Bangui, 12 mai 2015 (RJDH)—De son passage à Bangui dans le cadre du Forum inter centrafricain, Jonathan Pednault, représentant de l’Amnesty International livre ses impressions. Il met en garde contre la consécration de l’impunité dans l’accord de Désarment Démobilisation Réinsertion et Rapatriement (DDRR), signé le dimanche dernier, explique les attentes de cette organisation pour la réforme constitutionnelle et encourage les autorités de la transition à persévérer dans la lutte contre l’impunité malgré la pression des groupes armés.
Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme (RJDH) : Amnesty International a publié en date du 11 mai 2015, un communiqué de presse relatif à l’accord sur le désarmement signé par des groupes armés rivaux et le gouvernement de la République centrafricaine.
Quelles sont les raisons d’une telle mise en garde ?
Jonathan PEDNAULT (J.P) :C’est assez simple. Les accords de désarmement favorisent très souvent une forme d’impunité. Souvent pour obtenir des accords de DDR, on se doit de faire des compromis. Les chefs des groupes armés parviennent parfois à s’en tirer avec des avantages qui sont non négligeables à travers des processus de DDR. Pour l’instant, cela ne semble pas être le cas avec l’Accord qui vient d’être signé durant le forum. Mais, nous tenons à nous rassurer que l’accord de DDRR ne mène pas à des mesures d’impunité et ne permette pas à ceux qui ont commis des crimes graves contre des individus durant la crise, de passer à travers le filet.
RJDH : Nous savons que dans cet accord signé entre les groupes armés et le gouvernement, il est clairement interdit dans le cas des combattants étrangers, de rapatrier ceux qui auront commis des crimes en Centrafrique. N’êtes-vous pas satisfait de ces dispositions ?
J. P : Il va falloir qu’on s’assure de mettre en place un processus de filtrage, un processus qui va évaluer qui a commis des crimes, qui n’en a pas commis. Pour l’instant, ce n’est pas exactement précis dans l’accord. Donc, ça nous inquiète un peu sur ce plan là. On souhaite s’assurer que des gens qui ont commis des crimes et qui font partie des groupes armés ne puissent pas être rapatriés aussi simplement que ça. Mais surtout, qu’ils soient Centrafricains ou étrangers, que ces gens là répondent de leurs actes devant la justice centrafricaine. On croit que c’est quelque chose d’important et surtout important en vue de la réconciliation entre Centrafricains.
RJDH : Dans le dernier paragraphe de ce communiqué, il est dit, « Avant l’ouverture du Forum, Amnesty International avait adressé une lettre aux autorités de transition, faisant valoir que le nouveau projet de Constitution ne devait laisser aucune place à l’impunité et devait inscrire la justice au cœur du processus de réconciliation.
Sentez-vous que cette nouvelle constitution est en train de faire place à l’impunité ?
J.P :Il y a un message très clair envoyé par le Forum de Bangui. Les délégués souhaitaient qu’on mette fin à l’impunité et qu’on continue la lutte contre l’impunité. Nous nous inscrivons totalement dans cette démarche. On a pu déjà rencontrer les ministres de la Justice et de la Défense nationale pour faire valoir nos points concernant la réforme constitutionnelle. Pour l’instant, dans le projet de proposition de la Constitution adopté par le CNT en janvier dernier, il y a des mesures qui peuvent permettre la mise en place d’immunités. Les immunités permettent souvent de ne pas poursuivre les personnes devant la justice et elles s’attachent très souvent à des fonctions précises. Nous souhaitons pour nous que ces immunités ne soient pas circonscrites à la personne mais plutôt à la fonction. Lorsque les individus commettent des crimes, il y a donc une responsabilité individuelle. Nous voulons nous assurer s’il y a des clauses très précises dans la constitution, qui permettent à la justice de faire son travail vis-à-vis des officiels, lorsqu’ils commettent un crime et le crime en question tombe sous la responsabilité individuelle.
RJDH : Vous avez pris part au nom d’Amnesty International au Forum national de Bangui. Quelle réaction avez-vous à la fin des travaux, hier au Conseil National de Transition ?
J.P On n’est assez satisfait. Il y a un signal très fort qui a été lancé par les participants en faveur de la lutte contre l’impunité, en faveur de la continuation de cette lutte contre l’impunité. Ce n’est pas quelque chose de facile. Hier, nous avons vu qu’il y a des groupes armés qui sont mécontents par rapport aux résultats du forum. Nous espérons que le gouvernement va continuer dans sa démarche voir approfondir sa démarche en vue de mettre fin à l’impunité en Centrafrique.
RJDH : D’aucuns disent que la manifestation des combattants des groupes armés hier est un échec pour le forum de Bangui. Êtes-vous dans cette logique ?
J. P : Pour l’instant, à moins que ces groupes armés représentent la population centrafricaine, ce qui n’est pas le cas. On a néanmoins eu un consensus national assez fort en faveur des recommandations émises par le forum. Je ne crois pas que ça soit un signal de défaite pour le forum. Lorsqu’on parle de la lutte contre l’impunité, il y a forcément des gens qui seront mécontents. L’essentiel est de continuer dans la bonne direction. Je crois que le gouvernement, jusqu’à présent a persévéré dans cette direction et puis ce n’est pas facile. L’on se souviendra de l’arrestation d’Andjilo, (Rodrigue Ngaïbona) et des kidnappings, le gouvernement aurait pu reculer mais ne l’a pas fait et est resté sur ses positions, on croit que c’est la bonne chose à faire. Nous espérons que le gouvernement et la population vont continuer à mettre en œuvre des actions qui permettront de mettre fin à l’impunité en RCA.
Jonathan Pednault, merci !
Zamane, merci !
Propos recueillis par Naim-Kaélin ZAMANE