Centrafrique-Presse : Après les élections présidentielles de 2005 où vous vous étiez porté candidat mais où il ne vous avait pas été possible de rentrer au pays battre campagne vous-même, vous avez crée un parti politique la NAP. Or sur proposition de sa base, vous venez d’accepter de prendre la direction de l’APRD qui est un mouvement armé et c’est à ce titre que vous vous êtes rendu dernièrement à Libreville signer l’Accord de cessez le feu et de paix avec le gouvernement du président Bozizé. Votre position est-elle cohérente ? Pourquoi acceptez-vous de prendre la direction d’un mouvement armé ? Que devient désormais votre parti politique ?
Jean Jacques Demafouth : Effectivement j’ai déposé un dossier en vue de la reconnaissance de mon parti la NAP au mois d’octobre 2006. A ce jour le ministère de l’intérieur a délivré un récépissé provisoire mais la reconnaissance définitive tarde à venir. J’ai eu un petit entretien à ce sujet avec le ministre de l’intérieur à Libreville. Quand à l’APRD vous connaissez les circonstances dans lesquelles j’ai été choisi comme Président de ce mouvement. Je suis un homme politique et mes compatriotes m’ont fait appel et je ne peux leur tourner le dos. J’ai reçu mandat de signer un accord de cessez le feu et de paix avec le gouvernement centrafricain et nous allons dans les prochains jours engager des discussions en vue de la signature d’un accord de paix global. L’action que l’APRD a menée sur le terrain doit être poursuivie sur le plan politique.
C.A.P Vous avez été inculpé par le pouvoir de Bangui et condamné récemment par contumace par la dernière session de la cour criminelle de la RCA pour assassinat dans l’affaire du lieutenant Gbodo à Kembé. Pouvez-vous nous faire le point sur cette affaire et quelles y sont vos responsabilités réelles si responsabilités il y a ?
JJD : Merci de me permettre d’apporter une précision avant de commencer. Je n’ai jamais été condamné ni avant ni dans le cadre de cette affaire que vous évoquez. J’ai été inculpé par le tribunal militaire qui s’est ensuite déclaré incompétent et a transmis le dossier à la Cour criminelle. En 2005 la Cour criminelle avait estimée que l’état du dossier ne lui permettait pas de retenir l’affaire et l’a renvoyée devant le doyen des juges d’instruction pour complément d’information. En 2007, le doyen des juges d’instruction a renvoyé le dossier devant la chambre d’accusation de la Cour d’appel. En 2008 la chambre d’accusation de la cour d’appel a pris une ordonnance de contumace pour renvoyer cette affaire devant la cour criminelle. La cour criminelle vient de se déclarer incompétente et a renvoyé à nouveau cette affaire devant la chambre judiciaire de la cour de cassation et nous attendons son arrêt. Voilà ce qui en est de la procédure. En ce qui concerne le fond de cette affaire, c’est tout simplement une manœuvre pour discréditer monsieur DEMAFOUTH.
Rappelez-vous qu’en 1999, et surtout pendant la période de campagne électorale, la tension était montée d’un cran entre les militants du MLPC et ceux du RDC dans la préfecture de la Basse-Kotto. Plusieurs responsables locaux sont venus se plaindre aux autorités à Bangui du comportement de certains jeunes gens détenteurs d’armes de guerre qui sévissaient dans cette région. A cette époque je n’avais pas d’activités officielles je m’occupais de ma société Télécom plus.
Le 1er novembre 1999 j’ai été nommé ministre de la défense et j’ai pris mes fonctions le 3 novembre. Le 5 novembre j’ai nommé un chef de cabinet. Le cabinet du ministre était composé du chef de cabinet, d’un chargé de mission, d’un assistant et du personnel de l’administration.
Le 10 novembre j’ai reçu un appel téléphonique de la présidence m’invitant à une séance de travail présidée par le chef de l’état. J’ai pris part à cette séance de travail en compagnie de mon collègue de l’intérieur. Nous avons ensemble découvert dans la salle les responsables du MLPC qui venaient présenter au Président de la république les militants du MLPC victimes des exactions d’une bande armée dans la préfecture de la Basse-Kotto. Certains étaient encore à l’hôpital communautaire et le reste était hébergé au siège du MLPC. Après plusieurs interventions, le Chef de l’Etat avait conclu par l’envoi d’une mission de la garde présidentielle dans la zone en vue de remettre de l’ordre. La presse présidentielle était présente et l’intervention du chef de l’état a été diffusée à la radio.
