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11 janvier 2023 3 11 /01 /janvier /2023 21:27
Affaire Orion Oil : enquête sur une prédation d’Etat
Affaire Orion Oil : enquête sur une prédation d’Etat

Lu pour vous

 

Editorial

Affaire Orion Oil : enquête sur une prédation d’Etat

https://www.liberation.fr/ par Dov Alfon publié 11 janv. 2023 à 19h34

Affaire Orion Oil : où est passé l'argent du pétrole congolais ?dossier

L’affaire révélée ce mercredi par «Libération» dessine les contours d’un système financier occulte autour du pétrole congolais, une manne transitant de Paris à Brazzaville, sur le dos de l’un des pays les plus pauvres du monde. C’est un dossier judiciaire tentaculaire longtemps resté secret. Libération est aujourd’hui en mesure de révéler l’ampleur d’un puissant système financier occulte dont la source est unique : les champs de pétrole de l’un des pays les plus pauvres du monde, la république du Congo. Paris est une des plaques tournantes d’une valse de paiements en espèces atteignant des centaines de millions d’euros depuis une dizaine d’années, dont le grand argentier est un personnage connu de tous les palaces et boutiques du triangle d’or parisien mais qui a réussi à rester sous les radars des enquêteurs jusqu’au 24 janvier 2012. Lucien Ebata est arrêté ce jour-là à Roissy-Charles-de-Gaulle alors qu’il a sur lui une somme importante en liquide qu’il n’a pas déclarée – 182 000 euros et 40 000 dollars. Dans leur enquête, les douaniers français vont de surprise en surprise, de milliers d’euros de cadeaux achetés dans les magasins de luxe des Champs-Elysées jusqu’à des mouvements de cash de millions d’euros à Paris et Monaco. Qui est Lucien Ebata, patron d’une mystérieuse société pétrolière baptisée Orion Oil, et qui sont les destinataires de sa générosité infinie ? La justice française le suspecte de s’être enrichi à millions, en pillant, avec le clan du président Denis Sassou-Nguesso, les ressources de la république du Congo par un vaste système de détournement des recettes de la vente du pétrole. Toujours présumé innocent, il est mis en examen dans cette affaire. La procédure résonne avec celle des «biens mal acquis», dans laquelle les membres du clan Sassou-Nguesso sont soupçonnés de s’être constitué des patrimoines illicites dans l’Hexagone grâce à des détournements de fonds publics. Qui en France a pu bénéficier de ce système ? Libération poursuit son enquête.

 

Enquête Libé

 

Derrière Orion Oil, la disparition organisée de l’argent du pétrole congolais

https://www.liberation.fr/ par Jérôme Lefilliâtre et Ismaël Halissatpublié aujourd'hui à 17h55

Affaire Orion Oil : où est passé l'argent du pétrole congolais ?dossier

L’arrestation à Roissy de l’homme d’affaires Lucien Ebata, en possession d’une énorme quantité de liquide, a mené les douaniers sur la piste de sa société, soupçonnée d’être au cœur d’un vaste système de détournement de fonds publics au profit du clan du président Sassou-Nguesso. Plusieurs centaines de millions d’euros se seraient évaporés.

Libération révèle les rouages de ce qui pourrait être l’un des principaux circuits de détournement des recettes du pétrole congolais, de Paris à Brazzaville en passant par la Suisse et Monaco. En cause, la société Orion Oil et son patron Lucien Ebata, proche du président Denis Sassou-Nguesso et aux multiples relations avec des personnalités économiques et politiques françaises.

Le 19 mai 2017 à 6 h 15, les douanes judiciaires pénètrent dans un immeuble de l’opulente avenue Marceau, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Elles s’apprêtent à perquisitionner un luxueux appartement de sept pièces et 185 m². C’est là qu’habitent Lucien Ebata, le patron de la société congolaise de négoce pétrolier Orion Oil, et sa famille. Les enquêteurs vont y faire des trouvailles spectaculaires. Dans une table de chevet, ils découvrent 3 500 euros en liquide. Dans les poches d’un pantalon posé sur une chaise, douze billets de 100 euros. Dans le portefeuille d’Ebata, dix cartes bancaires. Dans la penderie, des montres de marques prestigieuses en pagaille. Et dans la buanderie, au milieu du linge sale, sont cachées des liasses de très grosses coupures. Des billets de 100 euros, répartis en paquets de cent : 40 000 euros, jetés dans un sac en plastique entre les chemises et les caleçons.

