LE MONDE | 24.09.2013 à 12h23 • Mis à jour le 25.09.2013 à 21h30 |Par Cyril Bensimon (Bangui, envoyé spécial)
Il aurait mille raisons d'être en colère, et pourtant c'est d'une voix calme que Camille Mandaba détaille les motifs de son malheur. Le 20 août, à Bangui, sous couvert d'une opération de désarmement, les anciens rebelles de la Séléka ont opéré une véritable razzia dans le quartier de Boy-Rabé dont il est l'un des chefs."Ils m'ont mis à genoux, menacé de leur arme avant de piller mon domicile. L'argent, les matelas, la télévision, les vivres, les téléphones, le réfrigérateur, tout a été emporté." Hortense, sa voisine, raconte avec la même placidité que les ex-rebelles ont été jusqu'à voler la layette de sa fille. Le pillage a été systématique mais, plus grave, il a été accompagné d'exécutions sommaires. "Sept personnes ont été tuées à côté de chez moi. Ils ont même abattu mon chien et mon singe", assure Camille Mandaba, qui tente de faire revenir ses administrés ayant fui le quartier.
A quelques mètres de là, une dizaine de jeunes sont attablés à la buvette La Cave royale. Une dame passe à côté d'eux revêtue d'une robe orange imprimée à l'effigie du président déchu François Bozizé. Quelques buveurs de café du matin portent des tee-shirts siglés des initiales de son parti, le KNK (Travail-Justice-Progrès). Ici, personne ne cache sa sympathie pour l'ancien chef de l'Etat désormais réfugié en France. Boy-Rabé était l'un de ses fiefs dans la capitale centrafricaine et il le demeure.
Tous les clients ne sont pas des extrémistes, beaucoup ne demandent que la paix, mais les plus agités, promettant des "informations sûres", véhiculent les plus folles rumeurs qui en disent long sur la haine qu'ils portent au nouveau pouvoir et sur les tensions religieuses qui menacent le pays. "C'est le président Michel Djotodia qui a lui même sélectionné les titulaires du baccalauréat et il n'y avait que des musulmans, des armes ont été distribuées à tous ses coreligionnaires", affirme sans sourciller un jeune homme noyant par là même quelques réalités.
MULTIPLICATION DES EXACTIONS COMMISES PAR LES EX-REBELLES
La nuit venue, selon plusieurs sources dans le quartier, des éléments de l'ex-rébellion mènent des "opérations hiboux". "Il y a une semaine, les Séléka sont venus en civil pour enlever un jeune militaire. Quand ses parents sont allés à la police, on lui a dit qu'il avait été déporté chez un certain colonel Ali qui demande une rançon pour le libérer. Aujourd'hui encore, il n'est pas réapparu", confie un habitant souhaitant conserver l'anonymat.
Face à la multiplication des exactions commises par les ex-rebelles, une partie de Bangui a commencé à réagir. Le 27 août, environ 5 000 résidents du quartier Boeing ont envahi l'aéroport sécurisé par 400 soldats français. La colère et l'exaspération ont été entendues en haut lieu. "Le président Djotodia a senti le coup de semonce, que le ras-le-bol général de la population pouvait l'emporter", raconte un officier africain.
Sur les conseils insistants de représentants de la communauté internationale, le chef de l'Etat a sommé les combattants qui l'ont porté au pouvoir par les armes le 24 mars de quitter les rues de la capitale et policiers et gendarmes ont repris leur mission de sécurisation de la ville, appuyés par 2 000 hommes de la Fomac, la force d'Afrique centrale.
LES MOYENS DES FORCES DE L'ORDRE SONT INSIGNIFIANTS
Reste que les moyens des forces de l'ordre centrafricaines sont insignifiants. "C'est l'indigence totale. La police a quatre véhicules dont deux en panne, la gendarmerie en a quatre opérationnels, nous avons cinq talkies-walkies et pas une armurerie digne de ce nom", souffle Josué Binoua, le nouveau ministre de la sécurité. Ce transfuge de l'ancien régime, il occupait les mêmes fonctions sous François Bozizé, déborde d'énergie, n'est jamais avare d'un bon mot, mais ses changements de cap laissent pantois.
