18/06/14 (Dw-World)
C'est le titre d'un rapport que l'organisation internationale sur la bonne gouvernance, l'International Crisis group, ICG, vient de publier sur la Centrafrique. Dans ce rapport, l'organisation affirme que la crise actuelle en République centrafricaine, qui a débuté en décembre 2012, a participé à la faillite de l'Etat. Le rapport met surtout à l'index le pillage qu'ont orchestré bon nombre de dirigeants qui ont fait main basse sur l'économie illicite du pays.
Pour cette organisation, le bref passage de la Seleka au pouvoir, entre mars et décembre 2013, a été marqué par une gouvernance en trompe l'œil. Et Joseph Bindoumi, le président de l'association centrafricaine des droits humains, d'ajouter :
« Le régime Seleka nous a amené là où nous n'étions jamais arrivés avant en termes de crimes, d'abus et de mauvaise gouvernance. Si certains hauts responsables d'Afrique ou d'ailleurs, ont soutenu Michel Djotodia avec le régime Seleka, je me rappelle vous avoir dit une fois que dans le régime Seleka, il n’y avait que des pyromanes, c'est-à-dire ceux qui avaient mis le feu au pays et qui étaient revenus comme des pompiers pour éteindre le même incendie donc cela ne m'étonne pas que des gens qui avaient donné l'impression de soutenir Djotodia l'ont laissé faire les pires exactions qu'ait connues le pays. »
Le président de l'association centrafricaine des droits humains, Joseph Bidoumi, fait aussi allusion au soutien du Tchad apporté au pouvoir de l'ancien président Michel Djotodia et de l'intervention des soldats envoyés par N’djamena en RCA. Pour lui tout cela a participé à faire de la Centrafrique un état sans droit ni loi.
Un constat relevé par l'ICG, dans son dernier rapport sur la Centrafrique. Selon les experts de l'International Crisis Group, la Seleka s'est illustrée comme un régime de bandits qui a vidé les caisses de l'Etat, et fait sienne les réseaux de trafic d'or, de diamants et d'ivoire dont certains de ses éléments étaient les principaux commanditaires.
Enfin, le rapport met en cause l'intervention internationale pilotée l'Union africaine, les Nations unies et la France. Des forces jusque-là incapables de stabiliser le pays. L'ICG demande aux armées étrangères présentes en RCA de renforcer la protection des civils pour permettre le retour d'un système effectif de gouvernance à même de fournir des services minimum de base aux populations.
Et pour permettre cela, l'ONG centrafricaine Paix-Réconciliation-Tolérance, PARETO, qui a initié une action de médiation entre anti-balakas et ex-Séléka. Une médiation qui, il y a deux jours de cela, a permis aux responsables des anti-balaka et ex-Seleka, groupes armés en conflit en Centrafrique, de se rencontrer et de discuter. Et les dirigeants de ces deux groupes ont décidé de prochainement mettre en place un comité conjoint de réflexion sur la situation que vit leur pays.
Néanmoins, pour l'instant aucun détail n'a filtré sur la date et le lieu de cette prochaine rencontre. Mais, selon l'ONG Pareto, les deux groupes armés ont la volonté d'aller de l'avant afin de mettre un terme aux souffrances des populations.
Depuis la destitution en janvier dernier du président Michel Djotodia, chef de l'ex-coalition rebelle Seleka, au profit de Catherine Samba-Panza, les deux mouvements armés continuent de s'affronter. A défaut d'être désarmées de force, ils ont été tenus à distance par les forces internationales présentes dans le pays. Au nord se trouvent les ex rebelles Seleka avec un QG à Bambari. Au sud, les anti-balaka, milices fidèles à l'ancien président François Bozizé. La réconciliation envisagée devra donc briser de nombreuses entraves…
Il s'agit pour la Seleka et les anti-balaka de trouver des solutions à plus de 15 mois de crise. Une crise marquée par des massacres ethnico-religieux. Néanmoins, la tentative de dialogue est positivement appréciée par la communauté internationale et autres observateurs. D'ailleurs, dans le pays, on assiste à une reprise des activités économiques et au paiement des salaires des agents de l'état. Mais l'insécurité est loin d'avoir régressé.
Les ingrédients de l'instabilité demeurent. Les anti-balaka et la séléka continuent de s'affronter. La semaine dernière, au moins 22 personnes été tuées à Liwa, un village situé à 10 km de Bambari. Malgré cette situation, l'ONG Pareto espère que bientôt, les débats entre les deux mouvements pourront mettre fin à ces événements malheureux.
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La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation
Nairobi/Bruxelles | 17 juin 2014 Thibaud Lesueur, analyste pour l’Afrique centrale
Pour stabiliser la République centrafricaine (RCA), le gouvernement de transition et ses partenaires internationaux doivent compléter l’approche sécuritaire par la relance de l’économie productive et la lutte contre la corruption et les trafics.
