balaka de « patriotes » et dit que les Tchadiens sont venus tuer des citoyens centrafricains. Cette campagne a trop duré. Nous nous sommes vraiment fait violence pendant longtemps, ramant pratiquement à contresens de notre propre opinion [publique], qui ne comprend pas que ses fils se sacrifient, que le Tchad continue, que le gouvernement continue à se taire sur des agissements contre le Tchad et contre les Tchadiens.
La même armée tchadienne, dont on loue le courage et le professionnalisme au Mali, on la traite ici comme si elle était une milice venue à la rescousse d’une région ou d’une confession. Pour nous, c’est absolument inadmissible.
Est-ce que ce retrait est irrévocable, définitif ?
Absolument. Ce n’est pas une décision qui a été prise à la légère. Nous en avions étudié tout le contour. Il est mieux pour nous, peut-être pour la Centrafrique, qu’il n’y ait pas de soldats tchadiens en République centrafricaine. Nous avons suffisamment encaissé et il est tout à fait légitime pour nous de défendre quand même la réputation de nos forces, même si les responsables de la transition et même si bon nombre de milieux pensent que la présence des troupes tchadiennes pose problème. Notre objectif n’est pas de poser des problèmes en Centrafrique. C’est d’aider au rétablissement de la paix et de la sécurité dans ce pays. Si notre retrait peut aider au retour de la paix, nous le ferons volontiers et nous avons pris la décision de le faire.
Comment expliquez-vous cette mauvaise réputation du contingent tchadien, alors que les autres contingents de la Misca ne subissent pas le même traitement ?
C’est une mauvaise réputation fabriquée ! On n’arrive pas à le comprendre. La même armée tchadienne, dont on loue le courage et le professionnalisme au Mali, on la traite ici comme si elle était une milice venue à la rescousse d’une région ou d’une confession. Pour nous, c’est absolument inadmissible.
Un rapport d’experts du Haut commissariat des droits de l’homme de l’ONU, présenté en janvier, pointe un certain nombre d’exactions...
Aucun rapport ne nous a été présenté. Si tel était le cas, on n’aurait pas accepté le contingent tchadien dans le cadre de la Mission internationale de soutien à la République centrafricaine.
Aujourd’hui, est-ce une organisation ou un pays qui demande au Tchad de partir ou est-ce une décision du Tchad ?
C’est une décision souveraine. Nous avons informé nos partenaires. C’est nous qui avions pris la décision. Personne ne nous l’a demandé.
Concrètement, comment va s’articuler ce retrait ?
Nous allons en discuter pour que d’autres contingents, éventuellement, occupent les postes occupés par les Tchadiens. De toutes les façons, nous sommes en contact avec la Misca, donc avec l’Union africaine, pour les modalités pratiques du retrait de notre contingent.
Le contingent tchadien a participé à organiser et à protéger l’évacuation de populations musulmanes. Ce travail-là est-il terminé ?
Il ne devrait pas être du ressort uniquement du contingent tchadien. C’est la mission de l’ensemble des forces internationales. Si on nous reprochait ça, ce serait non assistance à personnes en danger. Tout le monde le sait, même maintenant. Hier [jeudi 3 avril, ndlr] au mini-sommet sur la Centrafrique à Bruxelles, le secrétaire général des Nations unies a dit que « le génocide a été évité parce que les communautés ont fui vers leurs régions d’origine ». Donc, il y a une situation extrêmement grave. Et si notre contingent a escorté ou a protégé, c’est tout à son honneur.
Cette décision peut-elle avoir un impact sur l’engagement du Tchad au Mali par exemple ?
Nous aviserons.
Ce n’est pas exclu ?
Nous aviserons.
Le Tchad est au Conseil de sécurité de l'ONU en ce moment. Quels sont ses principaux objectifs, ses priorités ?
