MARIA MALAGARDIS ENVOYÉE SPÉCIALE À OUAGADOUGOU LIBERATION
10 NOVEMBRE 2014 À 19:26
Accord. Une charte augurant la tenue d’élections démocratiques avant la fin 2015 a été signée dimanche.
«Maintenant que c’est fait, on fait comment ?» interrogeait il y a quelques jours, sous la forme d’une limpide tautologie, un journal burkinabé. Surprises par la rapidité avec laquelle s’est effondré le régime Compaoré, après vingt-sept ans au pouvoir, les principales forces en présence au Burkina Faso ont semblé un temps déroutées face au vide politique. Un vide que seule l’armée s’est empressée d’occuper au lendemain de l’insurrection populaire. Tout en affirmant très vite que cette gestion n’était que provisoire.
«Gâteaux». Après une période de flottements et d’interminables palabres en coulisses, un consensus a fini par se dessiner dimanche soir. Lorsque toutes les parties en présence ont signé une «charte de la transition», qui met en place des institutions, certes provisoires, censées mener le pays à des élections démocratiques dans un an. Car depuis le départ de Blaise Compaoré, il n’y a plus de gouvernement (dissout), plus d’Assemblée (brûlée puis dissoute) et même plus de Constitution (suspendue par les militaires). Il y avait donc urgence à redéfinir un cadre qui permettrait de gérer les lendemains d’une révolte menée par la rue, sans réel leader en première ligne.
Depuis dimanche, donc, on sait que l’avenir immédiat du pays sera assumé par un Conseil national de la transition (CNT), sorte d’Assemblée de 90 membres. Un «gâteau» subtilement réparti entre les partis d’opposition (40 sièges), la société civile (30), l’armée (10) et… l’«ancienne majorité», le parti du président déchu, qui sera également représenté par dix de ses membres. Un choix qui peut surprendre, imposé en réalité par la communauté internationale, excessivement soucieuse d’un dialogue «inclusif».
Mais ce n’est pas la seule surprise de la nouvelle architecture du pouvoir : le Président (un civil, comme l’exige la communauté internationale) sera désigné non par le futur CNT, mais par un Conseil de la désignation de 45 membres, où chacun va également marchander «sa part du gâteau».
Mais qui est légitime à représenter qui ? Pour l’opposition, c’est simple, même si beaucoup de leurs leaders sont des ex-barons du régime devenus opposants. L’armée, elle, accepte de se retirer une fois la transition civile installée. Mais elle ne cédera certainement pas tous les leviers du pouvoir. L’actuel homme fort aux commandes, le lieutenant-colonel Zida a confessé sans détour qu’il ne comptait pas retourner dans sa caserne «avant novembre 2015» : c’est-à-dire pas avant les élections. Il a donc l’intention de rester actif pendant la transition. Pour éviter le retour du chaos ? Ou une chasse aux sorcières, alors que l’armée et, surtout, la sécurité présidentielle dont il est issu, était fidèle à l’ancien régime ?
«Usine à gaz». Il n’est pas certain que la situation soit plus simple dans la société civile. Les lendemains de révolution ont vu surgir des organisations jusqu’alors inconnues, parfois soupçonnées d’être les sous-marins de l’ancien régime. «La méfiance règne et la transition pourrait devenir une usine à gaz au sein de laquelle on a cherché à contenter tout le monde», redoute un observateur des tractations en cours.
Envoyée spéciale à Ouagadougou Maria Malagardis
Le temps joue en défaveur du Burkina Faso, affirme le président de l'UA
Ouagadougou AFP / 10 novembre 2014 18h56- Le temps joue en défaveur du Burkina Faso, a déclaré le président de l'Union africaine (UA), le chef de l'Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, venu rencontrer les protagonistes de la crise politique burkinabè à Ouagadougou.
Notre présence n'est pas pour résoudre le problème d'un coup de baguette magique mais pour aider les Burkinabè à trouver entre eux des solutions durables, a déclaré M. Aziz, arrivé lundi matin à Ouagadougou.
L'UA n'est pas venue pour vous imposer quoi que ce soit, pour vous menacer de quoi que ce soit. Mais votre principale menace, c'est que le temps joue en votre défaveur et qu'il joue en défaveur de toute notre organisation, a-t-il poursuivi.
Mohamed Ould Abdel Aziz s'exprimait avant une brève rencontre collective avec les principaux protagonistes de la crise : le lieutenant-colonel Isaac Zida, l'homme fort du régime transitoire, et les représentants de l'opposition, de la société civile, du clergé et de la chefferie traditionnelle.
Le président en exercice de l'UA devait ensuite s'entretenir avec eux individuellement.
Tout le monde a indiqué sa disponibilité à aller rapidement vers la sortie de crise afin que le Burkina Faso devienne un modèle pour l'Afrique en (réussissant) sa sortie de crise, a commenté Ablassé Ouédraogo, un ténor de l'opposition.
Nous avons tout intérêt que cela aille vite, mais il faut bâtir sur des fondements solides et ne pas tomber dans la précipitation par peur de sanctions, a de son côté remarqué Roch Marc Christian Kaboré, autre leader de l'opposition.
Le 3 novembre, l'UA avait donné deux semaines aux autorités militaires, qui ont pris les rênes du Burkina Faso après la démission et la fuite du président Compaoré, pour passer la main à un gouvernement intérimaire civil.
L'ensemble des acteurs entendus par M. Aziz se sont engagés à faire de leur mieux pour arriver à une solution avant ce délai, a affirmé Désiré Kadré Ouédraogo, le président de la Commission de la Cédéao, l'union économique ouest-africaine.
On n'est pas en retard. S'il y a de la bonne volonté, c'est possible, a-t-il lancé.
Le lieutenant colonel Zida avait sèchement rejeté l'ultimatum posé par l'UA, mais il a tenu des propos plus diplomatiques lundi.
Nous avons besoin de la communauté internationale, et particulièrement de l'Union africaine, a-t-il dit, afin de renforcer la sérénité qui prévaut actuellement.
Pour atteindre cet objectif, (...) nous réaffirmons notre ferme attachement au respect des principes qui fondent l'UA, a poursuivi M. Zida, vraisemblablement en référence à la charte de l'organisation panafricaine, qui interdit tout changement anticonstitutionnel de gouvernement.
L'UA n'avait pas réagi alors que le gouvernement du président déchu Blaise Compaoré avait fait part de sa volonté de modifier la Constitution burkinabè afin que celui-ci puisse se maintenir au pouvoir.
Blaise Compaoré a été chassé du pouvoir le 31 octobre, après 27 ans à la tête du pays, par des manifestations monstres déclenchées par son intention de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat.
L'armée a assuré à plusieurs reprises vouloir céder rapidement le pouvoir.
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