Lu pour vous
https://www.letelegramme.fr/ Publié par Pierre Chapin le 12 décembre 2022 à 06h45
Attaque terroriste de l’hôtel Radisson au Mali, crimes de guerre en Centrafrique… Un gendarme brestois a enquêté sur ces drames qui ont marqué l’histoire récente du continent africain. Il raconte.
Quel est votre parcours dans la gendarmerie ?
Major L. : « Je viens des Flandres. Mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père avaient déjà servi la France. Moi, je suis entré au Centre d’instruction de gendarmes auxiliaires de Tulle en 1989, et j’ai enchaîné avec l’École de gendarmerie de Châtellerault. En sortant, j’ai eu diverses affectations en gendarmeries départementales, en Normandie, Midi-Pyrénées et Bretagne ».
Comment vous êtes-vous retrouvés en mission en Afrique ?
« J’ai répondu à un appel à volontaires pour servir le Groupement des opérations extérieures en 2015. Le Gopex a été créé pour les événements dans les Balkans, où il y avait eu pas mal de renforts de gendarmerie, pris dans les unités. La direction générale a décidé de créer un groupement spécifique pour ces missions : l’idée est de partir pour cinq ans sur les théâtres d’opérations où il y a besoin de gendarmes. Moi, j’avais déjà fait deux missions extérieures dans les Balkans, alors que j’étais affecté en brigade. Un travail intéressant, qui permet d’échanger, de comparer notre façon de travailler avec d’autres polices européennes voire mondiales ».
On a très vite été mis à contribution, avec des attaques terroristes qui ont touché le pays, et ont visé la mission, les gens qui travaillaient pour la mission, mais aussi des lieux civils
Quelle a été votre affectation au Mali ?
« J’y ai été envoyé en juin 2015, pour prendre la codirection du laboratoire de police technique et scientifique de niveau II de la Minusma, la mission de l’ONU au Mali. La mission, c’était principalement d’enquêter sur les engins explosifs improvisés (bombes artisanales utilisées lors d’attentats), et d’apporter mon concours, avec les autres gendarmes français, aux forces de sécurité au Mali. On a très vite été mis à contribution, avec des attaques terroristes qui ont touché le pays, et ont visé la mission, les gens qui travaillaient pour la mission, mais aussi des lieux civils. On a notamment enquêté sur l’attaque contre le bar-restaurant « La Terrasse », à Bamako, survenu en mars 2015 et qui avait fait trois morts et huit blessés ».
Le major L. devant la ceinture explosive récupérée après l’exhumation d’un terroriste AQMI, battu par les forces armées maliennes au moment où il allait se faire exploser pendant un attentat sur un bâtiment de la mission Minusma, à Mopti-Sévaré, en août 2015. Il portait 3 kg de TNT artisanale et 1 kg de valorisation de charge (morceaux de métal). La ceinture a été détruite. (Photo Gendarmerie nationale)
Vous avez également été déployé sur l’attaque contre l’hôtel Radisson, qui a fait 19 morts internationaux, le 20 novembre 2015 ?
« Les forces de sécurité intérieure maliennes ont pris en charge le bouclage du périmètre. Nous, on a été alertés pour aller au plus vite faire les constatations et relevés des traces et indices que l’on peut faire sur une scène de crime ou d’attentat. Nous étions deux de notre laboratoire, mais tous les Français ont été mis à contribution sur place. Et au bout de plusieurs mois, on a réussi à identifier trois suspects qui ont été interpellés et condamnés récemment à la peine de mort ».
On est dans le cadre de la mission de militaire, mais à une échelle plus forte, puisqu’on est à l’étranger. Et quand la mission subit des attaques, on n’a pas la même capacité opérationnelle de réponse qu’en métropole
On peut imaginer que ce type d’expérience marque une vie ?
« Oui. On est dans le cadre de la mission de militaire, mais à une échelle plus forte, puisqu’on est à l’étranger. Et quand la mission subit des attaques, on n’a pas la même capacité opérationnelle de réponse qu’en métropole. Au Radisson, je me souviens avoir traversé des locaux où il y avait de nombreux morts. Ça marque, forcément ».
En 2017, vous êtes envoyés en Centrafrique. Cette fois, vos investigations portent sur des crimes de guerre…
« J’ai rejoint l’équipe de police technique et scientifique de la Minusca, qui est la mission de l’Onu en Centrafrique. À l’époque, deux ethnies locales s’affrontaient. La ville de Bangassou avait été attaquée, avec une centaine de civils tués, mais aussi dix Casques bleus, ciblés dans un convoi. On est montés plusieurs fois faire des investigations, entendre des réfugiés… Le camp a été attaqué plusieurs fois quand on était sur place. On a réussi à identifier toute une bande, avec les enquêteurs, et à monter un dossier qui a abouti à la condamnation de 28 personnes pour crime de guerre et crimes contre l’humanité. Là-bas, ce qui m’a marqué, c’est l’intensité des exactions, la barbarie : je ne pensais pas que l’être humain était capable de telles choses ».
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Votre dernière mission, au Niger, était moins exposée ?
« Oui. Il s’agissait cette fois d’une mission européenne. Là, j’étais chargé de la formation des forces de sécurité intérieure, aussi bien côté police que gendarmerie : je formais des formateurs, sur différents spectres de leurs métiers. Une semaine après mon arrivée, un premier attentat à l’engin explosif improvisé est survenu sur place : j’ai réussi à faire passer la formation à ce type de menace dans la mission européenne ».
Que retenez-vous de ces cinq années en Afrique ?
« La fierté d’avoir pu faire des choses que je n’aurais pas faites en France, de voir que ce travail a abouti à des condamnations. Est-ce que ça m’a changé ? Peut-être : ça donne plus de recul sur les choses ».