Tchad: le scepticisme accompagne l’enquête internationale sur les événements du 20 octobre
Avec notre envoyé spécial à Ndjamena, Sébastien Németh Publié le : 09/11/2022 - 12:40
Le Tchad a accepté l’envoi d’enquêteurs étrangers pour se pencher sur les circonstances du bain de sang du 20 octobre. Le bilan officiel de cette journée s’élève à 50 morts et 300 blessés. Mais il pourrait être beaucoup plus important. En attendant de connaître les contours de cette mission internationale en théorie conjointe (CEEAC, UA, ONU), elle laisse perplexe l'un des principaux défenseurs des droits de l'Homme dans le pays, Dobian Assingar.
Il n’est pas sorti de chez lui depuis le 20 octobre, mais Dobian Assingar suit de près la situation. Le représentant de la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains) reste sceptique sur cette mission internationale, surtout si elle est placée sous le label CEEAC (Communauté économique des États de l'Afrique centrale). Pour lui, l’organisation a soutenu la transition et relayé le bain de sang au second plan. « Est-ce que c’est pour faire une enquête bidon et puis se donner bonne conscience ? s’interroge l’activiste. Ces chefs d’État, leur club, c’est de se soutenir, quelles que soient les bêtises qu’ils ont faites. Ils se caressent dans le sens du poil. » Mais le fait qu’il y ait d’autres organisations comme l'ONU et l'OUA pourra permettre de savoir vraiment ce qui s'est passé, tempère t-il.
Un dossier à la Haye
Pour lui, l’enquête sera sérieuse si la mission internationale parvient à circuler dans le pays, à rencontrer les acteurs de la crise et surtout les victimes. En parallèle, les défenseurs des droits de l’Homme tchadiens constituent un dossier qui sera remis à la Cour pénale internationale (CPI). Il viendra compléter celui déposé à La Haye l’an dernier par quatre ONG, pour crimes de guerre et contre l’humanité présumés du Conseil militaire de transition.
« Il faut bien que ceux qui ont agi de manière sauvage puissent répondre, si ce n’est pas ça c’est comme si on donnait la prime de recommencer avec les mêmes crimes. Nous savons que notre justice est aux ordres. Il va falloir que nous nous tournions vers l’extérieur pour que tous ces morts ne restent impunis. »
Dobian Assingar promet de boucler son dossier d’ici un mois. Il affirme avoir dénombré à ce jour 144 morts. À charge désormais au procureur de la CPI de lancer une instruction.
Tchad: l'opposant Succès Masra a quitté le pays
Avec notre envoyé spécial à Ndjamena, Sébastien Nemeth Publié le : 08/11/2022 - 04:44
L’opposant Succès Masra a fui le territoire après le bain de sang du 20 octobre. À la suite des violences qui ont officiellement fait une cinquantaine de morts et près de 300 blessés, le président du parti Les Transformateurs est entré dans la clandestinité, avant de finalement décider de sortir du territoire.
Depuis quelques jours déjà, Succès Masra n’est plus au Tchad. Après la journée sanglante du 20 octobre, la communauté internationale a craint pour sa vie. « Nous avons dit aux autorités qu’il avait droit à un procès équitable, mais que son intégrité physique devait être préservée quoi qu’il arrive. Nous avions aussi peur d’une décision isolée et que quelqu’un l’exécute », confie un diplomate.
Certains ont dit que Succès Masra s’était réfugié à l’ambassade américaine. Ce qu’il avait fait pendant presque une semaine en février 2021, après une manifestation. Mais dimanche, le représentant américain au Tchad, Alexander Mark Laskaris, a fermement démenti. Un observateur ajoute que certains perçoivent Succès Masra « comme le candidat des États-Unis, mais que Washington craignait pour la sécurité de son ambassade et ne souhaitait donc pas qu’il s’y abrite ». Des représentants étrangers auraient néanmoins proposé d’exfiltrer l’opposant, avec l’autorisation du gouvernement tchadien.
Le pouvoir l'aurait laissé passer
Finalement, d’après une bonne source, le chef des Transformateurs aurait choisi de passer au Cameroun voisin, dont la frontière est à cinq minutes de Ndjamena. « Il a traversé par Kousséri [ville camerounaise limitrophe de Ndjamena, NDLR]. Six heures plus tard, il était à Maroua, avant de rejoindre Yaoundé », confie un interlocuteur, sans préciser la destination finale de l’opposant. Le pouvoir tchadien aurait laissé faire. Selon un proche des autorités, « des consignes ont été données aux forces de sécurité pour que rien ne lui arrive. Nous savons par où il est parti et personne ne s’est opposé à sa sortie ».
RÉPRESSION SANGLANTE DE LA MANIF DU 20 OCTOBRE AU TCHAD : Une mission d’enquête internationale pour quoi faire ?
https://lepays.bf/ 8 novembre 2022
Plus de deux semaines après la répression sanglante de la manifestation de rue, qui a coûté officiellement la vie à une cinquantaine de personnes, et fait près de 300 blessés au Tchad, des questions se posent. Qui a tiré sur les manifestants ? Qui a donné l’ordre de tirer ? Et pourquoi ? Les familles des victimes en particulier et les Tchadiens en général veulent connaître la vérité sur ces événements pour le moins tragiques qui rappellent les années sombres de l’histoire de leur pays, écrite en lettres de sang. C’est pour contribuer à la manifestation de la vérité que les Tchadiens et Tchadiennes appellent de tous leurs vœux, que la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) a proposé la mise en place d’une mission d’enquête internationale sur le drame du 20 octobre dernier. S’il est vrai que N’Djamena l’a accepté, il faudra, pour l’instant, se garder de tout triomphalisme et cela, pour deux raisons. La première est que les contours de cette mission d’enquête internationale, n’ont pas encore été précisés. Si bien que l’on ne sait pas encore si les enquêteurs seront totalement indépendants ou s’ils seront intégrés dans une équipe tchadienne. Ce sont des détails qui, en la matière, ont toute leur importance. Mais l’un dans l’autre, le résultat risque d’être le même. Car, à supposer même que les enquêteurs soient des étrangers, ils ne verront sur le terrain que ce que les autorités tchadiennes voudront qu’ils voient.