Je n’ai pas été associé à la préparation ni à l’exécution de cette mission qui relevait d’un corps qui dépendait exclusivement de la Présidence. La seule chose que mon collègue de l’intérieur et moi avions fait à l’époque, c’était de demander à rencontrer le général KOLINGBA. Mais ce dernier avait refusé. J’ai été informé de cette triste affaire par le Directeur général de la gendarmerie qui est venu tôt le matin à mon bureau. Par contre je sais que la mission de Kémbé a été décidée sur proposition de divers services de l’état dont l’Etat major général des armées. Vouloir absolument incriminer monsieur DEMAFOUTH relève d’une grossière volonté de nuisance pour des fins politiques. De toutes les façons, la vérité sortira un jour. Je vais me battre et je ferai en sorte que même si cette affaire est amnistiée sur le plan pénal, qu’elle soit poursuivie sur le plan civil afin de donner l’occasion aux parents des victimes de connaître la réalité des faits.
C.AP : Lors de la première intervention des troupes du MLC à Bangui après le coup d’Etat raté du général André Kolingba du 28 mai 2001, vous étiez ministre en charge de la défense du président Ange Félix Patassé. Certaines personnes vous accusent d’avoir des responsabilités dans la mort d’un certain nombre de personnalités notamment le général François Bédaya Ndjadder, le général Abel Abrou, le colonel de gendarmerie Alphonse Konzi, de l’universitaire Théophile Touba du RDC, etc…Que répondez-vous ?
JJD : Je suis surpris par ces nouvelles accusations qui sont sans fondement. J’ai lu récemment dans un communiqué signé d’un soit-disant Collectif d’officiers libres qui visiblement, ne font la rébellion que sur internet et dont on ne connaît pas le moindre cm2 du territoire national qu’ils occupent. Je pense que ce communiqué a été confectionné à partir d’un cyber café à Paris et on a mis le nom de cet officier qui vit son exil en Europe dans des conditions difficiles. C’est vraiment lamentable d’en arriver là pour prétendre à une existence politique.
Comme vous le savez le coup d’état du 28 mai 2001 m’a surpris et cela a été démontré lors de mon procès. Mon domicile a été attaqué faisant un blessé grave. Malgré tout j’ai été accusé et envoyé en prison pour rien. Heureusement que la cour criminelle dans son arrêt a reconnu que si l’ordre a été rétabli, c’était grâce à mon travail et à l’organisation que j’avais mis en place dès le lendemain du coup d’Etat. D’ailleurs le procureur général, lors de ce procès a donné publiquement les noms de ceux qui ont tué le général Ndjadder. Quand au général Abel Abrou, il a été tué dans des circonstances que nous n’avons pas eu le temps d’élucider et en pleine opération dans une zone non contrôlée par nos forces. Pourquoi la commission d’enquête mixte n’a-t-elle pas cherché à connaître la vérité sur cette affaire. Quand au député Touba, ce sont des éléments de la garde présidentielle dans la vague de répression qui a suivi l’attaque de la résidence du président PATASSE qui sont allés le chercher pour l’exécuter. Ces éléments sont connus. Ce sont les mêmes qui ont tué Mr BANGANZONI et ses enfants. Pendant ce temps DEMAFOUTH était assiégé chez lui par les assaillants. Je vous répète encore que monsieur DEMAFOUTH n’a jamais commandé la garde présidentielle ni avant les évènements, ni pendant ni après. Pour le cas du colonel KONZI, il était malheureusement sorti de sa cachette le jour ou le chef de l’Etat m’a retiré le commandement et avait confié l’ensemble du contrôle des opérations au Procureur Général qui était nommé Président de la Commission d’enquête mixte judiciaire. Je ne peux rien vous dire sur les circonstances dans lesquelles le colonel KONZI qui a cherché refuge au camp BEAL a été renvoyé vers la gendarmerie et a été extirpé par des éléments de la garde présidentielle pour être exécuté.