En janvier, il accusait les rebelles, qui sont dans leur immense majorité musulmans, d'être des terroristes d'Al-Qaida et aujourd'hui, il coordonne les opérations de désarmement des combattants de la Séléka avec le général Moussa Assimeh, un ancien colonel de l'armée soudanaise devenu général centrafricain. Dans un arabe qui évoque d'avantage l'aridité du Darfour que la moiteur banguissoise, ce dernier promet "de détruire les malfrats" mais plusieurs sources le décrivent comme le "chef des bandits" et le principal orchestrateur du pillage de la ville.
"Les patrons militaires de la rébellion n'ont jamais eu l'ambition de reconstruire le pays. Ils savent qu'ils n'ont pas vocation à durer alors ils considèrent Bangui comme un butin", analyse un vieux connaisseur de la Centrafrique. Un ministre qualifie même la Séléka "d'organisation criminelle".
"L'ÉTAT DES FINANCES EST CATASTROPHIQUE"
En s'emparant du pouvoir, la rébellion, qui est aujourd'hui officiellement dissoute, a fait s'effondrer un Etat dont les fondations étaient déjà vermoulues. Si, dans la capitale, la sécurité s'est améliorée ces derniers jours, de l'aveu même du premier ministre, Nicolas Tiangaye, "l'état des finances est catastrophique". La communauté internationale et en premier lieu la France, qui a promis de s'impliquer plus fortement, sont appelées à la rescousse.
A l'intérieur du pays, la situation humanitaire est déplorable et les chefs de guerre, qui, le plus souvent, ne répondent qu'à eux-mêmes et ne se soucient que de leur propre intérêt, font régner leur loi dans le sang. Michel Djotodia, qui devra théoriquement rendre le pouvoir à un président élu début 2015, se retrouve désormais face à une équation quasi insoluble. Si ce dernier ne prend pas ses distances avec "ses généraux", la Centrafrique continuera de plonger dans le chaos mais, comme le souligne un diplomate, "sa position est fragile et ceux qui l'ont fait roi peuvent le déposer à tout moment".
Cyril Bensimon (Bangui, envoyé spécial)
Bangui victime des seigneurs de guerre
REPORTAGE - La Centrafrique est à l'agenda de l'ONU, où François Hollande a lancé un « cri d'alarme » pour sauver le pays.
Envoyé spécial à Bangui Tanguy Berthemet Le Figaro
Baudoin Damaï est un garçon du genre vindicatif. Devant une buvette, une cabane en planches pompeusement appelée Le Royal, il raconte à grand renfort de gestes les malheurs qui se sont abattus sur lui et les siens. La date du début des ennuis: le 24 mars, le jour de l'entrée dans Bangui de la Séléka, une coalition de rebelles venue pour renverser le pouvoir vermoulu du président François Bozizé et installer son successeur, Michel Djotodia.
«Depuis, on ne vit plus. On a peur d'être tué ici», assure Baudoin. Ici, c'est Boy-Rabe, un quartier de la capitale centrafricaine réputé favorable au pouvoir déchu. «Les Séléka font des opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des jeunes que l'on ne revoit plus.» Autour de lui, on acquiesce et on s'énerve en agitant des verres vides par habitude. Nul n'a plus le premier franc CFA pour se payer à boire, et de toute façon il n'y a pas grand-chose. «Tout a été pillé», se lamente Frank Wakian, le gérant.
Le pillage orchestré par les nouveaux maîtres de la ville est généralisé. Avec une préférence pour les voitures, les matelas et l'électroménager. «Ils sont venus chez moi en juillet. Ils ont cassé la porte puis ont pris ma télé et mon frigo. J'ai essayé de m'opposer, mais ils m'ont mis un coup de crosse sur la tête», affirme Julice Diforo, qui porte haut un tee-shirt aux couleurs de François Bozizé. Cette scène, tous ou presque en ont été les victimes ou les témoins.
«Les Séléka font des opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des jeunes que l'on ne revoit plus.»
Assis sous un arbre dans sa cour de terre, comme il sied à son rang, Camille Mandaba, le chef de quartier, n'essaie même plus d'apaiser les choses. Lui aussi a été menacé «avec un fusil sur la tempe» et tous ses biens ont été volés. L'incompréhension est totale entre les habitants et ces miliciens de la Séléka, des hommes venus du nord, souvent tchadiens ou soudanais, ne parlant ni français ni la langue locale, le sango. L'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, parle même d'«occupation».