Au même moment, dans une opération coordonnée, d’autres agents du Service d’enquêtes judiciaires des finances (1) s’invitent dans un appartement moins tape-à-l’œil, à Clichy, en banlieue parisienne. C’est celui de Ted T., le directeur financier d’Orion, bras droit et homme de confiance de Lucien Ebata. Les douaniers y trouvent 60 000 dollars à l’intérieur d’un coffre-fort, 80 000 euros dans des sacoches disséminées dans une chambre et même 8 600 euros dans la poche d’une veste. Ils recensent par ailleurs une collection de bijoux et montres (deux Rolex, une Hermès) et d’articles de maroquinerie de luxe… En tout, il y en a pour plus de 600 000 euros.

Surtout, dans la chambre parentale, les enquêteurs du SEJF saisissent un iPad noir, planqué à l’intérieur d’une valise, et un agenda papier gris siglé Société nationale des pétroles du Congo. Des découvertes providentielles. L’examen de ces objets révèle l’existence de tableaux de comptabilité occulte, qui répertorient méthodiquement des mouvements d’argent liquide sur une période allant de 2013 à 2016. Des montants tout simplement hallucinants.

Une procédure qui résonne avec celle des «biens mal acquis»

Le cumul des «approvisionnements», c’est-à-dire des retraits effectués en espèces depuis les comptes d’Orion Oil dans plusieurs banques africaines, s’élève à 164 millions de dollars et 26 millions d’euros. L’addition des «dépenses» listées atteint quant à elle 106 millions de dollars et 44 millions d’euros. Les libellés laissent penser qu’une partie de ces versements de cash a pu directement profiter à des dignitaires de la république du Congo (ou Congo-Brazzaville). Parmi lesquels son président, Denis Sassou-Nguesso, à hauteur de 37 millions de dollars, et ses proches.

En mettant la main sur cet iPad et cet agenda – tenus avec une minutie quasi obsessionnelle par Ted T. –, la justice française a-t-elle découvert les traductions écrites de l’un des principaux circuits de détournement de fonds publics dans cette ancienne colonie française d’Afrique centrale ? Leur contenu a été versé dans un dossier judiciaire aux multiples ramifications politiques et économiques, suivi par le Parquet national financier depuis 2016, resté secret jusque-là, et que Libération a pu consulter. Il vise au premier chef le patron et propriétaire d’Orion, Lucien Ebata, 53 ans. Ce personnage de pouvoir et d’influence est mis en examen depuis l’automne 2021 dans cette affaire, notamment pour des faits de blanchiment et de manquement à l’obligation de déclaration de transfert de capitaux.

Contacté par Libération, Lucien Ebata, présumé innocent, a répondu par la voix de son avocat, Me Antoine Vey : «M. Ebata dément fermement l’existence de quelconque “rétrocommission”. Il s’agit d’une thèse qui a été artificiellement alimentée à partir de notes manuscrites prises par un ex-salarié du groupe de M. Ebata, et qui, curieusement, a depuis lors rejoint une entreprise concurrente.» Il fait ici référence à Ted T., qui a quitté Orion à l’été 2021. Sollicité par Libé, ce dernier n’a pas répondu.

«Cette affaire – qui traîne depuis des années – se déroule surtout dans le contexte d’une violente concurrence, alimentée par des groupes pétroliers qui cherchent à maintenir leur pré-carré sur le continent africain, et qui ont toujours agi pour nuire au développement du groupe Orion et à la réputation de son dirigeant», ajoute le conseil de Lucien Ebata.

La procédure résonne avec celle des «biens mal acquis», dans laquelle les membres du clan Sassou-Nguesso sont soupçonnés de s’être constitué des patrimoines illicites dans l’Hexagone grâce à des détournements de fonds publics. Elle révèle une des manières dont ils auraient bâti leurs fortunes, ensuite blanchies. Malgré le lien évident entre les deux dossiers, «il a été choisi de ne pas les joindre en raison de leur caractère tentaculaire», explique à Libé le Parquet national financier.

