Le bilan ici brièvement esquissé des cinquantes années "d'indépendance" est plutôt honteux pour ces pays et leurs dirigeants successifs. Celui de la République centrafricaine est franchement chaotique et consacre en réalité à ce jour, une cruelle régression. Malgré ses nombreux atouts et ses immenses richesses naturelles, la RCA est classée parmi les pays pauvres les moins avancés. Son rang (179 sur 182) à l'indice de développement humain du PNUD en dit long sur l'état de délabrement qu'il a atteint depuis cinquante ans de prétendue indépendance. Il est confronté à un vrai défi de génération de ses leaders et dirigeants dont la médiocrité, la propension à la prédation et le manque d'ambition noble et de volonté politique à développer le pays, semblent constituer l'une des explications majeures au triste sort de ce pays qui détient actuellement presque tous les pires records socio-économiques et sanitaires.
Rédaction C.A.P
Forum
Thierry VIRCOULON Directeur Afrique centrale de l'International Crisis Group (ICG)
Vu du centre de l'Afrique - Tchad, République centrafricaine (RCA) et RD Congo-, le cinquantenaire des indépendances est un anniversaire à l'envers: on en parle davantage à Paris et Bruxelles qu'à N'Djamena, Bangui et Kinshasa. Sans doute parce que, en Europe, il s'agit avant tout de gérer des diasporas turbulentes et une relation bilatérale devenue épineuse tandis que, dans les capitales africaines, il s'agit d'éviter à tout prix le droit d'inventaire.
Dans deux de ces trois pays, depuis 1960, le PIB par habitant a reculé: en cinquante ans, il a chuté 'de 324 à 93 dollars [72 euros, NDLR] en RD Congo et de 355 à 231 dollars en RCA. Seul le Tchad, grâce à sa récente manne pétrolière, échappe de peu à cet appauvrissement durable en augmentant son PIB de ... 33 dollars (285 dollars aujourd'hui, contre 252 dollars en 1960). Une progression qui doit néanmoins être remise dans son contexte: alors que le pays engrange les pétrodollars depuis le début du siècle (plus de 4,3 milliards de dollars entre 2003 et 2008), il reste caractérisé par un taux de pauvreté de 59 %, un taux d'alphabétisation de 26 % et une malnutrition qui touche un tiers des " enfants de moins de 5 ans.
L'économie centrafricaine, dominée par l'informel, l'agriculture de subsistance et la perfusion de l'aide européenne, fonctionne sur le mode de la survie. Tout comme la RD Congo, qui occupe le 176 ème rang sur 182 dans le classement de l'indice de développement humain (2009), la RCA a vu la nature reprendre ses droits sur les infrastructures essentielles (routes, réseaux d'eau et d'électricité), faute d'entretien et d'investissements. Depuis l'indépendance, le parcours économique de ces pays n'a pourtant pas été linéaire: à une période de croissance dans les années 1960 et 1970 ont succédé le déclin puis l'effondrement économique pur et simple.
CETTE TRAJECTOIRE POUR DES PAYS RICHES en ressources naturelles démontre que la pauvreté de masse n'est pas l'œuvre du destin, mais le résultat logique de décennies de mauvaise gouvernance. En cinquante ans ont alterné dictatures « kleptocratiques » de longue durée, coups d'État à répétition, déstabilisations croisées et guerres civiles instrumentalisées. En RCA, depuis la proclamation de l'indépendance, le nombre de coups d'État réussis (quatre) est supérieur au nombre d'élections. La RD Congo a connu les premières élections au suffrage universel de son histoire en 2006. Le Tchad, la RCA et la RD Congo ont tous connu leur « épopée du désordre », plus ou moins longue et meurtrière. Ces turbulences politiques ont déstructuré l'État et généré des zones grises difficiles à résorber.
Dans l'Elst du Tchad et dans celui de la RD Congo se combinent, en un cocktail explosif, trafics en tous genres, conflits socio-économiques et velléités insurrectionnelles. La RCA est davantage un territoire qu'un État et, malgré la présence de contingents des Nations unies, de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) et de l'armée ougandaise, la sécurité n'y est toujours pas garantie. L'enracinement de l'insécurité est tel que la mutation officielle des rebelles en bandits (initialement des bandits mués en rebelles) suffit à la communauté internationale pour parler de « stabilisation ».
CONFRONTÉS À UNE OBLIGATION de commémoration, les gouvernants pratiquent, comme à l'accoutumée, l'évitement. Le gouvernement congolais a résolument opté pour une fête des dirigeants et non pour une fête du peuple, lequel se trouve cantonné au rôle que lui assigne généralement le pouvoir en pleine autocélébration: celui de spectateur admiratif et gardé à distance. Du passé, il n'a guère été question, sauf à Bruxelles, où quelques avocats veulent relancer la recherche des assassins de Lumumba, un demi-siècle plus tard. Du présent, il n'a pas été question non plus. La famille de Floribert Chebeya, dirigeant de la principale ONG congolaise de défense des droits de l'homme, retrouvé mort début juin après avoir été convoqué par le chef de la police, a été priée de se faire oublier. Finalement, à Kinshasa et ailleurs, c'est l'indifférence du peuple pour ces célébrations officielles qui a été le meilleur indicateur du climat politique cinquante ans après l'indépendance.
JEUNE AFRIQUE N° 2586 DU 1ER AU 7 AOÛT 2010