«Ils volent tout le monde sauf leurs frères musulmans à qui ils vendent ce qu'ils nous prennent», crache Lucas Youphenin. Ce chômeur, comme beaucoup de ses amis chrétiens, refuse de faire la différence entre les soldats et la minorité musulmane de la ville. «Ils sont ensemble. On ne peut pas faire confiance à un musulman.» «Il y a maintenant un vrai risque d'affrontements religieux en Centrafrique», analyse un diplomate.
La mission de désarmement tourne à l'immense razzia
D'autant que la colère du quartier de Boy-Rabe s'est muée en haine depuis le 20 août. Ce jour-là, les hommes de la Séléka ont organisé une vaste opération. Officiellement, un «désarmement» du quartier. La mission a immédiatement tourné à une immense razzia. «Ils sont entrés à 15 heures en tirant partout et ont tout ratissé en volant, volant, volant…», se souvient Jésus Wale. Les habitants se sont insurgés, lançant des pierres. Le lendemain, la Séléka s'abattait sur Boeing, une autre zone de Bangui, avec les mêmes effets. La population exaspérée s'est soulevée avant de fuir en masse vers l'aéroport de M'Poko sous le contrôle de l'armée française. «Ces deux opérations ont été un véritable désastre», reconnaît Guy-Simplice Kodégué, le porte-parole du président autoproclamé Djotodia. Elles auront au moins eu le mérite de permettre au nouveau pouvoir de prendre conscience que l'insécurité ravageant le pays risquait de l'emporter.
En réaction, mi-septembre, le président a dissous par décret la Séléka. Puis, il a limogé quelques dignitaires et nommé Josué Binoua à l'Intérieur, au terme d'un retournement tout centrafricain. Volubile, charmeur, le nouveau ministre de la Sécurité exerçait déjà la fonction sous Bozizé. «Les choses changent. Moi je suis là pour servir mon pays et nous allons le désarmer», explique ce pasteur dans un éclat de rire. Pour ce faire, il s'est associé à un autre ancien proscrit, le général Moussa Asimeh.
Celui que tous désignaient, il y a peu, comme un citoyen soudanais et grand ordonnateur des exactions. «Je dis la vérité. Sur le Livre, je suis centrafricain et je ne veux pas que mon pays saigne», jure en arabe cet homme au sourire et à la politesse qui sentent les sables du Darfour. Il avoue d'ailleurs sans mal avoir été colonel dans l'armée soudanaise.
L'étrange équipage a eu quelques résultats. Dans les rues de Bangui, les policiers et les gendarmes ont remplacé les miliciens désormais discrets, mettant un peu terme à l'anarchie. Comment les barons de l'entourage pléthorique de Michel Djotodia réagiront à cette reprise en main? Personne n'ose le prévoir.
Un pays hors de contrôle
À quelques kilomètres de Bangui, le pays est donc totalement hors de contrôle. Et dans les quartiers de la capitale, les généraux autoproclamés et les colonels continuent de régner. Ces seigneurs de guerre, qui se vouent souvent une haine mutuelle, n'entendent pas rejoindre facilement les casernes ou lâcher «leurs» armes, source de leur puissance. «On ne leur laissera pas le choix», dit le général Moussa. La tâche sera complexe. «Le problème vient de ces généraux. C'est leurs soldats qui sèment les troubles. Beaucoup à la Séléka ne sont pas venus pour construire un État mais pour prendre un butin», analyse un bon connaisseur du pays.
Pour remplir le vide sécuritaire, le gouvernement compte sur les troupes de la Micopax, une mission de sécurisation africaine. Quelque 2 400 soldats, congolais, gabonais, camerounais et tchadiens sont déployés. Mais résoudre l'équation centrafricaine n'est pas simple. Il faut des soutiens. Or les Africains n'ont pas les moyens de se financer et la communauté internationale rechigne à apporter sa contribution. Mardi, à la tribune de l'Onu, François Hollande a lancé un «cri d'alarme» et réclamé un renforcement de la force panafricaine existante. Ce mercredi, en marge de la conférence des Nations unies, la France organise une réunion sur ce thème. Dans son bureau obscur, le premier ministre centrafricain, Nicolas Tiangaye, semble épuisé par cette situation qu'il qualifie lui-même de «catastrophique». Imposé par la communauté internationale pour tenter de contrôler Michel Djotodia, il sait que rien ne pourra être fait sans un minimum de sécurité. «Il faut que l'étranger nous aide, sinon on ne pourra rien faire.»
