Lu pour vous
https://mondafrique.com/ By Francis Sahel 26 octobre 2021
Les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines connaissent des tensions inédites, du nord au sud du continent en passant par l’Ouest et le Centre. En cause, les méthodes du président français Emmanuel Macron et ses ministres dont celui des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian.
On avait d’abord pensé à une simple bévue lorsqu’en décembre 2019 le président français Emmanuel Macron avait annoncé à Bruxelles, en marge d’un Conseil européen, un sommet extraordinaire avec ses homologues des pays du G 5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) sans qu’aucun d’entre eux n’ait été prévenu. Même pas le président burkinabé Roch Marc Christain Kaboré alors président en exercice du G5 Sahel. L’Elysée avait à cette époque plaidé une erreur de communication. Mais moins de deux mois après, le président français avait s’était publiquement engagé auprès d’un activiste camerounais en février 2020, en marge d’une visite au Salon de l’agriculture à Paris, a appelé le lendemain son homologue camerounais Paul Biya pour lui remonter les bretelles au sujet de sa gestion de la crise anglophone. La sortie de Macron (43 ans) contre Biya (88 ans dont 38 au pouvoir) avait ému l’opinion, bien au-delà du Cameroun, dans toute l’Afrique, un continent où l’âge précède la fonction. Elle a surtout convaincu ceux qui doutaient encore que « la convocation » des présidents du G5 Sahel et la charge publique contre Biya étaient non plus à inscrire dans le registre de la maladresse mais dans celui de la méthode.
Confrontation permanente
Prenant exemple sur le président, les ministres français aussi s’y sont mis. Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a ainsi déclaré publiquement avoir réclamé fermement, presque les yeux dans les yeux, au chef de l’Etat congolais Denis Sassou Nguesso des gestes, notamment concernant l’opposant Jean-Marie Michel Mokoko. « « Je le lui ai dit avec fermeté ! », avait tonné le chef de la diplomatie française, provoquant la stupeur dans la délégation du président Sassou qui venait d’être reçu en septembre 2019 à l’Elysée par Macron dans le cadre d’une visite officielle. Le même Le Drian avait déjà dressé un vif réquisitoire en 2013 contre Ibrahim Boubacar Keita (IBK) qui était alors à la tête du Mali. « Mon honneur n’est pas à donner aux chiens« , avait répliqué IBK dans un entretien accordé à la presse.
Les sorties plus récentes du même Le Drian et de sa collègue des Armées Florence Parly sur la présence de la société russe Wagner au Mali et en Centrafrique ont provoqué une levée de bouclier sans précédent dans les relations entre la France et ses anciennes colonies. Fait rarissime, l’ambassadeur de France à Bamako a été convoqué au ministre malien des Affaires étrangères à la suite des propos des responsables français jugés « inamicaux ». A Bangui, la ministre des Affaires étrangères Sylvie Baïpo-Temon a dû sortir de ses gongs pour accuser son homologue français de chercher à « infantiliser la république centrafricaine ». « Les propos de mon homologue français sont inacceptables car mensongers », a déclaré la cheffe de la diplomatie centrafricaine. Outre son caractère inédit, la stratégie française de la confrontation avec les anciennes colonies africaines surprend par son ampleur.
En effet, au moment même où les relations se crispent avec la Centrafrique, le Mali, le Cameroun, le Congo et même le Gabon, la France ouvre un front avec trois pays maghrébins (Algérie, Maroc, Tunisie) en réduisant de 50% le nombre des visas français accordés à leurs ressortissants au motif qu’ils ne facilitent pas assez la réadmission des Algériens, Marocains et Tunisiens indésirables en France.
Fuite en avant
A Paris, au lieu de prendre la mesure des dégâts que cette confrontation large et permanente avec les ex-colonies peut avoir sur l’image de la France en Afrique, on échafaude des plans de reconquête des opinions publiques africaines à la travers « la guerre de l’information » confiée aux armées françaises ainsi que la signature d’accords entre le Quai d’Orsay et des acteurs de l’information pour inonder le continent de contenus gratuits favorables à la politique française en Afrique.