« La mauvaise gouvernance et la prédation ont détruit ce qui restait de l’Etat, de l’économie et ont appauvri la population. ... L’actuel mandat de la mission de maintien de la paix n’est pas à la hauteur du défi centrafricain ».
Des décennies de mauvaise gouvernance et de prédation par les autorités centrafricaines et les groupes armés ont conduit au déclin de l’économie et à l’effondrement de l’Etat en 2013. L’intervention internationale privilégie l’approche sécuritaire au lieu de proposer une stratégie de stabilisation globale. Dans son dernier rapport, La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation, l’International Crisis Group affirme la nécessité d’une approche qui articule l’opération de maintien de la paix avec la relance de l’activité économique, le soutien à la reconstruction de l’Etat et la lutte contre les trafics.
Les conclusions et recommandations principales du rapport sont:
La demande du gouvernement de transition pour un soutien international fort crée l’occasion de nouer un partenariat durable entre nouvelles autorités et acteurs internationaux, notamment le G5 – les Nations unies, l’Union européenne, les Etats-Unis, l’Union africaine et la France – et les Etats voisins.
Ce partenariat devrait aller au-delà des mesures d’urgence et inclure un soutien aux institutions étatiques, à la lutte contre la corruption et les trafics ainsi qu’une relance de l’économie formelle. La nouvelle mission des Nations unies (Minusca) devrait élargir son mandat pour répondre à ces objectifs.
Pour combattre la prédation d’Etat et améliorer la gestion des finances publiques, le gouvernement de transition et ses partenaires internationaux devraient s’accorder sur une gestion partagée des principaux services financiers.
Pour lutter contre les réseaux de trafics illégaux, le gouvernement de transition devrait enquêter sur les fonds présumés détournés par les deux gouvernements précédents avec l’aide d’Interpol, des bailleurs de fonds et des Nations unies. Une cellule spécialisée devrait être créée au sein de la Minusca pour enquêter sur les trafics d’or, d’ivoire et de diamants.
Pour redynamiser l’économie, le gouvernement, le secteur privé et les bailleurs devraient lancer des chantiers à haute intensité de main d’œuvre dans le secteur agricole et les travaux publics. Cela permettrait de créer de l’emploi, en particulier pour les jeunes et les combattants
« La mauvaise gouvernance et la prédation ont détruit ce qui restait de l’Etat, de l’économie et ont ap-pauvri la population », affirme Thibaud Lesueur, analyste pour l’Afrique centrale. « L’actuel mandat de la mission de maintien de la paix n’est pas à la hauteur du défi centrafricain ».
« Les acteurs internationaux en Centrafrique et le gouvernement de transition doivent comprendre qu’une opération de maintien de la paix n’est pas une stratégie mais un outil », affirme Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale. « Tant qu’ils n’établiront pas un réel partenariat pour combattre les causes profondes de la crise et changer le système de gouvernance, ils sont condamnés à répéter les erreurs du passé ».
La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation
Rapport Afrique N°21917 juin 2014
SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS
La crise actuelle en République centrafricaine, qui a débuté en décembre 2012, marque la désagrégation de l’Etat, conséquence de la double prédation des autorités et des groupes armés. La Seleka a amplifié et porté à son paroxysme la mauvaise gouvernance des régimes précédents. Ses dirigeants ont pillé ce qui restait de l’Etat et fait main basse sur l’économie illicite du pays. Afin de rompre avec le cycle des crises qui caractérise la Centrafrique et de favoriser l’émergence d’un Etat fonctionnel capable de protéger ses citoyens, il est impératif de rendre l’intervention internationale plus efficace en y adjoignant comme priorités, en plus de la sécurité, la relance de l’économie productive et la lutte contre la corruption et les trafics. Seul un partenariat étroit entre le gouvernement de transition, les Nations unies et le groupe des internationaux impliqués dans cette crise (G5) permettra de relever ce défi. Ce partenariat doit notamment comprendre l’affectation de conseillers techniques étrangers au sein des ministères clés.
Le bref passage de la Seleka au pouvoir, entre mars et décembre 2013, a été marqué par une gouvernance en trompe l’œil. Affichant publiquement de bonnes intentions, le régime n’a cessé de commettre des exactions. En digne héritière des régimes précédents, la Seleka s’est adonnée au banditisme d’Etat en vidant le Trésor public et en commettant de nombreux abus de pouvoir pour s’enrichir indûment. Elle s’est également efforcée de faire main basse sur les réseaux de trafic les plus lucratifs (or, diamants et ivoire) dans lesquels certains de ses éléments étaient déjà impliqués avant d’accéder au pouvoir. L’économie de pillage mise en œuvre par la Seleka a achevé ce qui était un Etat fantôme. Par ailleurs, le ciblage systématique par les milices anti-balaka des civils musulmans, dont beaucoup sont commerçants, est venu porter un coup supplémentaire à l’économie.