C.A.P : Certaines personnes vont jusqu’à vous accuser également d’avoir quelque chose à voir dans les circonstances de la mort du colonel Alphonse REHOTE. Qu’avez-vous à en dire?
JJD : Je ne sais pas pourquoi on cherche absolument à me coller une affaire criminelle sur le dos. Pour ceux qui ne le savent pas j’avais des liens particuliers avec le colonel REHOTE. C’est même lui qui m’a prêté un logement lorsque je suis rentré à Bangui. Quand il a trouvé la mort j’étais en France en mission. Une enquête avait été diligentée par la gendarmerie et le résultat a été communiqué au gouvernement. A l’époque j’étais conseiller à la présidence et le Ministre de la défense d’alors, Pascal KADO, m’avait dit que le colonel était tombé dans une embuscade d’une bande de coupeurs de route provenant du Tchad. Voilà ce que je peux vous dire sur cette affaire.
C.A.P : Certaines personnes considèrent qu’après l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, les prochains sur la liste devraient être le président Patassé et vous ? Quelle est votre lecture des événements d’octobre 2002 jusqu'au coup d’Etat du 15 mars 2003 quand bien même vous n’étiez plus aux affaires ?
JJD : Dans cette affaire les gens spéculent pour rien. C’est une triste affaire qui n’honore pas notre pays. Ce qui est arrivé est grave. Aujourd’hui il faut attendre la fin de l’instruction de ce dossier. Si Jean-Pierre BEMBA a été arrêté, c’est que le Procureur de la CPI a estimé nécessaire son arrestation pour la manifestation de la vérité. Maintenant c’est au Procureur qui a la charge de la poursuite dans cette affaire, de délivrer un mandat ou non. Quand au Président PATASSE, ce n’est que dans la norme des choses qu’il soit entendu. Il était le Chef de l’Etat, chef suprême des armées au moment des faits. Il doit dire ce qui a motivé l’appel aux troupes du MLC, le mécanisme de commandement et d’exécution sur le terrain. Les gens se trompent parfois. Ce n’est pas parce que quelqu’un est arrêté qu’il est coupable, ce n’est pas parce que quelqu’un est inculpé qu’il est coupable. Le peuple centrafricain a besoin de savoir ce qui s’est passé réellement. Si le Président PATASSE ne s’exprime pas à ce sujet, c’est parce qu’il veut réserver la primauté de sa déclaration au Procureur du TPI et je le comprends. Il faut de la sérénité. Le peuple centrafricain lui avait confié son destin en 1993 et renouvelé sa confiance en 1999. Que s’est-il passé ? C’est l’occasion pour lui de s’expliquer. En ce qui me concerne, je n’étais plus aux affaires, et je n’ai donc pas pris part aux évènements dans la période que vous citez. Donc je n’ai rien à y voir.
C.A.P : On parle encore de la nécessité de la signature toujours à Libreville, d’un accord de paix global avant la tenue du dialogue politique inclusif. L’APRD doit être de la partie n’est-ce-pas ? Quelle part compte-t-elle prendre dans le retour durable de la paix en Centrafrique ?
JJD : Effectivement l’APRD va être présente à Libreville pour la signature de l’accord de paix global. Le retour durable de la paix dans notre pays est une question de volonté des parties en conflit. Si nous respectons nos engagements et croyons en ce que nous faisons, la paix est imminente et irréversible. C’est ce que souhaite l’APRD. L’accord de paix global va ouvrir les portes du dialogue national inclusif par la prise de la mesure de décrispation nationale qui est l’amnistie générale. Tous les Centrafricains, y compris les présidents PATASSE, KOLINGBA, et BOZIZE doivent être présents.
C.A.P : Seriez-vous candidat à l’élection présidentielle de 2010 ?
JJD : Pour le moment je ne le sais pas encore. Mais si c’est le désir de ceux qui pensent que je peux proposer des solutions pour mettre notre pays sur la voie du développement, oui je serai candidat. Si non je soutiendrai volontiers un autre compatriote.