Source : quotidienmutations.info 15 Juin 2010
Depuis mai, l’institution de Bretton Woods a suspendu ses décaissements en faveur des Etats-membres de la Cemac via leur banque centrale.
Lucas Abaga Nchama, le gouverneur équato-guinéen de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), a soufflé le chaud et le froid au cours du sommet extraordinaire de la Cemac de Brazzaville le 6 juin dernier. A en croire l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique dans son édition de cette semaine, le gouverneur de la Beac a été sauvé du limogeage par la poigne de son chef d’Etat, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, qui a été soutenu dans ce refus de l’humiliation (Abaga Nchama a arrivé à la tête de la Beac il y a à peine six mois) par son homologue congolais, Denis Sassou Nguesso.
En effet, révèle Jeune Afrique «au cours de la réunion préparatoire du sommet des chefs d’Etat, cinq ministres des Finances sur six avaient évoqué sa démission [celle d’Abaga Nchama] comme seule voie de sortie à la crise feutrée, mais lourde de conséquences, qui oppose une Beac encore fragilisée par le scandale, en 2009, au bureau extérieur de Paris, au monstre froid de Washington qu’est le Fonds monétaire international». Que ce passe-t-il entre le Fmi et la Beac ? Selon les révélations de JA, par correspondance datée du 28 mai 2010 et adressée à Albert Besse, le président du comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac), la directrice Afrique du Fmi, la libérienne Antoinette Sayeh, fait savoir aux autorités monétaires de la zone Cemac que le Fmi suspend ses décaissements en faveur des six Etats de la Cemac, qui sont généralement effectués via la Beac.
Motif, peut-on lire dans JA, «non respect par la Beac du plan de retour à la crédibilité conclu à la fin de décembre 2009 avec le Fmi», qui, par la plume de sa directrice Afrique, reproche également à la Beac «l’absence de justificatifs pour des opérations totalisant près de 5 milliards d’euros [environ… 3275 milliards de Fcfa], le déficit de contrôle par le siège de la Beac des opérations de change engagées par les directions nationales…» Au terme de ces récriminations, Antoinette Sayeh fait savoir au président du comité ministériel de l’Umac qu’«étant donné les montants en jeu, les services du Fmi ne peuvent recommander au conseil d’administration d’approuver de nouveaux décaissements à travers la Beac», et soutient qu’il est «nécessaire et urgent de redoubler d’efforts afin que la Beac soit un dépositaire sûr et crédible des réserves des pays membres de la Cemac».
Conséquences fâcheuses
Les conséquences de cette suspension des décaissements du Fmi des pays de la Cemac via la Beac sont inquiétantes. Principalement pour le Congo, dont le taux de croissance économique projetée cette année à 13%, pourrait baisser de manière drastique. Et pour cause, pour réaliser les nombreux projets à caractère économique devant tirer la croissance du pays vers le haut en 2010, le gouvernement congolais comptait sur la constatation par le Fmi des progrès réalisés dans son programme avec cette institution financière internationale. Lequel constat devait aboutir à des remises de dettes substantielles pour le pays, et catalyser ainsi l’investissement public. Mais malheureusement, la revue du programme économique Congo-Fmi initialement prévue au mois de mai, a été annulée et renvoyée sine die.
Le même sort a été réservé à la Centrafrique, pays dont la suspension des décaissements du Fmi via la Beac, pourrait avoir de conséquences fâcheuses sur l’agenda politique du pays. En effet, apprend-on, dans la perspective de l’élection présidentielle, la République centrafricaine comptait sur un décaissement au Fmi de plus de 10 milliards de Fcfa. Laquelle opération est désormais compromise suite à la décision prise en mai dernier par Antoinette Sayeh. Pour l’instant, la décision prise par le Fmi à l’encontre des Etats de la Cemac n’a pas d’incidences directes majeures sur des pays tels que le Cameroun, le Tchad et le Gabon. Mais elle restreint simplement la marge de manœuvre de ces pays qui, pour des besoins d’investissements, auraient pu solliciter des tirages du Fmi, dont les taux d’intérêts sont jugés préférentiels par rapport à ceux servis par la Beac par exemple. La Guinée Equatoriale, qui n’est pas sous programme avec le Fmi, est le seul pays de la zone Cemac éloigné de toute conséquence en rapport avec la suspension des décaissements décidés par le Fmi.
Brice R. Mbodiam