Selfies avec des billets

A l’origine de cette histoire, il y a l’interpellation de Lucien Ebata à Roissy-Charles-de-Gaulle, le 24 janvier 2012. En partance pour Kinshasa, capitale de la république démocratique du Congo, il transporte avec lui des sommes stupéfiantes en liquide – 182 000 euros et 40 000 dollars – sans les avoir déclarées. Dès lors, les douaniers du SEJF, rattaché au ministère français de l’Economie, vont lancer des investigations d’ampleur sur l’homme d’affaires, dont l’entreprise commercialise du pétrole brut et des produits raffinés à l’international.

En tirant patiemment les fils pour déchiffrer les flux financiers, les enquêteurs mettent peu à peu au jour ce qui ressemble à un exemple élaboré de corruption internationale autour d’Orion. «Un système d’évasion de capitaux au moyen de porteurs de valises et d’une structure financière hautement complexe», écrivent les douanes judiciaires en 2016. Ce montage passe par «des sociétés domiciliées dans des places financières et des paradis fiscaux (Grande-Bretagne, Suisse, Seychelles, îles Vierges britanniques, Chypre, Panama), ceci dans le but d’escamoter le détournement des revenus du pétrole congolais et d’en masquer les bénéficiaires réels». Les éléments rassemblés documentent une potentielle fraude de très grande ampleur, à base de commissions et de rétrocommissions, portant sur plusieurs centaines de millions d’euros et courant depuis plus de dix ans.

Dans ce dossier, l’argent liquide est partout et Lucien Ebata et ses proches le manipulent avec une désinvolture effarante. Dans le téléphone de Ted T. étaient stockées des dizaines de photos représentant des piles de grosses coupures. Sur l’une d’elles, les douaniers notent que «la réunion des liasses représente a minima 2 millions de dollars et au maximum 2,5 millions de dollars». Ted T. prend aussi des selfies, la tête posée dans un attaché-case rempli de billets… Comme s’il n’en revenait pas lui-même de brasser autant d’argent.

La société de Lucien Ebata, Orion Oil LTD, est créée en mai 2008 au Royaume-Uni, fusionnant plusieurs entreprises de commerce de matières premières. L’année suivante, elle est placée sous l’égide d’une autre structure, Orion Group SA, immatriculée aux Seychelles avec l’aide du cabinet d’avocats Mossack Fonseca, au cœur du scandale d’évasion fiscale dit des «Panama Papers». L’entreprise, qui ne compte que 40 employés directs et dont le siège physique se situe à Kinshasa (RDC), prospère très vite, passant – selon des documents financiers de l’entreprise – d’un chiffre d’affaires de 235 millions de dollars en 2010 à 1,7 milliard en 2014. Cette année-là, elle a dégagé un bénéfice supérieur à 123 millions de dollars.

«Jeu de facturation» sans «justification économique»

Comment une croissance aussi extravagante est-elle possible ? Cette société de négoce, qui agit comme courtier sur le marché de l’or noir entre les producteurs et les distributeurs, a la particularité d’avoir eu pendant une décennie un fournisseur et client quasi unique : la Société nationale des pétroles congolais (SNPC). Cette compagnie publique de la république du Congo, qui possède la trentaine de champs pétroliers du pays, est, de fait, à la main de Denis Sassou-Nguesso, chef d’Etat au pouvoir depuis 1979 (à l’exception d’une parenthèse entre 1992 et 1997). D’après des factures saisies par les enquêteurs du SEJF, Orion a acquis pour 2,6 milliards de dollars de brut à la SNPC entre 2013 et 2015, sur un total de 3,4 milliards d’achats sur cette période. C’est dire si ce partenaire est crucial au business de Lucien Ebata.

