Dialogue inclusif par-ci, dialogue inter-centrafricain par-là. Dans un premier temps, la noblesse de la démarche ne fait aucun doute. Il s’inscrit dans le cadre normal de la recherche des résolutions de crise politique. En second lieu, il pose par anticipation la question de la vacuité du timing politique, du sérieux de l’application des recommandations qui suivront donc du sens. L’espérance et la foi en l’avenir devient problématique voir inenvisageable pour nombres de nos concitoyens. Ceux-ci se retrouvent démunis face à l’inertie et la résistance des principaux acteurs politiques du moment d’une manière sournoise, cinglante sinon absurde.
Méfiance exacerbée, peurs entretenues par les détenteurs du pouvoir en cette fin de règne très agitée dont ils redouteraient le sort qui leur serait réservé par l’opposition démocratique si jamais elle parvenait au pouvoir, tant ils auront commis des exactions à l’endroit de celle-ci et du bon peuple centrafricain comme aucun autre régime ne l’avait commis auparavant. De l’autre côté, se profileraient les menaces revanchardes, » humainement compréhensible » de la part d’une opposition brimée, maltraitée, humiliée, déconsidérée, privée de ses droits les plus élémentaires, ce, pendant presque une dizaine d’année. Toutes ses raisons légitimes soient-elles viennent s’entremêler dans un nœud de haine viscérale à peine camoufler qui plonge le pays dans un statut quo destructeur pour la nation. Les conséquences à moyen et long terme sont incommensurables.
La suspicion règne malgré la volonté affichée de tous d’aller à ce dialogue, la confiance est à jamais rompue à raison entre les deux entités du fait que l’opposition a été le dindon de la farce du régime en place. Conscient de ses exactions et de ces manquements envers l’opposition, le régime en place a peur et se méfie d’une éventuelle revanche de l’opposition. Autrement dit, le régime veut demeurer au pouvoir juste pour sauver sa peau et terminer l’œuvre de destruction nationale qu’il a planifié au lendemain du 15 mars 2003 tandis que l’opposition démocratique attend impatiemment son tour pour reprendre les rênes du pouvoir afin de perpétuer ce système pervers à l’envers. Ce ne sera que vengeance et revanche.
Tant que les mêmes acteurs politiques qui animent la vie publique dans notre pays depuis une trentaine d’années sont encore là. Aussi longtemps que ceux qui ont subi malheureusement dans leur chair, leur âme et conscience des actes combien condamnables, ceux qui sont marqués profondément par les meurtrissures des différents régimes n’ont pas fait le deuil de leur malheur en franchissant le pas pour pardonner sincèrement, notre pays ne connaitra pas la paix. Nous pouvons organiser des milliers de dialogue mais cela ne rimera à rien. C’est une question de rivalité, de haine et de vengeance entre ces hommes qui ont pris en otage tout le pays. Ils se sont constitués d’une part et d’autre en une sorte de syndicats des politiciens pour nourrir, entretenir et perpétuer le système. Ils veulent coute que coute s’approprier ce dialogue comme ce fut le cas en 2008 pour que les choses restent en l’état sans pour autant apporter un véritable changement de fond.
Le véritable dialogue inter-centrafricain crédible devrait se faire aussi et avec la grande participation de la société civile, représentatif du vrai corps social. Les partis politiques confondus et les différents régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays depuis une cinquantaine d’année ont lamentablement échoué sinon notre pays ne serait pas là où il est aujourd’hui. Le régime agonisant du général-président aura été celui qui a perpétué puis perfectionner à l’excès les vices et autres tares d’un système en faisant exploser le baromètre de la mal gouvernance et de la déraison.
Les « héritiers » des pères de l’indépendance ont échoué.
Aux pères de l’indépendance plutôt rassembleurs et patriotes, se sont succédés un autre genre d’hommes politiques. Pour des raisons incompréhensibles et condamnables, ils ont préféré cultiver, entretenir, encourager, perpétuer un clientélisme fâcheux, un esprit ethnique répugnant, un clanisme nauséabond, une médiocratie éhontée, une impunité condamnable. Tour à tour ces « héritiers » des pères fondateurs à la tête de leur parti politique respectif ont intégré ces valeurs dans la conscience politique de nos concitoyens au point qu’aujourd’hui la majorité des partis politiques dans notre pays aussi bien à travers ses militants que le bureau politique qui les composent sont synonymes d’une ethnie, au mieux, ils sont représentatifs d’une ou de deux (2) préfectures. L’avènement de la démocratie et du multipartisme a accentué davantage ce phénomène. En cultivant aveuglement ces valeurs de division, ces leaders politiques ont petit à petit réussi à entrainer hélas à défaut d’un projet commun une partie non avertie de la population dans leur coupable manœuvre au point que la lutte politique s’est transformée au fil des années et des régimes en une rivalité pour la conquête du pouvoir de l’état par ethnies ou par région interposées. Ainsi, ils ont entrainés dans leur sillage toute une génération pour les initier au jeu malsain et dangereux de la conquête du pouvoir de l’Etat par le clan.
S’il y’a un temps pour tout, celui des « héritiers « des pères de la nation et leur politique de division nationale, de médiocrité, de l’impunité semble s’étirer désespérément vers une triste fin. La jeune génération à laquelle appartient 80% de la population qui est née après les indépendances, libre de corps et d’esprit ne veut plus les suivre dans leur manipulation politicienne, leurs querelles égoïstes et stériles. Désormais, elle veut vivre ensemble avec toutes les ethnies confondues sur les seules bases de la compétence, du pragmatisme, de l’intégrité et de la citoyenneté.
C’est pourquoi, une nouvelle classe politique doit émerger et revendiquer le pouvoir au nom d’une alternance générationnelle pour sauver la Centrafrique.
Une deuxième alternance générationnelle s’impose.
La situation est grave et exceptionnelle. Face à l’incurie des « héritiers » des pères de l’indépendance, n’appartient t-il pas à la nouvelle génération de prendre ses responsabilités ici et maintenant pour revendiquer et exiger le pouvoir partout où elle se trouve ? Chacun, dans son parti politique respectif doit le faire en exigeant le renouvellement de la classe politique. C’est une nécessité car il s’agit également de la lutte intergénérationnelle. Exiger le pouvoir dans vos organisations pour apporter le changement salvateur dont la République Centrafricaine a tant besoin.
Alors qu’ils n’avaient pas trente ans pour certains d’entres les pères de l’indépendance, ils étaient déjà au pouvoir. Certains « héritiers » ont accédé à leur tour au pouvoir avant l’âge de quarante ans. Il est tout à fait naturel que la nouvelle génération revendique sans complexe le pouvoir cinquante deux ans après les indépendances. Partout ailleurs dans le monde, on assiste au rajeunissement et au renouvellement des hommes politiques notamment les présidents de la république. La jeunesse de notre pays doit prendre son destin en main afin de tourner définitivement la page des « héritiers » des pères de l’indépendance.
Englués pendant des décennies dans des querelles égoïstes, rétrogrades et partisanes, les « héritiers » ont raté le virage décisif pouvant conduire notre pays sur la voie du développement. Peuvent t-ils se permettre de parler au nom de la nouvelle génération ? Sont-ils crédibles ? Ont t-ils encore une légitimité ?
Franck SARAGBA