(Le Monde 21/09/2010)
C'est quoi ? C'est où la Centrafrique ?" C'est ainsi que réagissent beaucoup à l'évocation de ce petit pays. Pas si petit que cela d'ailleurs, puisqu'il possède à peu près la superficie de la France. La deuxième réaction est souvent l'inquiétude. “La dernière fois que le monde a parlé beaucoup de nous, c'est à l'époque de l'empereur Bokassa”, note François, un Centrafricain, habitué à cette indifférence internationale.
Jean Bedel Bokassa (au pouvoir jusqu'en 1979) est connu pour ses nombreuses atrocités. Ce dictateur a fait tirer sur des collégiens qui manifestaient et il était – surtout – accusé de cannibalisme. Pourtant à Bangui, la capitale, l'existence est des plus paisibles. Il y fait même bon vivre, alors que cette cité fleurie et ombragée compte plus d'un million d'habitants. Les Banguissois et les étrangers aiment flâner à Bangui plage, partie de la ville située au bord du fleuve Oubangui.
Ils sirotent des bières en regardant les pêcheurs qui jettent leurs filets éperviers dans les eaux poissonneuses de l'Oubangui. Sur l'autre rive, on aperçoit le Congo. À Bangui plage, les femmes et les jeunes filles – parfois même des collégiennes – viennent aussi boire de grandes bières… entre copines. “Ici, nous sommes très libres. Ce n'est pas comme au Tchad et au Soudan voisin, les femmes ont le droit de s'amuser. À N'Djamena, la capitale tchadienne, des Islamistes m'ont frappée parce que je portais un jean, mais ici je m'habille comme bon me semble”, explique Célestine, une étudiante.
À Bangui, toutes les religions s'entremêlent : les nouvelles églises chrétiennes, l'islam, mais aussi l'animisme, pratiqué ouvertement. Des mains de singes vendues à même les étals des marchés servent fréquemment à accomplir des rites animistes.
La ville est entourée de forêts. À une heure de route à peine de Bangui l'on peut rencontrer des Pygmées. Si l'on a de la chance. Si, ce jour-là, ils ont décidé de sortir de la forêt. Certains sont en voie de sédentarisation – partielle. “Je suis heureux d'envoyer mes enfants à l'école. Maintenant ils sont scolarisés, ils sont respectés. Ils ne sont plus considérés comme des sous-hommes”, m'explique une Pygmée, pressée de retourner dans la forêt, pratiquer la cueillette des baies et la récolte du miel.
Après la touffeur de la forêt, il est possible de se rafraîchir au bord des
majestueuses chutes de Boali. De boire un verre, de déjeuner ou même de prendre une chambre d'hôtel. Un pont de lianes relie ce petit Eden à un village. Avant de revenir à Bangui, les visiteurs
font très souvent une halte à quelques encablures de là, dans un lac peuplé de crocodiles.
À l'entrée de la piste menant au village, des enfants vendent des poulets vivants. Destinés à être sacrifiés aux “dieux du lac”. “Selon les croyances locales, un village aurait été englouti parce que ses habitants auraient manqué de respect à un ancien. Seule la famille d'une jeune fille
respectueuse aurait été épargnée par la colère divine. Aujourd'hui, ce sont les descendants de cette famille qui nourrissent les crocodiles (les esprits des ancêtres)”, m'explique
un habitant.
Un visiteur a acheté un poulet. Un villageois s'approche prudemment du lac. Il appelle : “Jean-Pierre ! Jean-Pierre !” Quelques secondes plus tard, le crocodile dénommé Jean-Pierre pointe le bout de son “museau”. Il flaire sa proie avec gourmandise, joue quelques instants avec le poulet, fait durer le plaisir, puis, d'un coup de mâchoires net, arrache la tête du poulet, pour la plus grande joie des spectateurs.
“Ce pays reste une vraie terre de tradition animiste, m'explique un Centrafricain. Ici, la vie n'est pas comme ailleurs. Nous avons conservé notre identité. Sans doute aussi parce que nous avons eu très peu de contacts avec le monde extérieur.”
Pierre Cherruau
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