L’homme d’affaires revend une partie de la production pétrolière de la SNPC – environ 10 millions de barils par an, selon les dires d’Ebata face à une juge d’instruction le 20 décembre 2021 – aux grandes majors énergétiques exploitantes comme Shell. Au passage, il empoche une marge s’établissant entre 0,77 % et 8,62 % selon les cas. Mais pour quelle plus-value opérationnelle ? Les enquêteurs ont des doutes sur l’utilité concrète d’Orion : leur analyse du système de facturation révèle qu’il n’y a aucun décalage dans le temps entre les ventes de la SNPC à Orion et celles de cette dernière à ses propres clients, en 2013, 2014 et 2015. Comme si l’activité de l’une et de l’autre se confondaient. Un modèle de facture de la SNPC a d’ailleurs été retrouvé dans l’ordinateur de Ted T., le directeur financier d’Orion…

De même, Orion, sur un contrat, donne un mandat direct à la SNPC pour gérer ses propres ventes, signifiant ainsi que son intervention est inutile. Le SEJF en tire une conclusion limpide dans un rapport de synthèse du 27 septembre 2019 : l’activité d’Orion se résume dans ce cas à un «jeu de facturation» sans «justification économique». L’entreprise de Lucien Ebata gagne aussi beaucoup d’argent lorsqu’elle revend des produits raffinés à la SNPC, appliquant des marges énormes, de 35 % à 61 % selon les cas. «Une surfacturation aux dépens de l’entreprise d’Etat», concluent les douaniers.

«PR», des initiales qui interrogent

En résumé, Orion est soupçonnée d’être une société écran permettant de prélever une dîme sur le commerce bien réel du pétrole congolais et de la redistribuer, sous différentes formes, aux dirigeants et notables du Congo. Une sorte de caisse noire dans laquelle les officiels puisent à loisir, même pour des dépenses courantes – paiements de chauffeurs, visas de quelques centaines d’euros… Aux premières loges de ce trafic privant de ressources précieuses un pays dans lequel moins de la moitié de la population des zones rurales a accès à une eau salubre, apparaissent Denis Sassou-Nguesso et ses affidés. Lucien Ebata a rejeté les accusations de malversations, assurant à la juge d’instruction que l’intervention d’Orion en tant que courtier permettait de «valoriser le produit» de la SNPC.

De nombreux éléments versés au dossier semblent accréditer les soupçons d’enrichissement illicite du clan au pouvoir. Le tableau de comptabilité contenu dans l’iPad saisi chez Ted T. en fait partie. En marge de paiements de prestations et frais divers, l’interminable colonne des «dépenses» de ce document contient une liste de possibles bénéficiaires, issus notamment des deux Congo : ministres, diplomates, militaires, chefs d’entreprise… A côté des noms et des dates figurent des montants. Une inscription, «PR» pour une somme de 17 millions de dollars, a notamment attiré l’œil des enquêteurs. D’après eux, ces initiales correspondent à un versement de cash ayant profité au président de la République, Denis Sassou-Nguesso. D’autres personnalités bien connues au Congo-Brazzaville sont sur la liste, comme le patron de la SNPC, Raoul Ominga : le tableau mentionne, sur cette seule période de seize mois, des versements à son endroit de 2,1 millions de dollars et 1 million d’euros.

Dans l’agenda de Ted T., on retrouve, entre autres, deux nouveaux versements de 4 millions de dollars et 1 million d’euros pour «PR», ainsi que 2,4 millions de dollars versés à Aymar E., un conseiller de l’ex-ministre des Finances du Congo Calixte Nganongo. Les informations contenues dans ces deux tableaux sont confirmées par d’autres éléments de l’enquête : «Le recoupement de ces données avec d’autres (factures, documents saisis, conversations téléphoniques et SMS…) permet d’étayer bon nombre des dépenses /remises de fonds inscrites et donc de les crédibiliser dans leur ensemble», notent les douaniers.

«Je ne me rappelle pas»

L’agenda porte la trace d’une autre opération aux montants colossaux. Sur une page du calepin, Ted T. a posé un calcul en forme d’aide-mémoire, daté du 2 février 2017. Au-dessus de l’addition, un total : «65 000 000 $.» Et en dessous, une liste avec des initiales et des sommes «PR : 15 millions», «Min Fin : 10 millions», «RO : 3 millions» D’après le SEJF, ces inscriptions sont les indices d’une «redistribution suspecte de fonds», rétrocommissions dont auraient bénéficié le président de la République («PR»), l’ex-grand argentier du pays Calixte Nganongo («Min Fin») et le patron de la SNPC, Raoul Ominga («RO»). Contactés par Libération, ils n’ont pas répondu.

