13/06/14 (Le Monde)
Cent vingt gendarmes en treillis dépareillés s’agitent sur le gravier mouillé de la place d’armes Martin-Lingoupou. Vraies clés de bras, fausses dispersions de manifestants, intervention rapide avec des fusils et des pistolets de bois bleus. Devant la tribune ministérielle, les agents s’efforcent de démontrer qu’après huit semaines de stage, ils sont aptes à « la gestion démocratique des foules ».
La formation a été dispensée par une société française, Gallice, sur fonds privés. « Un peu moins d’un million d’euros pour former et rééquiper en partie environ 280 policiers et gendarmes », précise Frédéric Gallois, un ancien commandant du GIGN reconverti dans la sécurité privée.
Niel Telecom, propriété de Laurent Foucher, un homme d’affaires proche de Claude Guéant, est l’un des principaux bailleurs de l’opération. Sous embargo des Nations unies, la République centrafricaine n’a pas le droit d’importer du matériel militaire mais une « tolérance » a été accordée pour les forces de l’ordre.
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Alors que la sécurisation du pays a été déléguée aux forces africaines de la Misca et françaises de « Sangaris », en trop faible nombre pour remplir pleinement cette mission, et que l’armée centrafricaine est tenue à l’écart du processus, ce qui provoque une grogne inquiétante des soldats, policiers et gendarmes sont désormais priés de reprendre leurs activités, même si les moyens font défaut et que leur sens de l’éthique est sujet à caution. « Je dispose de près de 3 900 hommes mais ils ne sont pas équipés. Pour l’instant, nous n’avons que 14 véhicules octroyés par les Nations unies. Nous ne vivons que par les aides de la communauté internationale. Les agents reviennent pour toucherleur solde mais pour relancer les activités, il faudrait qu’ils ramènent les armes qu’ils dissimulent encore », explique le ministre de la sécurité publique, Denis Wangao Kizimale, derrière ses épais verres fumés.
Cette indigence matérielle, il suffit de se rendre dans les locaux de la direction des services de la police judiciaire pour la mesurer. Dans son grand bureau tout vide, le colonel Jean-Pierre Ngbo-Toubakete raconte que « les forces internationales nous demandent denous contenter de monter des procédures mais pas d’aller chercher les bandits ». « De toute façon, avec deux fusils et cinq matraques, nous ne pouvons rien face à des malfrats bien armés. » Ses services, ajoute l’officier, ont été tout d’abord pillés par les ex-rebelles à majorité musulmane de la Séléka, qui avaient pris le pouvoir en mars 2013, puis cambriolés dans la nuit du 25 avril. « Regardez, il ne nous reste qu’un seul ordinateur donné par le ministère de la justice », se désole le colonel Ngbo-Toubakete.
Dans cette tentative de remise en route de la chaîne pénale, la justice est elle aussi en phase de renaissance. Dans l’immense salle du tribunal de grande instance de Bangui, de présumés délinquants sont jugés pour des vols d’ordinateurs à la Caisse nationale de sécurité sociale, de motos, de tôles ondulées, des outrages à magistrat, dans des audiences correctionnelles de flagrants délits.
Le petit banditisme au quotidien est sur les bancs, mais pas les grands criminels, auteurs ou commanditaires des exactions commises depuis la fin 2012.
« On me dit qu’il faut juger les Séléka mais ils sont tous partis escortés par les forces internationales. Pour les milices anti-balaka [à majorité chrétienne, anti-musulmans], nous ne jugeons que les individus isolés. On ne peut pas s’en prendre aux groupes qui peuvent venir nous attaquer jusqu’au tribunal. Il y a trop de menaces et nous ne sommes pas invulnérables », reconnaît Ghislain Grésenguet, le procureur de la République du pays, pistolet à la ceinture.
De fait, les dossiers criminels, les massacres comme les assassinats ciblés, sont en souffrance, car, selon M. Grésenguet, « les magistrats attendent d’avoir une vision claire de ce qu’il faut faire ». « Il y a des discours contradictoires. Le pouvoir politique nous dit qu’il faut lutter contre l’impunité, mais en même temps, il dit qu’il faut ouvrir le dialogue. »
« Nous vivons dans une insécurité totale. Les priorités sont diffuses et je doute que la justice fasse partie des priorités », ajoute un juge sous couvert d’anonymat.
« LES GENS ONT PEUR DES REPRÉSAILLES »
Si elle se félicite notamment de la réouverture d’un tribunal en province, à Bouar, grâce à la protection des forces étrangères, la garde des sceaux, Isabelle Gaudeuille, admet sans détour que l’institution dont elle a la charge est encore convalescente. « Les gens ont peur des représailles, alors ils ne déposent pas plainte. Les policiers et les gendarmes ne peuvent se rendre dans certains quartiers pour mener des interpellations. Le temps de la main tendue semble terminé, mais les gros poissons ne sont pas dans la nasse, d’autant que lorsque l’on lance des mandats d’arrêt contre eux, ils disparaissent avec la complicité des forces de l’ordre », dit la ministre. Ne disposant ni des moyens d’enquête ni de poursuites, les autorités centrafricaines ont saisi la Cour pénale internationale.
La maison centrale de Ngaragba est aujourd’hui le seul établissement pénitentiaire fonctionnel du pays. Les 303 détenus, selon le dernier décompte, se partagent entre des blocs dénommés « Maison Blanche » pour les personnalités, « Couloir » ou « Irak » pour les autres. Nombre d’entre eux se plaignent d’avoir été jetés là depuis plusieurs mois sans mandat de dépôt.
En mars, quelques jours après la « réfection » de la prison, onze chefs anti-balaka se sont fait la belle. Depuis le 31 mai, douze autres prisonniers manquent à l’appel. Pour escalader les murs d’enceinte, les fugitifs ont utilisé les portes des toilettes. Le mirador était désert. Le régisseur des lieux, le commandant Barnabé Konzelo, reconnaît que ces évasions n’auraient pas été possibles « sans la complicité des gardes ».
Cyril Bensimon
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/06/13/l-etat-cent...