Sabine Cessou journaliste le 25/09/2013 à 12h28
Des voix de la société civile centrafricaine s’élèvent ce mercredi à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies et d’une réunion de haut niveau sur la Centrafrique.
Avec l’aide du Secours catholique et du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), qui les assistent dans leur plaidoyer, elle veulent alerter sur les dangers de l’anarchie qui règne dans ce petit pays d’Afrique centrale (5,16 millions d’habitants).
La rébellion séléka, une coalition disparate et désorganisée de cinq groupes armés qui recrutent surtout dans la minorité musulmane (15% de la population), a pris le pouvoir par les armes le 24 mars dernier. Le président déchu, François Bozizé, n’a pas réussi à se faire aider par la France. Depuis son exil au Cameroun, il manœuvre pour reprendre le pouvoir.
Quitte à exploiter l’animosité interreligieuse qui monte en Centrafrique, dénoncent des représentants de la société civile. François Bozizé est clairement accusé de vouloir récupérer la résistance opposée par des milices d’autodéfense de villageois chrétiens contre les exactions de la Séléka dans le nord.
« Rien à voir avec les musulmans »
Nestor Désiré Nongo Aziagbia, évêque de Bossangoa, une ville du Nord où le conflit a fait plus de 100 morts en septembre, explique ainsi :
« Dès qu’un musulman a un petit pépin, une dispute avec un frère chrétien, il appelle la Séléka à la rescousse qui règle le problème à sa manière, en pillant et en tuant les villageois chrétiens pour un rien. Je peux vous dire que des hommes politiques recherchent les recettes de la lutte d’une population excédée. Des jeunes résistent par exemple à des actes de racket hebdomadaire sur des marchés. Mais aucun groupe constitué n’existe au nom de Bozizé dans la région. »
Béatrice Epaye, responsable de l’ONG Voix du cœur, qui s’occupe des enfants de la rue, par ailleurs députée de l’Ouham (nord) et membre du Conseil national de transition (CNT), affirme :
« Il faut arrêter la haine exploitée par les politiques. Nous avons une cohabitation paisible depuis des années, des mariages mixtes entre chrétiens et musulmans, des familles mélangées. Ce que fait la Séléka dans le nord n’a rien à voir avec les musulmans : viols, drogue, boisson, enrôlement d’enfants soldats, il s’agit de bandits et de mercenaires apatrides ».
« Des signes inquiétants », selon l’évêque
Certains affirment au contraire qu’il y a des islamistes dans la Séléka. Le président du Tchad voisin Idriss Déby, évoque le risque d’un nouveau « sanctuaire de terroristes » en Centrafrique.
Peut-être pour mieux justifier son interventionnisme, avec le déploiement, le 23 septembre, de 400 soldats tchadiens venus en renfort de la Force d’Afrique centrale (Fomac) pour désarmer la Séléka. Trop incontrôlable, cette rébellion a été officiellement dissoute le 14 septembre par le président Michel Djotodia, qu’elle a pourtant porté au pouvoir. Du coup, l’instabilité a encore monté d’un cran.
Sur l’islamisme, Nestor Désiré Nongo Aziagbia, l’évêque de Bossangoa, explique :
« Il y a des signes inquiétants. Au nord, on interdit de la viande boucanée sur les marchés, des porcs ont été abattus, et on oblige des femmes à se convertir à l’islam, à porter le voile, dans le cas des mariages forcés avec des femmes violées qui sont délaissées par leurs familles. »
« La Séléka, ce n’est pas Aqmi »
La Seleka a détruit des mairies et incendié des actes d’état civil. Ces gestes sont perçus comme une revanche de la minorité musulmane du nord, l’administration centrafricaine ayant refusé à ses membres des papiers d’identité, sous prétexte qu’ils sont étrangers.
Un problème assez proche de celui qui s’est posé en Côte-d’Ivoire, mais pas comparable à la situation qui a pu prévaloir au Mali, estime Bruno Angsthelm, chargé de mission au CCFD sur le Tchad, la RCA et les deux Soudan.
