Lu pour vous
Par Radio Classique Publié le 28/09/2022 à 10:48 | Modifié le 28/09/2022 à 11:29
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, était l’invité de Guillaume Durand ce matin sur Radio Classique. Une escalade nucléaire de la part de la Russie reste improbable pour le moment, affirme-t-il. Il note également que les Européens n’ont pas les cartes en main pour influencer la tournure des évènements en Ukraine.
Imaginer une escalade nucléaire de la part du Kremlin est mal avisé selon Hubert Védrine
Hubert Védrine déplore la tenue de référendums d’annexion « bidons » dans 4 régions de l’Ukraine, qui légitiment une escalade graduelle et pas « immédiate » dans le conflit. Cependant, quand la situation sera stabilisée, il sera nécessaire d’organiser des référendums « sous contrôle international dans les zones où l’autonomie pourrait être réclamée », une disposition inscrite dans les accords de Minsk de 2014 mais « jamais appliquée par les Russes ou les Ukrainiens », rappelle l’ancien ministre.
A ce jour, l’Occident ne sait toujours pas ce qui peut intimider le président russe Vladimir Poutine, poursuit Hubert Védrine. Il a démarré une guerre « aberrante et cruelle » fin février et les sanctions n’ont pas su le freiner. « La capacité d’analyse des Occidentaux sur Poutine est assez faible », affirme-t-il. L’ancien ministre regrette le « manichéisme occidental » dans cette guerre : « par exemple, les médias ont peu parlé du fait que les Russes ont libéré des soldats ukrainiens [du régiment Azov le 21 septembre] ». De la même manière, imaginer une escalade nucléaire de la part du Kremlin comme le font de plus en plus d’observateurs est mal avisé : si le chef d’état russe rappelle régulièrement que la Russie est une puissance nucléaire, « il n’a rien fait de précis jusque-là », d’après Hubert Védrine. Par exemple, il n’a pas frappé des stocks d’armes en Roumanie ou en Pologne destinés à l’escalade.
Les Etats-Unis, la Chine et l’Inde peuvent influencer les décisions de la Russie et de l’Ukraine, mais pas l’UE
Les Européens n’ont pas les cartes en main pour peser sur les prochaines étapes du conflit, affirme-t-il. Dans les prochains jours, la Chine et l’Inde « et leurs réticences de plus en plus audibles » à la guerre de Vladimir Poutine pourraient inciter le chef du Kremlin à reculer, estime-t-il. Ensuite, si une riposte nucléaire doit avoir lieu, ce sera vraisemblablement Joe Biden qui prendra la décision, « que ce soit une frappe tactique, massive ou conventionnelle », même s’il « n’a pas donné l’impression qu’il était maximaliste ». Dans le cas d’une victoire ukrainienne prononcée, le chef de la Maison Blanche aura aussi un rôle important à jouer, continue l’ancien ministre. « Les Américains ont équipe, formé et guidé l’armée ukrainienne, qui est par ailleurs remarquablement combative », note-t-il. Mais à un moment donné, il reviendra aux Etats-Unis d’inciter les Ukrainiens à stopper la contre-offensive « à la Crimée ou aux frontières russes ». « Revenir sur les Accords de Minsk [accordant une autonomie « temporaire » aux régions de Donetsk et Louhansk] ne serait pas jouable tout de suite”. Dans tous les cas, l’arrêt des combats doit précéder un éventuel processus de renégociation des territoires de l’Ukraine, défend-il.
L’Europe continue de se déchirer sur ce point précis : « il y a un vrai parti de la guerre » en Pologne, dans les pays Baltes et chez une partie des Anglais, remarque Hubert Védrine, pour lesquels cette guerre doit être « l’équivalent pour la Russie de la guerre d’Afghanistan pour l’URSS » et qui souhaitent le déclin immédiat du pays. Ce n’est pas le cas de la France ni de l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, la position européenne doit reprendre du poids et de la cohérence. Hubert Védrine voit d’un bon œil la future réunion en République Tchèque élargie aux pays non européens au sujet de la guerre, qui a le mérite de sortir du cadre classique de l’OTAN.
Clément Kasser