Lu pour vous
https://www.dw.com/ 26.09.2022
Mahamat Said Abdel Kani est poursuivi pour sept chefs d'accusation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis entre avril et août 2013 à Bangui.
C’est pour des crimes qu’il aurait commis en sa qualité du directeur de l’Office central de répression du banditisme (OCRB) que Mahamat Said Abdel Kani est jugé à partir de ce lundi (26.09) face aux juges de la Cour pénale internationale.
La CPI le poursuit pour sept chefs d'accusation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis entre avril et août 2013 à Bangui contre des détenus accusés de soutenir l'ancien président François Bozizé. Fin 2021, la CPI a partiellement confirmé les charges portées contre Mahamat Said Abdel Kani, notamment les chefs de torture, de persécution, de traitement cruel et d'atteinte à la dignité des personnes.
Le procès de Mahamat Saïd Abdel Kani était attendu depuis longtemps déjà par les victimes et les organisations des droits de l’Homme.
Selon Ousmane Diarra, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale auprès d’Amnesty International, la République Centrafricaine "connaît des cycles de violence depuis plusieurs années. De nombreux abus et violations des droits de l’Homme ont également été commis."
Il ajoute que "l’ouverture de ce procès est un signal positif dans le cadre de la lutte contre l’impunité qui est un sujet très présent dans la société centrafricaine. Les victimes, elles, sont là et elles sont en train d’attendre et d'obtenir justice depuis très longtemps." C'est pourquoi, rappelle Ousmane Diarra, "ce procès est donc positif pour les associations des victimes qui luttent pour obtenir l’organisation de procès pour que ces présumés auteurs puissent faire face à la justice. A côté de la CPI, il faut noter le travail qui est fait par la Cour Pénale Spéciale et également les tribunaux centrafricains qui doivent continuer de bénéficier d’un soutien politique interne fort pour qu’ils puissent remplir leur mission en toute indépendance et en toute impartialité."
Un haut cadre de la Seleka
En 2013, Mahamat Said Abdel Kani, membre présumé de haut rang de la coalition Séléka, travaillait sous la responsabilité directe de Nouredine Adam, à l’époque ministre de la Sécurité publique, lui aussi recherché par la CPI pour avoir enlevé, torturé et tué plusieurs personnes dans les bâtiments du Cedad – le Comité extraordinaire pour la défense des acquis démocratiques – transformés de fait en centre de détention illégal. Mais contre Mahamat Said Abdel Kani, la CPI a décidé de retenir uniquement les crimes commis à l'Office Centrafricain de Répression du Banditisme (OCRB).
Clarification
Me Bruno Hyacynthe Gbiegba, coordinateur adjoint de la coalition qui soutient les actions de la CPI, souhaite que la responsabilité de commandement soit bien clarifiée et que le procès ne s’éternise pas, comme ce fut le cas pour le dirigeant congolais Jean-Pierre Bemba.
"Ce monsieur est accusé d'avoir commis des crimes les plus graves qui heurtent la conscience. Au-delà de ce principe qui s’inscrit dans la lutte contre l’impunité des chefs hiérarchiques, nous souhaitons que le procès se déroule dans de très bonnes conditions. Que le droit des victimes soit reconnu, que le droit de l’accusé soit reconnu. Nous souhaitons aussi que l’affaire ne soit pas traînée en longueur comme ce fut le cas de Jean-Pierre Bemba. Qua la Cour établisse une jurisprudence claire concernant le rôle des supérieurs hiérarchiques parce que pour certains crimes ce n’est pas M Saïd qui les a commis mais plutôt des gens qui sont sous lui qui ont commis ces fautes."
Plusieurs chefs de guerre courent encore et toujours en République centrafricaine et la CPI n’a pas encore bouclé son information judiciaire dans le pays.
Pour rappel, le coup d'État de 2013 en Centrafrique avait renversé le président François Bozizé et plongé le pays dans la guerre civile. Les combats ont opposé une coalition de groupes armés qui ont renversé Bozizé, la Séléka majoritairement musulmane, et des milices le soutenant, majoritairement chrétiennes anti-Balaka. Selon la CPI, les violences auraient fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.
