(Syfia Centrafrique) Dans les lycées et collèges de Bangui, les élèves albinos, marginalisés par leurs camarades il y a quelques années, sont aujourd'hui plus aimés et plus intégrés. Cette évolution des mentalités est le fruit d'une campagne d'explication menée par leur association.
Yann-Loïck Kémba, 17 ans, élève albinos au lycée technique de Bangui, est un garçon très aimé de ses camarades de classe. "Chacun voudrait que je sois son ami", se réjouit-il. Vice-président de la section jeunes de l’Association nationale des albinos de Centrafrique (Anaca) et parmi les dix premiers de sa classe, il inspire l'admiration et le respect. Même sentiment de sympathie à l'égard d'Axel Abanga, 16 ans, du lycée de Miskine à Bangui. Ses copains et lui mangent et jouent ensemble sans aucun souci. "J’aime m’amuser avec lui. Même si nous avons une couleur de peau différente, il est comme moi", lance Pascal Yangakola, un de ses camarades.
Une véritable révolution des mentalités, puisqu'il y a deux ans encore, les albinos étaient rejetés par leurs camarades. "Beaucoup abandonnaient les études à cause des moqueries. Certains parents refusaient même d’envoyer leurs enfants à l’école, parce qu’ils les considéraient comme des anormaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui", se félicite Rock-Claude Ouamazou, secrétaire général de l’Anaca. "Quand je suis entrée au lycée en 2006, les autres me fuyaient, ils me prenaient pour un fantôme, le descendant d’une sirène", se souvient Sylvie Mapouka, élève au lycée Barthélemy Boganda à Bangui. Aujourd'hui, elle a quatre nouveaux amis.
Pour le sociologue centrafricain Gabriel Songo, cette perception erronée a longtemps joué sur le développement et l’éducation de ces enfants qui ont vécu repliés sur eux-mêmes parce qu’ils n’étaient pas considérés par la société comme des êtres humains à part entière. Les mentalités évoluent. Par exemple, les professeurs, qui jugeaient a priori les albinos peu intelligents, ont eux aussi changé d'opinion. "Aujourd'hui, ils savent que le problème des albinos est lié à leurs difficultés de vue qui les empêche de bien lire les écrits du maître au tableau", explique Hervé Towone, enseignant à Bangui.
"Sur les mêmes tables bancs"
Pour combattre les préjugés et les discriminations dont ils sont victimes, les albinos ont créé en 2002 l 'Anaca. Soutenue par le Bureau de l'Organisation des Nations unies en Centrafrique (Bonuca), l'association multiplie depuis les campagnes d'explication à Bangui, à travers en organisant notamment des séminaires. "Les albinos ne sont pas le fruit d’une quelconque malédiction divine, simplement des gens atteints d’albinisme, une anomalie héréditaire et congénitale causée par l’absence du pigment mélanique dans le sang", répète ici et là Étienne Nguipongo, président de l’Anaca.
En 2003, l'association a organisé la première Journée nationale des albinos commémorée depuis chaque 11 novembre. À cette occasion, les albinos organisent des émissions radio et publient des communiqués de presse dans les médias pour dénoncer la stigmatisation dont ils sont encore victimes. Encore aujourd'hui, ils sont par exemple absents de l’université. Depuis deux ans, les élèves de la section des jeunes de l'association sillonnent les établissements scolaires de la capitale. Ils commencent à être entendus. "Les élèves qui étaient hier séparés de leurs camarades sont aujourd’hui assis sur les mêmes tables bancs", observe Rock-Claude Ouamazou.
Protection et promotion des albinos
Dans le but de réconcilier tous les Centrafricains et de promouvoir le droit des minorités à la suite des guerres fratricides qui ont déchiré le pays depuis 1996, le dialogue national organisé à Bangui en 2003 a recommandé des mesures pour protéger les albinos et favoriser leur promotion. Ces assises prévoyaient, entre autres, l'adoption d’une loi pour leur protection et leur promotion, la lutte contre la discrimination à leur égard, notamment dans les établissements scolaires et universitaires. Il s’agissait entre autres de mettre ces élèves au premier rang dans les classes pour qu'ils voient mieux. L'Anaca, le Bonuca et le ministère des Affaires sociales ont ainsi validé en 2004 l’avant-projet de l’ordonnance relative à "la protection et la promotion des albinos en Centrafrique". Mais, ce texte n'a toujours pas été voté par l’Assemblée nationale...
Un peu partout en Afrique, les albinos ont donc pris eux-mêmes en main la défense de leurs intérêts. Au Cameroun, au Burkina Faso, au Sénégal, au Togo, des associations comme l’Anaca mènent des actions similaires pour la reconnaissance de leurs droits. L'Association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos (Asmodisa), qui a son siège au Cameroun, a organisé en août dernier à Yaoundé un congrès international auquel ont participé des délégations de Centrafrique, du Burundi, du Sénégal et de France.
Jules Yanganda