Loin de réinventer les relations entre la France et l’Afrique à travers « le Nouveau sommet Afrique » organisé le 8 octobre à Montpellier, le quinquennat de Macron a réussi à déstabiliser la sérénité dont il a hérité de la diplomatie française en Afrique.
Lu pour vous
Voilà pourquoi la France ne sera jamais la puissance européenne qu’elle entend être si elle ne change pas d’approche stratégique
https://atlantico.fr/ avec Michael Lambert
Après l'annulation du "contrat du siècle" sur la vente de sous-marins à l'Australie, le positionnement de la France en tant que puissance à l’international est remis en question. Les autres pays de l'Union européenne peuvent-ils réellement faire confiance à la France ? Quelle stratégie devrait adopter la France afin de maintenir son statut de puissance ?
Atlantico : Au lendemain de l'annulation du "contrat du siècle", le positionnement de la France en tant que puissance à l’international est remis en question dans le débat public. Au sein même de l'Union européenne, la volonté des autorités françaises d'être une grande puissance ne joue-t-elle pas contre elle ? Quelle est l'attitude de notre pays vis-à-vis de ses alliés européens ?
Michael Lambert : La France est une puissance économique, politique et militaire de premier plan - notamment avec sa force de frappe nucléaire - mais elle ne peut se comparer aux deux géants contemporains, les États-Unis et la Chine. Pour cette raison, la France, qui reste le plus grand territoire maritime du monde avec ses 11 691 000 km², est à la fois trop grande pour l'Europe, tout en restant en retrait sur la scène internationale, ce qui explique l'ambivalence de sa relation avec ses partenaires de l'Union européenne (UE).
À cet égard, le choix de Paris de se tourner vers l'Union européenne pour ses projets futurs joue en sa défaveur, car les relations sont et resteront nécessairement asymétriques dans les années à venir, sauf éventuellement avec l'Allemagne dès lors qu'il est question d'influence économique mondiale. Ce point est important car Berlin et Paris partagent les mêmes intérêts supranationaux dans ce domaine et sont deux grandes puissances, ce qui explique la nécessité de renforcer cette coopération. Cependant, en matière diplomatique et sur le plan militaire, la France se retrouve seule, voire fragilisée par Bruxelles et les autres pays de l'Union, car disposer d'une force de frappe nucléaire implique une responsabilité morale et une présence internationale continue que les partenaires en UE ont du mal à appréhender.
Il en va de même pour la diplomatie, la France est présente sur plusieurs continents et notamment dans le Pacifique (Polynésie française), en Afrique (Mayotte et La Réunion), en Amérique latine (Guyane) et en Antarctique (Terre Adélie), pour ne citer que quelques exemples, et ne saurait ainsi se résumer à sa seule présence sur le continent européen.
Ceci a été particulièrement ressenti avec la perte du contrat du siècle avec l'Australie. N'importe quel autre pays en UE ne se serait pas opposé à la décision de Washington, pour la simple raison que Canberra doit effectivement se doter de sous-marins à propulsion nucléaire pour faire face aux changements militaires dans le Pacifique (influence croissante de la Chine). Pour autant, la France a raison de s'offusquer car d'une part c'est un pays directement présent dans cette région (Polynésie française), mais aussi parce qu'elle a la capacité technique de produire des sous-marins à propulsion nucléaire, et aurait pu être une alternative à l'option américano-britannique.
Dans ce contexte, Paris devrait repenser son approche vis-à-vis des Etats-Unis et tenter de réaffirmer son statut de grande puissance. Pour ce faire, Paris pourrait proposer à Washington d'être le fournisseur de sous-marins nucléaires de l'Australie (changement de contrat). En cas de refus, la France pourrait adopter une attitude plus amicale envers la Russie et la Chine, pour la simple raison qu'une puissance internationale construit ses alliances en fonction de ses enjeux nationaux et non de ceux de ses partenaires. C'est ce que les Etats-Unis viennent de faire avec l'Australie, sans se préoccuper de Paris, il n'y a donc aucune raison pour que la France ne fasse pas de même en proposant en réponse un rapprochement avec la Chine ou la Russie pour compenser cette perte financière.
