Beaucoup des choses ont été dites sur les dernières tueries de Bangui. D’aucuns y ont vu un antagonisme entre chrétiens et musulmans de Centrafrique. D’autres ont parlé d’une réaction contre la carence de l’état centrafricain, cette pure fiction. Un journaliste centrafricain a même forgé le néologisme « boubouroucratie » qui dit bien la chose pour ceux qui comprennent notre langue nationale. J’ai évoqué l’Absurdistan dans un article précédent pour parler de ce pays qui marche sur la tête.
Aujourd’hui, ma contribution se décline sous l’angle d’une triple frustration subie par les Centrafricains ces derniers temps et qui peut expliquer leur extrême nervosité.
Tout Centrafricain sait que le général Bozizé est un simple vassal du président tchadien Déby auquel il s’est inféodé pour interrompre un processus démocratique en cours. Déby qui se rêve en stratège a fait d’une pierre deux coups : mettre un terme au régime démocratiquement élu de Patassé qui l’agace et surtout trouver à moindre frais un garde chiourme pour protéger son flanc sud où se trouve son pétrole. Le forfait de Bozizé a offert de la profondeur géostratégique à son suzerain Déby en difficulté avec ses rebellions du Nord et de l’Est. Déby a trouvé un maillon faible en Afrique centrale qu’il peut manipuler à sa guise dans son approche clanique et sa gestion dictatoriale de la chose publique. Comme tous les dictateurs, Déby n’a aucune confiance en Bozizé, ce pauvre pantin qui lui doit tout . Il le méprise et le fait surveiller de près par ses propres hommes qu’on appelle les Zagawa, ceux-là mêmes qui font la pluie et le beau temps à Bangui. Ces Zagawa incultes, sans foi ni loi, à la gâchette facile et au verbe haut prouvent quotidiennement aux Centrafricains par leur présence et leurs actes qu’ils ont perdu leur souveraineté. Voila bien une cause de frustration profonde pour un peuple qui a le sens de la dignité.
La deuxième frustration est liée au hold-up électoral réalisé par Bozizé avec la complicité de ce monde interlope qui grouille autour de lui pour se rapprocher de la mangeoire. En fait, il a fait un second coup d’état pour se maintenir au pouvoir malgré un bilan calamiteux sur tous les plans. Les droits de l’homme ont reculé de plusieurs décennies en RCA. Un journaliste est embastillé pour avoir fait son travail, un avocat est acculé à la clandestinité et sa famille envoyée à Guantanamo, alors que d’authentiques bourreaux paradent à Bangui. Une bonne partie du pays échappe au contrôle du gouvernement : la LRA du sinistre Kony écume le sud-est du pays, les différents mouvements de rébellion n’en font qu’à leurs têtes dans l’intérieur du pays, tuant, pillant, rançonnant de pauvres et paisibles paysans. Des barrages anarchiques sont érigés sur les routes pour racketter impunément les commerçants, les transporteurs …Bozizé qui a promis la sécurité à ses compatriotes a instauré l’insécurité comme mode de gouvernement dans un pays qui aspire à la paix. Il foule aux pieds le texte fondamental du pays en confondant les pouvoirs . Il manque de programme et d’ambition politiques puisqu’il garde son premier ministre et le président de l’assemblée nationale ainsi que la plupart des ministres après les élections truquées.
Depuis quelques jours, c’est le manque d’eau et de courant qui fait descendre la population de certains arrondissements de Bangui dans la rue après les manifestations monstres qui ont suivi la découverte des deux corps d’enfants suppliciés dans un véhicule appartenant à un ressortissant tchadien. Un président qui se soumet docilement (les Tchadiens parlent de la RCA comme d’une sous-préfecture tchadienne ), qui triche pour se maintenir au pouvoir en dépit de son impopularité, et qui ne peut pas satisfaire des besoins élémentaires de son peuple après 8 ans de pouvoir doit en tirer les conclusions lui-même …s’il lui reste encore quelque lucidité .
Chaque peuple a son génie. Le peuple centrafricain l’a prouvé en 1979 face à un dictateur autrement plus coriace que l’actuel pantin de Bangui. Je fais donc entièrement confiance à mon peuple qui sait exactement ce qu’il veut face à un président imposé de l’extérieur, incapable, autiste, tribaliste, militariste, affairiste qui le mène tout droit vers l’abîme .
KaDé ( France )