Procès à la CPI d’un rebelle de Centrafrique : l’accusé plaide non coupable
Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 10h12, mis à jour à 15h30
Mahamat Saïd Abdel Kani fait face à sept chefs d’accusation, dont des faits de torture commis en 2013 à Bangui contre des détenus favorables à l’ancien président François Bozizé.
Accusé devant la Cour pénale internationale (CPI) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’ex-commandant rebelle présumé de Centrafrique Mahamat Saïd Abdel Kani a plaidé non coupable lundi 26 septembre lors de l’ouverture de son procès à La Haye.
« J’ai tout écouté, mais je plaide non coupable », a affirmé à la cour Saïd Abdel Kani, 52 ans, vêtu d’un costume trois-pièces gris foncé, chemise bleu ciel, après une lecture préliminaire de l’acte d’accusation. « Je plaide non coupable sur toutes les situations, sur toutes les accusations », a ajouté l’ancien commandant présumé de la coalition rebelle à dominante musulmane Séléka devant le tribunal présidé par la juge Miatta Maria Samba.
Accusé notamment d’avoir torturé des personnes détenues lors de troubles civils en 2013 en République centrafricaine, Saïd Abdel Kani fait face à sept chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis entre avril et août 2013 à Bangui contre des détenus soupçonnés de soutenir l’ancien président François Bozizé.
« M. Saïd a indiqué qu’il plaidait non coupable de tous les chefs d’accusation, c’est son droit », a noté le procureur général de la CPI Karim Khan. « Mais la beauté de la loi, c’est qu’elle ne laisse aucun moyen de se dissimuler, les accusations dont il est question sont véritablement assez affreuses », a-t-il ajouté. Mahamat Saïd Abdel Kani avait été remis en janvier 2021 par les autorités de Bangui à la CPI sur la base d’un mandat d’arrêt délivré en 2019.
Une méthode de torture dite « arbatachar »
La cour, basée à La Haye, a partiellement confirmé fin 2021 les charges portées contre Saïd Abdel Kani, notamment les chefs de torture, de persécution, de traitement cruel et d’atteinte à la dignité des personnes.
La République centrafricaine, l’un des pays les plus pauvres du monde, a été plongée en 2013 dans une guerre civile sanglante après un coup d’Etat qui a renversé le président François Bozizé. Les combats ont opposé la coalition de groupes armés qui a renversé M. Bozizé, la Séléka, majoritairement musulmane, à des milices majoritairement chrétiennes et animistes soutenant le président, les anti-Balaka. Les violences auraient fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés, selon la CPI.
Selon le parquet de la CPI, Saïd Abdel Kani était un haut commandant de la Séléka responsable d’un poste de police où des partisans présumés de M. Bozizé ont été battus et torturés après leur arrestation.
Parfois appelé « colonel », « chef » ou « directeur », il supervisait les opérations quotidiennes de ce centre qui appartenait à une unité de police appelée Office central de répression du banditisme (OCRB), selon des documents de la cour. Il est accusé d’avoir ordonné à ses subordonnés de maltraiter les détenus accusés de soutenir M. Bozizé ou les anti-Balaka, notamment en les soumettant à la méthode de torture dite « arbatachar » pour leur extorquer des aveux.
Dans une petite cellule souterraine
Cette technique, dont le procureur a montré des photos, consistait à lier de façon très serrée les mains, les coudes et les jambes du détenu derrière son dos, les jambes touchant les coudes. Certains détenus en auraient conservé « les bras et les jambes paralysés, décolorés ou putréfiés », selon les documents présentés à la cour.
Des prisonniers auraient été jetés dans une petite cellule souterraine, accessible uniquement par un trou dans le sol du bureau de Saïd Abdel Kani au siège de l’OCRB dans la capitale, ont affirmé les procureurs de la CPI. Les détenus étaient « traités, non comme des êtres humains, ni même comme des animaux, mais encore un cran en dessous. Une humanité éviscérée par les pratiques de l’accusé », a lancé le procureur Karim Khan.
Deux anciens chefs de guerre centrafricains, Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yekatom, qui dirigeaient des milices anti-balaka, sont actuellement jugés par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le pays de quelque cinq millions d’habitants – qui, selon l’ONU, est le deuxième pays le moins développé du monde – reste en proie à la violence et aux violations des droits de l’homme.