La France dispose également d'un levier qu'elle a sous-estimé depuis plusieurs années, celui de la reconnaissance diplomatique. À cet égard, Paris pourrait réaffirmer son statut de grande puissance en reconnaissant des territoires comme l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud sur la base de la convention de Montevideo, dans une démarche similaire à celle de De Gaulle lorsqu'il a reconnu la République populaire de Chine en 1964 et ce malgré les pressions de Washington. Une puissance internationale innove et agit en fonction de ses intérêts, et n'a pas peur de froisser ses alliés parce qu'elle a les ambitions de son autonomie. Telle était l'approche de la diplomatie de Napoléon et de De Gaulle, l'histoire nous dira si ce sera celle de Macron.
Les autres pays de l'Union peuvent-ils réellement faire confiance à la France, tant sur le plan psychologique que matériel ? Les pays à l'est de l'Union comprennent-ils cette attitude ?
Au regard de la puissance militaire française contemporaine, Paris pourrait certes se substituer à l'Otan pour assurer la protection de l'Europe, mais elle ne serait pas en mesure de maintenir les mêmes standards que l'Otan. Dans ce contexte, il est plus pertinent pour les Etats membres de l’UE de rester proches de l'Alliance, pour ceux qui le souhaitent.
Pour autant, le choix de Sarkozy de rejoindre l'Otan en 2009 soulève plusieurs questions au niveau national. Ainsi, la France gagne-t-elle à être membre de l'Alliance sur le plan diplomatique, économique et militaire, notamment à la lumière des récents événements en Australie ? Paris pourrait choisir de (re)devenir un médiateur entre l'Ouest et la Russie/Chine comme au temps de la guerre froide. Loin d'être un tabou, ce retrait de l'Otan s'inscrirait dans la philosophie militaire de l'Irlande, de la Suisse, de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande (tous pays européens et non membres de l'Otan) pour gagner en indépendance.
Les pays d'Europe centrale et orientale auront du mal à comprendre cette approche, elle sera même perçue comme une forme de rébellion, mais encore une fois la France et ces pays ne partagent pas les mêmes enjeux. Pour les Européens de l'Est, Moscou reste la principale préoccupation, alors que c'est désormais la Chine qui est prioritaire pour les nations de dimension internationale. Cela montre, une fois de plus, les divergences d'opinion entre un pays présent sur plusieurs continents et ceux qui ont une influence régionale.
La France va bientôt prendre la présidence tournante de l'Union européenne pour quelques mois. Est-ce le bon moment pour que le pays adapte une nouvelle stratégie ? Quelle stratégie devrait-elle adopter afin de maintenir son statut de puissance ?
L'Union européenne est absente sur la scène internationale ou, au mieux, sa présence est limitée à l'économie. Pour survivre, Bruxelles n'a aujourd'hui que l'option suisse, c'est-à-dire commencer à repenser son approche sur un modèle politique, économique et militaire similaire à celui de Berne, qui est le seul exemple de coopération constructive entre plusieurs territoires aux religions, langues et cultures différentes.
En ce qui concerne la France, et au vu de l'état actuel de l'Union, il semble pertinent d’envisager de parler d'un retrait tout en maintenant une participation dans l'espace Schengen, ce que font la Suisse, la Norvège et l'Islande. Autrement dit, conserver les bons aspects de l'UE (circulation des biens et des personnes) tout en éliminant les mauvais (administration). Le choix de la Grande-Bretagne de se retirer de l'UE sans participer à Schengen a été son principal défaut, la France aurait intérêt à envisager de devenir une grande Suisse en Europe, en combinant le meilleur des deux mondes, voire en suggérant que toute l'UE s'inspire du modèle suisse pour son avenir. Si l'Union européenne ne s'inspire pas de la Confédération, elle continuera à perdre en influence jusqu'à son implosion.
En proposant de changer l'UE sur la base du modèle suisse, la France fera preuve de son ouverture d'esprit et de son expertise. Il est par ailleurs fort surprenant que cette approche n'ait pas encore été évoquée par Paris, compte tenu de l'excellence diplomatique de la Suisse et de la proximité entre les deux pays.