Le Chef de l’Etat de transition, Mme Catherine Samba-Panza, en marge du 23ème Sommet de l’Union Africaine à Malbo en Guinée Equatoriale a pris part à une concertation spéciale sur la situation en République Centrafricaine devant ses pairs de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), pour faire une évaluation de la situation de notre pays et envisager un recadrage de la transition au regard des difficultés rencontrées, dont vous aurez l’intégralité du discours.
Centrafricaines, Centrafricains,
Chers compatriotes,
Je reviens à nouveau vers vous dans les circonstances actuelles où la situation de notre pays est au cœur de diverses préoccupations. La population centrafricaine a le droit de savoir ce qui se passe réellement pour ne pas se laisser abuser par les interprétations les plus tendancieuses. En tant que Chef de l’Etat, il est de mon devoir de partager avec vous la bonne compréhension des évènements et l’évolution de la transition que je dirige.
Comme vous le savez, notre pays est suspendu de l’Union Africaine qui tenait son 23e sommet à Malabo, en Guinée Equatoriale. Le Président en exercice de la CEEAC, le Président Idriss DEBY ITNO du Tchad a bien voulu convoquer, en marge de ce sommet, une concertation spéciale sur la situation en République Centrafricaine. J’ai été officiellement conviée à cette concertation. Il était question, au cours de cette concertation, de faire une évaluation de la situation de notre pays cinq mois après ma prise de fonction et d’envisager un recadrage de la Transition au regard des difficultés rencontrées.
Chers compatriotes,
Malgré les nombreuses avancées dans la gouvernance de notre pays depuis le 20 janvier 2014 qui ont abouti à l’accalmie que nous observons à Bangui depuis plusieurs semaines, certains compatriotes pensent que la Transition actuelle nécessite un recadrage immédiat, par une remise à plat des institutions et de la Charte Constitutionnelle de Transition.
Percevant les dangers qu’une telle perspective comporte pour notre pays qui est encore dans un état fragile, je me suis employée à démontrer à mes pairs de la CEEAC toutes les avancées auxquelles nous sommes arrivés au bout de cinq mois d’exercice du pouvoir aussi bien dans les domaines de la sécurité, de la consolidation de la paix, de l’assistance humanitaire, de la relance des activités économiques que dans le domaine politique et de la gouvernance.
Il m'a paru d’une grande importance de mettre l’accent sur ce qui a été fait sur le volet politique et de la gouvernance puisque l’argument ouvrant la voie aux critiques de la transition actuelle tourne autour de l’organisation d’un dialogue inter-Centrafricain et la reprise en mains de ce dialogue par la CEEAC et la Communauté Internationale.
Sur ce point, j’ai du rappeler que l’histoire politique de la République Centrafricaine est un éternel recommencement. Plusieurs tentatives et divers modes de résolutions des conflits centrafricains ont été menées. Des cadres de concertation participatifs et inclusifs ont été adoptés, regroupant un large échantillon des acteurs politiques, militaires et sociaux du pays.
Au regard de la récurrence des crises en République centrafricaine, il y a lieu de faire le constat de la pertinence limitée de ces modes de traitement des conflits centrafricains.
Tirant les leçons des échecs de ces différentes initiatives, j'ai formulé dès le départ la vision du processus politique de sortie de la crise actuelle axé sur trois piliers: le dialogue politique au sommet, la réconciliation nationale à la base et la justice au milieu. Les précédents processus avaient toujours privilégié les acteurs politico-militaires au détriment des victimes innocentes de ces crises. Ma conviction est que nos populations qui ont payé le prix le plus fort de ces crises ne doivent plus être prises en otages par les groupes armés.
Chers compatriotes,
Cette vision n’est plus seulement la mienne. De nombreux Centrafricains la partagent. Pour beaucoup il ne sert à rien d’aller à un forum où les gens ne vont pas se dire la vérité, ne vont pas avouer leurs fautes et se repentir, ne vont pas s’engager sincèrement à abandonner les armes pour privilégier le dialogue comme seul mode de règlement de nos conflits, ne vont pas changer résolument leur mentalité de division, de discrimination et de prédation des richesses de notre pays mais vont plutôt mettre au coeur des discussions leurs intérêts personnels et ceux des puissances occultes qui les financent et les manipulent. L’histoire de notre pays est là pour attester que ce sont toujours les mêmes qui vont et qui reviennent dans les mouvements de rébellion avec comme seul programme politique la satisfaction de leurs intérêts personnels.