« La Séléka, ce n’est pas Aqmi [Al Qaeda au Maghreb islamique, ndlr]. Globalement, elle n’a pas une force de frappe très importante, et elle est peu organisée. Il y a dans ses rangs des combattants des milices Janjaouid du Darfour, des troupes perdues. On n’est pas en présence d’un risque de guerre civile, mais d’une haine qui se diffuse. La Séléka a fait sauter un bouchon. On a assisté à des pillages tous azimuts et à une perte de contrôle collectif. Et ce, dans un pays où l’Etat est faible et où prévaut depuis longtemps un sentiment de victimisation par rapport à des voisins perçus comme des envahisseurs. »
Une résolution poussée par la France est attendue des Nations unies, pour renforcer le mandat du Bureau intégré des Nations unies en Centrafrique (Binuca). Objectif : mieux soutenir la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) de 3 600 soldats que prépare laborieusement l’Union africaine (UA).
Mais pas question pour l’instant de la transformer en mission onusienne. Et encore moins de voir la France intervenir directement. Les 450 soldats français déployés à Bangui protègent d’abord et avant tout l’ambassade de France et l’école française, de même que l’aéroport, pour permettre l’évacuation des ressortissants français en cas de nouveaux troubles.
Centrafrique vers une confessionnalisation de la crise?
Slate Afrique 25/09/2013 à 12:43 http://www.slateafrique.com
La prise du pouvoir par la Séléka a aussi provoqué une crise qui a des relents de conflits entre chrétiens et musulmans.
Depuis le renversement de François Bozizé par les rebelles de la Séléka en mars 2013, l'Etat centrafricain brille par son impuissance. Pillages, viols, meutres ont lieu en toute impunité. Avant cet énième coup d'Etat, le pays était déjà dans une situation critique.
Les indicateurs de développements humains étaient depuis longtemps alarmants: l'espérance de vie est de 45 ans; la malnutrition touche 38% des enfants. Mais la situation empire de jour en jour. Outre la recrudescence des pillages et des règlements de compte armés, les organisations dénoncent depuis plusieurs mois la montée des violences confessionnelles, principalement à l'encontre des chrétiens.
«Si tu parles arabe, ils ne te toucheront pas»
La République Centrafricaine compte 5 millions d'habitants, dont environ 45% de protestants, 35% de catholiques et 15% de musulmans, majoritairement originaires du nord d'où vient la rébellion.
«Les combattants du Séléka tuent pour un rien, entrent dans les maisons, chassent leurs habitants et manquent de respect aux femmes dans leur intimité», confiait déjà en mai 2013 l’ancienne députée centrafricaine Béatrice Epaye.
D’après elle, les populations chrétiennes sont leurs principales cibles:
«Si tu parles arabe, ils ne te toucheront pas et les mosquées sont épargnées, mais ils profanent les églises, et des prêtres ont été blessés.»
Une accusion dont se défend le président autoproclamé et ex-chef rebelle Michel Djotodia. Lors d'une conférence organisée en mars 2013, il rappelait le caractère «laïc» de la République centrafricaine. Avant d'ajouter:
«Je suis musulman, mais je dois servir ma patrie, tous les Centrafricains.»
Spirale dangereuse
Sur le terrain, les institutions internationales dénombrent pourtant une augmentation des violences confessionnelles, notamment à Bossangoa, dans le nord-ouest du pays.
«C'est une première dans ce pays et c'est extrêmement dangereux car une fois enclenchée, une telle spirale peut se poursuivre sur des générations», prévient la commissaire européenne chargée de la Coopération internationale, Kristalina Georgieva.
Parmi les acteurs religieux, nombreux jouent la carte de l'apaisement et du dialogue entre chrétiens et musulmans. En juin dernier, les plus hautes autorités religieuses du pays se sont réunies à Bangui pour transmettre un message de paix à la population:
«Attaquer les chrétiens est de nature à jeter le trouble», a insistél’imam Oumar Kobine Layama.
Lu sur La Croix, Le Monde, Amnesty international