Les 65 millions de dollars inscrits dans l’agenda ne sortent pas de nulle part. Ils correspondent à une opération financière réalisée par le Congo. Le 12 octobre 2016, dans un courrier à Calixte Nganongo, Raoul Ominga réclame une «avance» de 65 millions de dollars. Il s’agit de répondre «aux multiples demandes de recouvrement de créances dues à Orion Oil au titre de livraisons de produits pétroliers», écrit le cadre de la SNPC. Le 7 décembre 2016, le ministre des Finances sollicite un prêt de 250 millions de dollars auprès d’une banque africaine, Afreximbank. Le 12 janvier 2017, après la signature de l’accord de crédit, il demande qu’une partie – 65 millions de dollars – soit virée directement à Orion Oil. Neuf jours plus tard, Ted T. prévient via WhatsApp l’un des banquiers d’Orion basé à Kinshasa que «65M» vont être crédités : «Il faut te préparer à des retraits à hauteur de 25M.» Même pour eux, un approvisionnement en cash d’un tel volume est inhabituel et impose à la banque de prendre des dispositions exceptionnelles. Les 65 millions sont transférés le 1er février. C’est le lendemain que Ted T. reporte la répartition dans son agenda, avec possiblement 15 millions de dollars pour Denis Sassou-Nguesso.

Interrogé sur ce point par la juge d’instruction, le 20 décembre 2021, Lucien Ebata refuse d’endosser toute responsabilité : «Je laisse à Ted T. le soin d’expliquer les inscriptions.» En garde à vue en octobre 2021, Ted T. n’a pas été plus loquace : «Je ne me rappelle pas que la SNPC avait payé un acompte.» Le directeur financier affirme seulement que «PR» ne désigne pas le président du Congo mais celui d’Orion, soit Lucien Ebata. Une déclaration qui laisse perplexe : dans sa comptabilité, les versements dont bénéficie le patron d’Orion sont généralement fléchés à «Boss».

Homme «généreux»

Des centaines de documents retrouvés permettent aussi de retracer des paiements profitant à Lucien Ebata, ses proches ou des dignitaires congolais. Autant d’opérations pouvant s’apparenter à du blanchiment. L’exploitation d’un téléphone de Ted T. révèle qu’il a pris un vol de Brazzaville à Paris le 26 octobre 2016 avec, dans ses bagages, 1,3 million d’euros en liquide pour le compte de Raoul Ominga. Quelques jours plus tard, dans un message adressé à son père, l’homme de confiance d’Ebata indique qu’il garde cet argent chez lui en France, dans un coffre, pour que le dirigeant de la SNPC le récupère pour acheter un bien immobilier à Paris. Et d’expliquer : «Je ne suis pas à l’aise de garder une telle somme à la maison.» L’épisode illustre, une nouvelle fois, la confusion des rôles entre Orion et la SNPC, et l’usage à grande échelle de l’argent public à des fins privées.

Lucien Ebata et Ted T. avaient l’habitude de passer les frontières avec d’énormes quantités d’espèces. D’après les conclusions des douaniers, les deux hommes et leur chauffeur ont retiré, entre janvier 2009 et décembre 2012, 6,2 millions d’euros et plus de 800 000 dollars des comptes bancaires d’Orion à Monaco, dont une bonne partie a été acheminée en France illégalement. Entre 2014 et 2017, environ 3 millions d’euros en liquide sont également arrivés en France sans déclaration, depuis les deux Congo, selon les recoupements effectués par le SEJF. Mais combien ont échappé à l’attention du service de Bercy ? Et au profit de qui ? Des éléments étayés du dossier judiciaire font peser des soupçons sur plusieurs personnalités politiques et économiques, notamment françaises, comme Libé le révélera dans des articles à venir.

Lors de ses auditions, Lucien Ebata n’a cessé de justifier cette utilisation massive de cash, outre ses «dépenses personnelles», par les nécessités de ses affaires, impliquant le règlement de fournisseurs, de salariés et de prestations au Congo, en France ou ailleurs. Pourquoi ne pas privilégier des cartes de paiement ou des virements ? L’homme d’affaires a mis en cause la faible bancarisation des deux Congo et le délai de traitement des opérations financières. Il s’est aussi présenté en homme «généreux» et a assuré que les versements qu’il ne pouvait pas nier ne comportaient «aucune contrepartie».

(1) Le Service national de douanes judiciaires (SNDJ) est devenu en 2019 le Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

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