La meilleure manière de noyer un dossier, c’est de procéder à l’ouverture d’une enquête nationale ou internationale
En effet, ces dernières peuvent travailler à faire disparaître certains indices matériels ou encore procéder à des subornations de témoins surtout quand on sait que la plupart des leaders d’opposition qui avaient appelé à manifester, ont soit quitté le pays soit été arrêtés et conduits vers une destination inconnue. La seconde raison qui appelle à la prudence, c’est que le plus souvent, les enquêtes, qu’elles soient nationales ou internationales, ne conduisent généralement à rien. Parfois, on a l’impression que les dirigeants en usent comme de mesures cosmétiques pour non seulement desserrer l’étau autour d’eux, mais aussi bénéficier de la sympathie de la communauté internationale. Si fait que certains n’hésitent pas à dire que la meilleure manière de noyer un dossier, c’est de procéder à l’ouverture d’une enquête nationale ou internationale. On l’a déjà vu dans d’autres pays du continent où des dirigeants ont profité de la situation pour reprendre la main et consolider leur pouvoir ; tant les conclusions des enquêtes apportent parfois plus de trouble que de lumière. En tout cas, pour autant qu’elles soient de bonne foi, les autorités tchadiennes n’avaient vraiment pas besoin d’une mission d’enquête internationale pour élucider les événements du 20 octobre dernier ; tant les exécutants et leurs commanditaires sont bien connus.
B.O
Au Tchad, l’opposant Succès Masra saisit la CPI après la répression du 20 octobre
https://www.lemonde.fr/ Par Cyril Bensimon 09 novembre 2022
Alors que le gouvernement a accepté le principe d’une mission d’enquête internationale, le leader des Transformateurs, en exil, réclame des poursuites.
L’opposant Succès Masra a requis auprès du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête au Tchad sur des faits présumés de crimes contre l’humanité commis lors de la répression de la manifestation du 20 octobre et lors des jours qui suivirent. Selon nos informations, le leader du parti Les Transformateurs a mandaté à cet effet les avocats parisiens William Bourdon et Vincent Brengarth, qui ont transmis sa requête mercredi 9 novembre à La Haye.
Dans le document d’une trentaine de pages envoyé à la CPI et que Le Monde a pu consulter, ses conseils incriminent en premier lieu le président de transition, Mahamat Déby, considéré comme le « donneur d’ordres » de ces « attaques généralisées et systématiques » consécutives à son maintien au pouvoir pour deux ans et à l’opportunité qui lui a été offerte de pouvoir concourir à la prochaine élection. Sont également visés le ministre de la sécurité, Idriss Dokony Adiker, et les généraux Moussa Haroun Tirgo, directeur général de la police, Ahmat Dary, à la tête des renseignements généraux, et Taher Erda Taïro, patron de la garde présidentielle.
Le 20 octobre au soir, le premier ministre avait déploré « une cinquantaine de morts » et « près de 300 blessés » sur l’ensemble du pays. Lui-même issu des rangs de l’opposition, Saleh Kebzabo avait alors fustigé « la soif de pouvoir de Succès Masra » comme étant à l’origine de cette tentative d’« insurrection populaire armée ». Mais selon ce dernier, qui rejette toute la responsabilité de ces violences sur le pouvoir en place, le bilan serait bien plus lourd : « Il y a eu plus de 200 personnes tuées et 184 sont portées disparues, selon notre décompte. Sur les 27 membres de mon cabinet qui ont été arrêtés le 21 octobre, il n’en reste que quatre en vie », prétend Succès Masra depuis le Cameroun, où il dit avoir trouvé refuge le 1er novembre.
« Créer les conditions d’une guerre civile »
Il dénonce également les conditions de détention infligées aux plus de 2 000 personnes arrêtées pendant et après les manifestations et dont la moitié ont été transférées à la prison – de sinistre réputation – de Koro Toro, selon l’Organisation mondiale contre la torture.
« Le nombre de personnes tuées est déjà un motif suffisant pour saisir la CPI, mais 90 % des victimes, comme en atteste leur patronyme, viennent d’une seule communauté, les Sara, qui représente 30 % de la population et à laquelle j’appartiens. J’en déduis que le pouvoir en place a la volonté de créer les conditions d’une guerre civile pour imposer son plan de succession dynastique au profit d’une branche clanique de l’armée », assène le leader des Transformateurs, qui a sollicité la CPI en son nom propre et en celui de son parti : « La répression d’octobre n’a été que la suite logique des violences qui ont commencé il y a dix-huit mois [avec la mort, le 27 avril 2021, de 17 manifestants protestant contre la transmission du pouvoir d’Idriss Déby, tué au combat, à son fils] et n’ont entraîné aucune action judiciaire. »
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/09/au-tchad-l-opposant-succes-masra-saisit-la-cpi-apres-la-repression-du-20-octobre_6149185_3212.html?fr=operanews