Vous comprendrez alors pourquoi j’ai fermement établi la justice comme le troisième pilier du processus de dialogue politique pour que l’impunité - qui est aussi l’une des causes profondes de la récurrence de la crise dans notre pays – ne prospère plus. Je suis en effet convaincue que l’une des conditions indispensables de la paix des coeurs et des esprits dans notre pays réside dans la poursuite pénale des bourreaux et le dédommagement des préjudices subis par leurs victimes. Il ne peut en être autrement. Je me suis engagée devant mes pairs de la CEEAC à veiller personnellement à ce que tout en étant inclusif, le processus de dialogue politique ne soit pas une prime à la violence et à l’impunité.
La Communauté Internationale qui nous accompagne dans la résolution de notre crise a d'ailleurs pris une option très claire dans ce sens. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a pris des résolutions dans ce sens, des sanctions ont été prononcées et la Cour Pénale Internationale elle-même est désormais à pied d’oeuvre pour lancer des poursuites.
Le schéma du dialogue politique que j’ai conçu et qui articule reconstruction préalable de la cohésion sociale à la base, dialogue politique permanent, justice et réconciliation est bel et bien enclenché depuis, contrairement à ce qui est affirmé par certains compatriotes de mauvaise foi. Pour preuves :
- plusieurs initiatives soutenues par la Présidence et le Gouvernement ont visé à favoriser le désarmement des coeurs et des esprits, le vivre-ensemble, la cohabitation interreligieuse et intercommunautaire ;
- une stratégie de réconciliation nationale a été élaborée avec l’appui du Système des Nations Unies qui attend d’être validée par les parties prenantes ;
- la concertation avec les Forces Vives de la Nation a été amorcée puisque que j’ai reçu en audiences les partis politiques (Opposition Démocratique,
Ancienne Majorité Présidentielle, Autres Partis, Personnalités Politiques individuelles ou collectives), les organisations des femmes et de la jeunesse, la plateforme religieuse, le patronat, les syndicats, les organisations de la société civile. Des échanges avec ces Forces de la Nation, j’ai tiré des pistes de solutions aux grands défis auxquels fait face notre pays.
- un atelier préparatoire au dialogue national a été organisé du 10 au 12 juin dernier avec l’appui technique du Centre pour le Dialogue Humanitaire basé en Suisse.
- le cadre de concertation prévu par le Code électoral a été mis en place au sein de l’Autorité Nationale des Elections.
Toutes ces actions démontrent à suffisance ma volonté et celle de mon gouvernement d’oeuvrer pour des solutions durables aux difficultés du vivre-ensemble qui minent la cohésion sociale. Elles établissent surtout de manière irréfutable que les bases du travail dans le domaine du dialogue politique et de la réconciliation nationale qui figurent dans la feuille de route du gouvernement ont effectivement été posées.
Chers compatriotes,
Je l’ai dit et répété, je n’ai pas un agenda politique caché. Etant au-dessus des clivages politiques, mon mandat est une grande opportunité pour notre pays de sortir honorablement des crises récurrentes en jetant les bases d’une nouvelle société centrafricaine.
Il s’ensuit que mes actions ne sont prétendument pas visibles simplement parce que ce sont des actions de refondation Ce sont ces actions que la majorité de la population de notre pays attend dans le silence. Ce sont ces attentes de la majorité silencieuse que je prends a mon compte et que je cherche à traduire dans la réalité de tous les jours en tant que Chef de l’Etat. L’infime minorité de la population qui a pris des armes ou a des ambitions politiques démesurées ne doit pas imposer sa loi à la majorité.
La concertation de Malabo a sans équivoque été favorable à un dialogue qui se fasse avec les Centrafricains de tous bords. Bien qu’étant en grande difficulté, il nous revient la fierté de trouver les solutions aux problèmes que nous avons générés, tout en appréciant la solidarité internationale agissante.
C’est dans cette perspective que j’ai donné mon assentiment au forum de Brazzaville tout en demandant que ce processus soit combiné aux efforts déjà entrepris au plan national afin que l’implication des Autorités de la Transition dans les préparatifs de ce forum permette d’éviter les erreurs du passé. Je me réjouis d’avoir été confortée dans cette option par les Chefs d’Etat de la CEEAC qui ont intégré au plan d’actions de sortie de crise nos observations sur certains points sensibles, notamment en ce qui concerne l’impunité, les procédures de révision de la charte constitutionnelle de Transition et la recomposition du Conseil National de Transition.
C’est la preuve tangible de ma volonté de réunir tous les Centrafricains autour de la table mais sans passer sur les crimes dont certains se sont rendus coupables devant notre Nation.