Bien que l’effondrement de l’économie ait précédé celui de l’Etat, l’intervention internationale actuelle pilotée par le G5 (Union africaine, Nations unies, Union européenne, Etats-Unis et France) pare au plus pressé et continue d’appréhender la crise actuelle à travers un prisme sécuritaire. Cette attitude alimente un effort international de mobilisation de troupes mais condamne la communauté internationale à répéter des interventions superficielles qui ne traitent pas la principale cause de la crise : la prédation structurelle. La protection des civils est certes importante, mais il est également crucial de relancer l’activité économique et d’assainir la gestion des finances publiques afin de construire un système effectif de gouvernance capable de fournir des services à l’ensemble de la population – chrétiens comme musulmans.
L’intervention internationale sera matérialisée en septembre par une nouvelle mission des Nations unies (Minusca). En plus de son mandat actuel de protection des populations, de soutien à la transition, d’assistance humanitaire et de défense des droits de l’homme, elle doit inciter à une meilleure gouvernance en faisant de la reconstruction de l’économie et des fonctions clés de l’appareil d’Etat ainsi que de la lutte contre certains trafics une priorité. La région et les organisations multilatérales concernées doivent également être impliquées. Les récentes sanctions ciblées adoptées contre plusieurs personnalités en République centrafricaine et à l’étranger doivent s’inscrire dans une stratégie plus large de relance de l’économie.
Ce partenariat étroit entre le gouvernement et la communauté internationale risque de trouver une opposition parmi les politiciens proches des groupes armés et ceux qui ont déjà les yeux rivés sur une hypothétique élection présidentielle. Mais la demande du gouvernement de transition pour un soutien international fort crée l’occasion de nouer un partenariat durable et d’adopter des mesures afin de stabiliser le pays tout en posant les fondations d’un changement de gouvernance.
RECOMMANDATIONS
Pour définir une stratégie de reconstruction stabilisatrice qui bénéficie à l’ensemble de la population centrafricaine
Au gouvernement de transition, aux bailleurs et au G5 :
1. Conclure un partenariat pour la transition qui inclut :
a) un accord sur les modalités d’une cogestion de certaines fonctions d’Etat génératrices de revenus, une sélection stricte des candidats pour les postes de responsables administratifs et un programme rigoureux de formation de nouveaux fonctionnaires ;
b) la création d’emplois, l’assainissement des finances publiques et la lutte contre les réseaux de prédation ; et
c) la mise en place de groupes thématiques inter-bailleurs chargés de piloter la mise en œuvre des politiques de création d’emplois, d’assainissement des finances publiques et de lutte contre les réseaux de prédation sous l’autorité du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies.
Pour créer des emplois
Au gouvernement de transition, au secteur privé et aux bailleurs :
2. Lancer des projets de relance de l’agriculture et de réhabilitation d’infrastructures à haute intensité de main-d’œuvre.
3. Identifier et soutenir les activités créatrices d’emplois dans le secteur privé.
Pour lutter contre la corruption dans l’Etat
Au gouvernement de transition et aux bailleurs :
4. Affecter des experts techniques avec droit de veto sur les dépenses dans les ministères des Finances et des Mines et dans les principales entreprises publiques.
5. Réformer le système fiscal en créant un organisme unique de collecte des taxes.
6. Renforcer les organes de contrôle des dépenses et former des organisations de la société civile à la surveillance de la gestion publique.
Pour lutter contre la prédation
Au gouvernement de transition :
7. Lancer des enquêtes sur les avoirs présumés détournés par les équipes des deux gouvernements précédents et requérir à cet effet l’assistance d’Interpol, des bailleurs de fonds et des Nations unies.
Aux Nations unies, aux pays de la région, au gouvernement centrafricain et aux organisations spécialisées :
8. Forger un consensus sur la lutte contre les trafics internationaux trouvant leur origine en Centrafrique et former une cellule de lutte contre les trafics de diamants, or et ivoire, ainsi que le braconnage militarisé, intégrée à la Mission des Nations unies, la Minusca.
9. Reprendre le contrôle des principaux sites de production d’or et de diamants en déployant des forces internationales et des fonctionnaires centrafricains et relancer le mécanisme de certification du Processus de Kimberley pour les diamants provenant de ces zones sous contrôle.
Au gouvernement de transition, aux Nations unies et aux bailleurs :
10. Revitaliser et améliorer l’impartialité du système judiciaire à Bangui et dans les villes sécurisées par les forces internationales en affectant une assistance technique conséquente au niveau des services de police et de la magistrature.
Pour former une nouvelle élite administrative
Au gouvernement et aux bailleurs :
11. Elaborer et mettre en place des programmes rigoureux de formation de nouveaux fonctionnaires dans les domaines des travaux publics, des finances et de la sécurité.
Nairobi/Bruxelles, 17 juin 2014