C’est la paix et la sécurité. Aujourd’hui, le Tchad, géographiquement, est pratiquement entouré par des zones de conflit : la Libye au nord, le Darfour depuis une dizaine d’années à l’est, la Centrafrique au sud, à l’ouest c’est le Nigeria avec Boko Haram. Et nous sommes sur le pied de guerre. C’est par volontarisme, volontarisme qui nous coûte parfois extrêmement cher, que nous avons accepté d’envoyer des troupes, parce que notre propre territoire a besoin d’être protégé, parce que ces crises sont pratiquement à nos frontières.
http://www.rfi.fr/afrique/20140404-centrafrique-le-tchad-den...
RCA: les conséquences du retrait des Tchadiens de la Misca
(RFI 04/04/14)
L'annonce-surprise du ministre tchadien des Affaires étrangères ce jeudi 3 avril est intervenue après la dernière polémique en date. Une fusillade le week-end dernier qui a fait au moins 8 morts à Bangui. Si de nombreuses voix en Centrafrique se sont élevées ces derniers mois pour réclamer le départ des soldats tchadiens accusés de bavures, leur retrait va poser un certain nombre de difficultés à la force africaine.
Comment mener à bien la difficile mission de protection des populations civiles, et en particulier musulmanes, une fois que le contingent de 6 000 hommes, actuellement, sera amputé de 850 soldats aguerris ? Cette question et celle des modalités de retrait seront discutées dans les jours et les semaines qui viennent. En attendant, Ndjamena assure que son contingent assumera sa mission de paix dans les zones relevant de sa responsabilité.
Le Tchad perçu comme le protecteur des musulmans
Le Tchad qui, ces derniers mois, a rapatrié des dizaines de milliers de ses ressortissants ainsi que des Centrafricains d'origine tchadienne ou non est perçu comme le protecteur des musulmans de Centrafrique. Et son retrait pourrait provoquer des craintes supplémentaires parmi ces populations. Mais les autres contingents ont déjà démontré leur capacité à remplir ces mêmes missions. Petite consolation pour la Misca, la décision tchadienne intervient alors que la force européenne (Eufor-RCA), est attendue à Bangui à partir de la fin du mois. 800 hommes qui auront pour mission de sécuriser l'aéroport et une partie de la capitale, permettant à la Misca de revoir l'organisation de son dispositif en redéployant des hommes dans les secteurs dévolus au Tchad.
L'annonce du retrait tchadien intervient aussi au moment où Sangaris entre dans sa troisième phase : son déploiement dans le nord-est du pays. L'armée française a commencé cette semaine à se déployer dans l'est de la Centrafrique, a indiqué jeudi le général Francisco Soriano, dirigeant l'opération. L’arrivée de l’Eufor et de renforts français « nous permettra de consacrer des moyens supplémentaires à notre déploiement dans l’est, dans un premier temps, mais aussi dans le nord ». Une région dans laquelle, a reconnu le général du bout des lèvres, les militaires français sont déjà présents. « Dans le nord, en fait, nous y sommes déjà. Voilà. Nous avons des éléments de reconnaissance, de renseignement, à Ndélé. Nous savons ce qu’il s’y passe. Nous avons des contacts avec des acteurs locaux. Et la Misca s’est déjà déployée dans le nord. Il n’est pas impossible que la Misca poursuive son déploiement dans cette partie-là », a-t-il déclaré.
■ ZOOM : Nouvelles pressions sur Pretoria
Le retrait tchadien soulève à nouveau le problème de pays contributeurs. L’Afrique du sud a réitéré a plusieurs reprises qu’elle n’enverrait pas de soldats. Pretoria a essuyé de lourdes pertes en Centrafrique, lors de la chute du président François Bozizé. Quinze militaires sud-africains sont décédés l'année dernière. Mais selon Roeland van de Geer, ambassadeur de l’Union européenne en Afrique du Sud, le retrait des troupes tchadiennes va accentuer la pression sur Pretoria.
http://www.rfi.fr/afrique/20140404-plus-tchadiens-sein-misca...