L’importance que j’accorde à la tenue de ce dialogue prévisible depuis quelques semaines m’a amené à surseoir au réaménagement du gouvernement que j’avais annoncé. Le gouvernement actuel poursuivra sa mission jusqu’à la fin du forum de Brazzaville. Je tiendrai ensuite compte des nouvelles donnes issues de Brazzaville pour configurer un nouveau gouvernement impliquant toutes les sensibilités géographiques, politiques, religieuses et sociales du pays.
Chers compatriotes,
Les critiques faciles ne me détourneront point des objectifs que j’ai fixés pour mon pays au cours de cette Transition. Je mettrai tout en oeuvre pour conduire la Transition à son terme. Je ne ménagerai aucun effort pour que la réconciliation à la base se fasse, qu’un dialogue franc et sincère soit organisé, que la paix revienne définitivement et que notre pays s’engage résolument sur la voie de la paix et de la sécurité.
Suite à l'attaque de l'Eglise de Fatima ayant fait de nombreuses victimes, plusieurs d'entre vous ont réclamé, par des marches et manifestations populaires la réhabilitation et le réarmement des FACA ainsi que le désarment immédiat des 3ème et 5ème arrondissements de Bangui. C’est l’occasion ici d’apprécier à leur juste valeur les positions des uns et des autres sur ces questions, souvent instrumentalisées à des fins politiques.
Le problème de nos forces de défense et de sécurité, notamment des FACA doit être abordé avec sérieux, objectivité et réalisme. La population doit disposer pour cela de bonnes informations et se faire par elle-même une opinion.
Sachez que la République Centrafricaine est frappée par les dispositions de l’article 54 de la résolution 2127 du conseil de sécurité du 5 décembre fixant un embargo total sur notre pays.
Cet embargo total s’applique entre autres, je cite : "à la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à la République Centrafricaine d’armements et de matériels connexes de tous types, y compris les armes et les munitions, les véhicules et les matériels militaires , les équipements paramilitaires et les pièces détachées correspondantes, ainsi que toute assistante technique ou formation, et toute aide financière ou autre en rapport avec les arts militaires ou la fourniture, l’entretien ou l’utilisation de tous armements et matériels connexes, y compris la mise à disposition de mercenaires armés..." .
Mais le Conseil de sécurité dans sa sagesse a prévu un régime dérogatoire et un comité de sanction. Le Comité de sanction se réunira le 5 juillet 2014 et nous avons fort espoir que les mesures d’allègement de cet embargo se poursuivront.
C’est grâce à cette dérogation que nous avons obtenu en priorité le rééquipement progressif de nos policiers et gendarmes, car le véritable défi sécuritaire auquel se trouve confronté le gouvernement est celui du grand banditisme opéré par les milices armées qui font des braquages, érigent des barrières pour racketter les populations et commettent des crimes sur les innocents.
Maillon essentiel de la chaine judiciaire, nous avons voulu une reprise rapide des activités de la police et de la gendarmerie afin de donner la force nécessaire à la justice de notre pays et lutter contre ce phénomène de grandes criminalités.
Mes chers compatriotes,
Dès ma prise de fonction, j’ai constaté un déséquilibre dans la représentativité nationale de notre armée. Il est très vite apparu que le recrutement de nos militaires n'a pas souvent été opéré sur des bases professionnelles. De nombreux officiers, sous-officiers et hommes de rang ont par ailleurs été impliqués dans la crise actuelle. Cela est un véritable problème.
J’ai tout de suite compris qu’il fallait travailler au rééquilibrage et à l’application de vrais critères d’intégration d’une armée nationale et professionnelle. J’ai alors envisagé qu’avant la fin de la transition, il était fondamental de jeter les bases d’une armée véritablement républicaine, au service de la reconstruction de notre pays et de son développement. A cet effet, des réflexions sont menées sur le futur format de notre armée. Notre Armée doit être aussi une Armée au service du développement de notre pays. J’ai choisi des officiers qualifiés issus de cette armée pour conduire les travaux de cette reconstruction.
Mais sans attendre, nous avons mis sur pied la chaine de commandement, mobilisé les troupes dans les casernes et procédé à un contrôle des effectifs.
Bientôt nous entamerons les phases de formation indispensables à toutes les armées. Pour cela j’ai sollicité des pays amis comme la France et l’Angola de nous apporter leur assistance et leur expérience. J’ai également sollicité la MISCA et l’EUFOR pour une assistance dans cette phase de formation.
