convoi de soldats tchadiens de la FOMAC vers Damara
03/01/2013
Dos au mur, le président François Bozizé a accepté de négocier avec les rebelles du Séléka. Mais, n'eût été l'intervention des soldats français venus protéger ses ressortissants, que serait devenu le régime de Bozizé?
Les Centrafricains abordent 2013 dans la tourmente et l’angoisse plutôt que dans l’espoir d’une heureuse année.
Au terme d’une offensive éclair, les rebelles coalisés de la Séléka sont aux portes de Bangui, la capitale, depuis les fêtes de Noël. Ils exigent le départ du pouvoir du général président. Sans la présence des 600 soldats français venus protéger «les Français et Européens» et des militaires de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale), le régime de François Bozizé serait peut-être déjà tombé.
François Bozizé acculé
François Bozizé est un président acculé. Le général président n’a jamais eu d’armée digne de ce nom et se sait impopulaire. Mais, il ne s’est pas encore «résigné à se laisser chasser du pouvoir avant la fin de son mandat en 2016». Il a notamment multiplié les appels aux secours à François Hollande, par téléphone, lors de discours et de meeting à Bangui.
Mais «les cousins français» sollicités par François Bozizé n’interviendront pas, lui a sèchement répondu François Hollande. Le président français n’a pas à sauver le fauteuil de François Bozizé alors que sa réélection en 2011 avait été largement contestée par les forces démocratiques de l’opposition. Les législatives qui ont suivi ont été qualifiées de caricaturales: elles ont vu plus d’une douzaine de membres de la famille de François Bozizé «élus» à l’Assemblée nationale et plusieurs ténors de l’opposition «battus».
François Bozizé s’est emparé du pouvoir en 2003 par un coup d’Etat contre Ange-Felix Patassé (président démocratiquement élu) avec le soutien «bienveillant» de la France et «active du Tchad». Aujourd’hui, ce sont d’ex-partenaires de putsch du général président qui ont repris les armes contre lui sous la bannière la séléka.
Ce n’est pas la première fois que François Bozizé est confronté à un soulèvement armé depuis qu’il est au pouvoir. L’ancien président du Gabon Omar Bongo a parrainé en 2008 des accords de paix qui ont ensuite fait long feu.
Rien ne dit que «François Bozizé tiendra ses engagements après un éventuel pacte signé à Libreville sous la houlette de l’actuel président gabonais Ali Bongo», s’inquiète Martin Ziguélé, le chef de file de «l’opposition démocratique» centrafricaine. Une réputation d'incapacité à tenir ses promesses qui affaiblit la crédibilité du régime face à la séléka.
Enfin, le refus du Tchad sous «la discrète pression de la France» d’affronter frontalement les rebelles centrafricains, cette fois, a rendu le président centrafricain encore plus vulnérable. La France n’a donc pas à jouer «les gros bras pour le maintenir en selle». En revanche, elle ne peut se borner à n’intervenir que pour protéger ses nationaux.
Paris ne peut pas se détourner de la crise
La France doit s’impliquer dans la crise centrafricaine selon les mêmes principes diplomatiques que dans la crise syrienne. Les enjeux ne sont pas les mêmes, mais le soulèvement armé contre le régime Bozizé fait courir les mêmes dangers sur le plan humanitaire et des droits de l’homme que la révolte anti-Assad.
Les poursuites de la CPI (Cour pénale internationale) contre l’ancien chef de guerre de la RDC (République démocratique du Congo), Jean Pierre Bemba pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, commis en Centrafrique en témoignent. Dans un communiqué publié le jour de l’an, les Etats-Unis s’alarment «des centaines de disparitions et d'arrestations de personnes issues d'ethnies proches de la rébellion de la Séléka».
«Le respect des Droits de l'homme est une valeur fondamentale de l'Union européenne et constitue un élément essentiel de ses accords avec les pays ACP, Afrique-Pacifique-Caraïbes», a souligné le 1er janvier la représentante de l’Union européenne (UE) à Bangui.
Paris ne peut se détourner de la crise centrafricaine. Il peut et doit contribuer à ramener la paix en Centrafrique en étroite relation avec la CEMAC, l’Union africaine et les Nations Unies. Il ne s’agira pas d’imposer «un plan français» mais un plan de la communauté internationale. La France ne devrait pas s’interdire de reconnaître la légitimité de «l’opposition démocratique centrafricaine» si les circonstances l’exigeaient, comme elle a reconnu la coalition de l’opposition syrienne et jugé le président syrien Bachar Al Assad infréquentable.
Les crises de la Centrafrique et du Nord Mali sont l’occasion pour le président François Hollande d’affirmer «les obligations internationales de la France» en matière de paix et de sécurité. La France doit instaurer enfin une «diplomatie normale» avec l’Afrique. Car aucun des chefs d’Etat qui l’ont précédé sous la Ve république, n’y est parvenu ou n’a voulu le faire. François Hollande est l’héritier, même s’il n’est le comptable, des politiques africaines de ses devanciers.
La France doit protéger ses arrières
Nicolas Sarkozy ne s’est jamais rendu en Centrafrique sous son mandat, ni en visite officielle, ni pour une partie de chasse. Mais le prédécesseur de François Hollande s’est montré «très compréhensif avec Bangui, au moins par omission, après la réélection calamiteuse de François Bozizé en 2011», déplore un opposant centrafricain qui a préféré taire son nom. Une «bienveillance» qu’il explique par «les liens de proximité entre François Bozizé et Patrick Balkany».
Le très «décomplexé» député maire de Levallois près de Paris, est en effet à la fois un membre du premier cercle de l’ancien président français et de celui du président centrafricain «chancelant». Il s’est souvent rendu à Bangui sous la présidence de Nicolas Sarkozy, «officiellement pour favoriser les relations économiques franco-centrafricaines».
François Hollande ne peut pas se cantonner à la seule protection des Occidentaux piégés en Centrafrique. La France a aussi des intérêts stratégiques français dans le secteur minier centrafricain à préserver. Le groupe nucléaire Areva a signé en août 2008 avec le pouvoir de François Bozizé, un contrat de 18 milliards de Francs CFA (27 millions d'euros) sur 5 ans portant sur le projet du gisement d’uranium de Bakouma situé 100km à 900km au nord-est de Bangui.
Les liens étroits entre Paris et Bangui se sont aussi traduits dans un passé lointain par le«parrainage» de l’ancien président Valery Giscard d’Estaing au couronnement de Bokassa 1er en 1976. Un «sacre vécu par les Centrafricains comme une humiliation» grince le même opposant centrafricain en rappelant que «François Bozizé était l’aide de camp de l’empereur Bokassa». Ce qui lui avait valu, «d’accéder au grade de général à l’âge de 32 ans».
François Hollande a mille fois raisons de vouloir impulser une nouvelle politique africaine, mais il lui faut aussi assumer les bons et les mauvais côtés des relations franco-africaines en général et centrafricaines en particulier.
«Si la guerre était une solution à ce pays, on serait au paradis» a ironisé l'opposant centrafricain Martin Ziguélé sur RFI (Radio France internationale). L’ancien Premier ministre centrafricain dirige le MLPC (Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain), la principale force de l’opposition légale centrafricaine. Le MPLC, est un membre de l’Internationale socialiste, comme le parti socialiste au pouvoir en France. Martin Ziguélé est favorable à une sortie de crise par le dialogue même si Bozizé «n’est pas un homme de parole», nous a-t-il confié.
Assane Diop