par Noël Kodia
le 8 août 2008 -
Ce qui vient se passer en Mauritanie où les militaires se sont emparés du pouvoir en prenant en otage le président élu démocratiquement il y a une année, son Premier ministre et son ministre de
l’Intérieur, nous pousse à réfléchir sur les difficultés qui s’imposent à la jeune démocratie africaine à s’installer sur le continent. En destituant le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le
général Mohamed Ould Abdel Aziz est allé contre la légalité constitutionnelle quelles que soient les raisons évoquées. Il vient de donner un coup de frein à la jeune démocratie mauritanienne
consécutive aux premières élections pluripartistes.
Les militaires africains ont commencé à s’intéresser au pouvoir politique quelques années après les indépendances, profitant des systèmes de parti unique qui étaient à la mode dans presque tous les pays. Et des assassinats politiques ont souvent accompagné ces coups de force militaires. Aujourd’hui, avec la démocratie pluraliste qui s’efforce à s’installer sur le continent après la chute du mur de Berlin, beaucoup de pays ont rompu avec cette méthode de prise du pouvoir. A cela, il faut ajouter l’intransigeance de l’Union africaine et l’Union européenne qui ont décidé de ne plus reconnaître les régimes qui se fonderaient sur un coup d’Etat. Aujourd’hui, en renversant le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi élu démocratiquement et dans l’exercice de ses fonctions, les militaires mauritaniens viennent de se faire montrer du doigt par l’Union africaine et l’opinion internationale qui ont condamné ce coup de force.
Les armées dans nos pays africains devraient comprendre que la démocratie qui s’est installée sur fond d’élections plus ou moins acceptées par leur peuple et l’Union africaine révèle des principes qu’il faut respecter. Dans un pays qui a accepté l’avènement de la démocratie, il y a des garde-fous à respecter comme la Constitution, l’Assemblée et les partis de l’opposition qui doivent interpeller le président et non l’armée. On comprend que la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase a été les changements perpétrés par la présidence au sein de l’armée, d’où le mécontentement de certains officiers. Nos Constitutions ne précisent-elles pas que le président de la République est le chef suprême des armées ? En procédant à un remaniement et non à une dégradation dans les forces armées de son pays, il n’a fait que respecter la Constitution. L’armée n’aurait pas du agir de la sorte mais demander à l’Assemblée de faire son travail en mettant par exemple le président en minorité si elle estimait que celui-ci se comportait mal.
La majorité des Constitutions africaines étant calquées sur le modèle colonial, les Mauritaniens se trouveraient dans une situation où
l’opposition serait au pouvoir en cohabitant avec le président. Et le simple changement de majorité ne devait pas entraîner un chambardement susceptible de remettre en cause la démocratie sortie
des urnes.
La situation de la Mauritanie doit interpeller toutes les démocraties africaines. En s’ingérant dans les affaires politiques de leur pays, les militaires mauritaniens ont affaibli l’installation
de la démocratie dans leur pays malgré la survie du pluralisme. Certes, un président de la République ne peut pas être sans défauts car c’est un homme avant tout. Mais la République impose à tout
citoyen des garde- fous comme le respect de la Constitution et le travail des députés, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, pour procéder à des changements au sein de la direction
nationale quand ceux-ci s’imposent. Dans chaque Constitution, il y a des articles qui permettent à l’Assemblée et au gouvernement de rappeler à l’ordre le magistrat suprême quand celui-ci se
trouve en déphasage avec la Constitution.
En procédant à un coup d’Etat, même s’il a été pacifique car sans effusion de sang, les militaires mauritaniens n’ont pas permis à l’Assemblée et au gouvernement de leur pays de mettre en pratique la Constitution qui ne tolère pas la destitution d’un président élu démocratiquement par un coup de force. Les militaires sur le continent doivent se faire violence pour laisser les acteurs politiques et la société civile s’occuper de la gestion de l’Etat en essayant bon an mal an de pratiquer la bonne gouvernance imposée par la Constitution du pays. Les Mauritaniens qui ont donné un bel exemple de démocratie en se donnant un président sorti des urnes il y a un an, voient leur élan démocratique freiné par les militaires. Ces derniers n’ont pas voulu laisser leur peuple régler les problèmes de la nation par l’intermédiaire de la mise en oeuvre de la Constitution. Et ce manquement des militaires mauritaniens risque de faire tache d’huile et jurisprudence dans les autres pays du continent quand le magistrat suprême aurait des démêlés avec les militaires.
Avec les derniers événements qui ont secoué le continent, force nous est de constater que la démocratie a de la peine à s’installer en Afrique et que l’Union africaine a encore du pain sur la planche. Et quand les forces de l’ordre commencent à faire sortir des matraques et des grenades lacrymogènes pour empêcher certaines manifestations pacifiques comme le permet la Constitution, il y a lieu de s’inquiéter ; l’expérience a montré en Afrique que l’on sait comment commencent les troubles politiques mais pas comment ils se terminent, surtout quand les militaires y sont à l’origine. Le coup d’Etat en Mauritanie, une affaire à suivre par les démocrates du continent…
Le Dr. Noël Kodia est essayiste et critique littéraire.
Auteur : Noêl KODIA
Publication : 09 août 2008
Source : http://www.unmondelibre.org