J'ai demandé au Ministre de la Défense d’impliquer le corps du génie militaire pour la réhabilitation des édifices publics tant à Bangui qu'à l'intérieur du pays.
J'ai souhaité également que tous les services de santé de notre armée soient mobilisés pour appuyer le ministère de la santé afin d’offrir un service de santé de base à nos populations dans les centres de santé urbains et ruraux.
L'Armée doit également être un outil de production pour sa propre consommation. Il y a lieu d'envisager, avec l'appui des partenaires techniques et financiers, des projets dans ce sens.
Le Corps des sapeurs-pompiers chargé de la protection civile doit être rendu opérationnel rapidement.
La question du réarmement n’est pas taboue. Je m’y emploie tous les jours en essayant d’exploiter au maximum les possibilités de dérogation offertes par le comité de sanction de l’ONU mais je vous avoue que ce n’est pas chose facile. Il nous faut de la patience et de la rigueur. Il est de notre devoir de respecter les résolutions en tant que pays membre des Nations Unies. J’ai fort espoir qu’en décembre 2014 à la date anniversaire de la résolution 2127 nous obtenions une révision de celle-ci afin de permettre à notre armée d’être présente aux côtés de nos populations.
Chers compatriotes,
Je sais que vous êtes fortement préoccupés par la question du désarmement des 3è et 5 è arrondissements de Bangui. Je m’y suis engagé et j’y tiens. Mais nous devons également analyser avec toute la lucidité nécessaire la complexité et les difficultés relatives au désarment tant attendu de ces deux arrondissements. C’est pourquoi, avec les forces multinationales, nous avons du convenir d’un désarmement progressif. Un programme a été élaboré a cet effet.
Comme vous pouvez le constater l’EUFOR s’est déjà déployée dans ces arrondissements et la circulation est progressivement rétablie sur l’avenue Koudoukou et l’avenue B.Boganda, à la satisfaction de nos populations. Nos forces de police et de gendarmerie sont revenues dans ces arrondissements. Petit à petit la pacification de ces arrondissements se fera. Je peux vous affirmer que les forces de la SANGARIS, de l’EUFOR, de la MISCA et nos forces de défense et de sécurité récupèrent tous les jours des armes, munitions et grenades en tous genres dans ces arrondissements. J’ai voulu que ce désarmement se fasse sans exposer la vie des femmes et enfants dans ces quartiers et en préservant la cohésion nationale.
Chers compatriotes,
J’avais attiré votre attention sur la partition du pays et j’attendais qu’il y ait des réactions spontanées de protestation contre ce projet funeste et suicidaire. Il n’en a rien été et nous avons toujours ce projet funeste à nos portes. Il ne faut pas que par leur silence et leur inaction les Forces Vives de la Nation se rendent complices de ce projet contre lequel tout le monde dans notre pays devrait se lever comme un seul homme. Pour ma part j’ai décidé d’en faire mon cheval de bataille et j’ai demandé à la SANGARIS et à la MISCA d’y veiller conformément à leur mandat.
Au regard des revendications corporatistes des uns et des autres, des critiques et des attentes formulées ça et là, de l’inflation constatée des candidatures pour la prochaine élection présidentielle, je réalise que la population centrafricaine et les acteurs nationaux n’ont pas encore pris la dimension véritable de la situation particulièrement difficile que traverse notre pays, tenu a bout de bras par la communauté internationale.
Mes chers compatriotes,
A l’approche du dialogue que nous appelons tous de nos voeux, j’ai noté une certaine frénésie politique, la naissance ici et là de nouvelles rebellions, la radicalisation des prises de positions et l’instrumentalisation des attentes des populations. La République Centrafricaine doit sortir définitivement du cycle de conquête du pouvoir par les armes ou par des manipulations politiciennes pour des intérêts égoïstes. Le gâteau Centrafrique est réduit à sa plus simple portion. Il n’y a plus grand-chose à se partager.
Nous devons prendre notre destin en main et nous remettre résolument au travail. Nous ne pouvons vivre indéfiniment d’assistanat. Dans un sursaut patriotique, levons nous tous pour refuser la division.
Dans un élan de civisme et de fierté nationale retrouvée, retroussons nos manches et mettons-nous résolument au travail.
Nous devons tous nous mobiliser pour reconstruire solidement notre pays afin que tous les Centrafricains vivent dans la fraternité, dans la cohésion sociale et dans la paix.
Vive la République Centrafricaine
Vive le peuple Centrafricain.
Je vous remercie.