Hollande interpelle l'ONU sur la Centrafrique : 4 conditions pour sortir de la crise
Par Zobel Behalal, spécialiste de la régulation des armes.
LE PLUS. Depuis le renversement du président François Bozizé par les rebelles de la coalition Séléka, la République centrafricaine vit dans le chaos. Après avoir lancé un cri d'alarme lors l'Assemblée générale de l'ONU, François Hollande a co-présidé une réunion ministérielle sur la crise humanitaire et sécuritaire. Comment sortir de cette crise ?
Mercredi 25 septembre, l’ONU et l’Union européenne ont organisé une réunion de haut niveau sur la crise en République centrafricaine (RCA). Cela indique que ce pays prend une place de plus en plus importante à l’agenda international.
À New York, depuis le début de la semaine, j'ai eu l'occasion de le vérifier, au fil de mes rencontres avec les diplomates.
Ce "réveil" international est une bonne chose pour les populations en RCA. Le silence et les hésitations, dont faisait preuve la communauté internationale depuis le début de la crise, aurait contribué à une possible implosion du pays et des répercussions sur toute la région.
Il y a urgence à agir
Il faut maintenant que, de toute urgence, des actions concrètes soient mises en œuvre pour mettre fin aux souffrances des populations.
À cet égard, la réunion de haut niveau de mercredi est un véritable échec. Aucune décision n'a été prise à l’issue de 90 minutes de discussions auxquelles participaient, pour la France, Laurent Fabius et Yamina Benguigui.
Par ailleurs, alors qu’il a été formellement alerté par les organisations africaines sur la gravité de la situation sécuritaire, le Conseil de sécurité, freiné par des différences de perception entre ses membres, n’a pas encore adopté de résolution en mesure de faire évoluer les choses sur le terrain.
Nul ne peut pourtant douter de l’urgence d’agir. De mon point de vue, l’efficacité d’une action de la communauté internationale s’appréciera à l’aune d’au moins 4 conditions :
1. Fournir de vrais moyens logistiques et financiers
Il faut premièrement apporter une réponse appropriée au défi sécuritaire. Face aux exactions commises par les éléments des Séléka, les États doivent donner les moyens logistiques et financiers aux troupes africaines présentes sur le territoire afin qu’elles protègent efficacement les populations civiles. Seule une résolution du Conseil de sécurité peut le permettre, celle-ci doit donc être adoptée sans délai.
2. Éviter le piège de la seule lecture religieuse du conflit
La deuxième condition est d’éviter le piège de la seule lecture religieuse du conflit. Il est clair qu’il y a aujourd’hui en RCA des affrontements à connotation religieuse. Et pourtant, même si cet argument fait aujourd’hui évoluer la position des États-Unis – longtemps restés attentistes –, il serait dangereux et erroné de considérer les tensions entre communautés religieuses comme une cause profonde du conflit centrafricain.
Contrairement à ce que j’entends ici, à New York, et même de la part de certains diplomates, la RCA n’est pas l’illustration de la théorie développée dans la "fin de l’histoire" de Francis Fukuyama. Toute action étrangère conditionnée par cette seule vision ne permettra pas de restaurer une paix durable.
3. Prendre en compte la dimension économique
En troisième lieu, les États doivent réaliser que toute action qui ne prendrait pas en compte la dimension économique du conflit restera insuffisante. Comme l’expliquent des acteurs de la société civile centrafricaine, les Séléka ont commencé leur progression vers Bangui à partir d’une région riche en diamants. Le commerce de cette ressource naturelle, parmi d’autres, a contribué à les renforcer.
Alors que l’on discute au niveau international du renforcement de la présence onusienne, il faut absolument trouver des mécanismes internationaux pour empêcher que l’exploitation et le commerce des ressources naturelles contribuent au financement de la violence armée.
4. Accorder une place importante à la société civile
Pour finir, je pense que tout processus de sortie de crise en RCA ne sera durable que s’il accorde une place importante à la société civile, malgré les clivages qui la divisent depuis l’indépendance, et qu’il faut l’encourager à les surmonter au lieu de les renforcer.
D’autre part, l’instabilité chronique que vit le pays depuis plus de 20 ans est aussi le résultat d’une trop grande proximité entre les politiques et les hommes en armes. Il faudra aussi très vite créer les conditions pour restaurer et entretenir le vivre ensemble, quotidiennement bafoué dans le pays. Pour y parvenir, le rôle des ONG et des représentants religieux sera essentiel.