LE MONDE | 21.08.2014 à 11h57 Cyril Bensimon
Les Banguissois pensaient en avoir fini avec les affrontements de grande ampleur. Le 9 août, des querelles internes entre miliciens anti-balaka (chrétiens) avaient dégénéré en bataille rangée dans le quartier de Boy-Rabé, mais ces heurts étaient sans commune mesure avec les violences qui ont éclaté au niveau du PK5 (poste kilométrique 5), le dernier bastion de la communauté musulmane dans la capitale centrafricaine.
La mort d'un jeune musulman armé d'une grenade, tué dans la soirée du mardi 19 août par des soldats européens de l'Eufor en patrouille, a replongé Bangui dans la psychose, avec des populations fuyant à la hâte par peur des balles perdues. Le corps du défunt a été porté mercredi matin jusqu'au siège des Nations unies et, à la suite de cette manifestation, d'intenses échanges de tirs ont opposé des groupes d'autodéfense du PK5 aux forces internationales.
Les soldats français de l'opération « Sangaris » et les militaires africains de la Misca ont dû prêter main-forte à leurs confrères de l'Eufor. Deux hélicoptères Puma de l'armée française ont été mobilisés et ont ouvert le feu. « Ça a castagné sévère. C'est la première fois qu'on a des combats de cette intensité dans la capitale », dit une source au ministère de la défense.
« MARÉE STAGNANTE » POUR LE PROCESSUS POLITIQUE
Mercredi soir, un calme très relatif, ponctué de quelques rafales, était revenu au PK5 et chacun comptait ses pertes. Un volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine, Bienvenu Bandios, a été tué. Le maire du 3e arrondissement, Balla Dodo, assure que huit musulmans ont trouvé la mort du fait des affrontements. Un soldat français a été grièvement blessé. A l'hôpital général, 31 blessés par balle ont été admis en fin de journée. Trois d'entre eux ont succombé à leurs blessures.
Sans qu'il soit pour l'heure possible d'établir un lien entre ces deux événements, ce regain de violences intervient alors que la République centrafricaine est plongée dans une nouvelle crise politique. La nomination, le 10 août, de Mahamat Kamoun au poste de premier ministre est sérieusement contestée tant en interne qu'en externe. Malgré leurs divisions, les anciens tenants du pouvoir de la Séléka (musulmans) s'accordent pour la rejeter. Une partie des responsables politiques et de la société civile juge que la personnalité de ce musulman, qui fut directeur de cabinet de l'ancien chef de l'Etat Michel Djotodia, avant de poursuivre sa route au côté de la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, est loin de faire consensus.
« TROP D'ASPÉRITÉS »
Cette désignation a également fait grincer des dents chez les présidents d'Afrique centrale et à Paris où l'on avait fait de Karim Meckassoua, un ancien ministre doté d'un sérieux carnet d'adresses, le favori pour prendre les rênes d'un nouveau gouvernement chargé de redynamiser un processus politique qualifié de « marée stagnante » par un officiel français.
« Mahamat Kamoun a trop d'aspérités, notamment avec son épouse à la tête des douanes et qui oublie de reverser l'argent dans les caisses de l'Etat », confie avec une pointe de perfidie un diplomate influent à Bangui. De bonne source, le médiateur de la crise centrafricaine, le président congolais Denis Sassou Nguesso, a fait passer le message à Mme Samba-Panza de revenir sur ce choix aux allures de déclaration d'indépendance.
Cédera-t-elle sous la pression ? L'équation est compliquée pour celle qui est chargée de conduire la Centrafrique à de prochaines élections. Se dédire serait une nouvelle humiliation après celle subie fin juin, en marge d'un sommet de l'Union africaine à Malabo (Guinée équatoriale) où les chefs d'Etat d'Afrique centrale l'avaient tenue à l'écart d'une rencontre consacrée à son pays. Résister serait prendre le risque de se mettre à dos une partie de la communauté internationale, qui maintient la Centrafrique sous perfusion.
Journaliste au Monde