Lu pour vous
Guinée, l’apprenti sorcier Alpha Condé renversé par son armée
By La rédaction de Mondafrique 5 septembre 2021
Le président Alpha Condé vient d’être arrêté par les forces spéciales, ce dimanche 5 septembre. Depuis le début de la matinée, le quartier du palais présidentiel est le théâtre de tirs nourris. Cette tentative de putsch est menée par les éléments du Groupement des forces spéciales.
En début d’après-midi dimanche, le meneur de ce qui se révèle être un coup d’État, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, est apparu sur une vidéo circulant sur les réseaux sociaux. Il y affirme détenir le chef de l’État. «Nous avons décidé, après avoir vu le président qui est avec nous, de dissoudre la constitution en vigueur, dissoudre le gouvernement, et la fermeture des frontières terrestres et aériennes», a déclaré le putschiste, justifiant ce revirement politique par «le dysfonctionnement des institutions républicaines», «l’instrumentalisation de la justice» et «le piétinement des droits des citoyens».
Ancien légionnaire de l’armée française, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya commande le Groupement des forces spéciales (GPS), une unité d’élite de l’armée extrêmement entraînée et équipée. Selon le magazine Jeune Afrique, il aurait tenté, ces derniers mois, de renforcer l’indépendance du GPS vis-à-vis du ministère de la Défense, suscitant de facto la méfiance de l’exécutif. En mai, des rumeurs auraient même fait état, à tort, d’une possible arrestation de Mamady Doumbouya à Conakry.
Les principaux dignitaires du régime auraient été également interpellés.
Portrait d’un démocrate, Alpha Condé, devenu un autocrate qui soufflait sur les braises communautaires d’une société fragilisée
Arrestations d’opposants, morts en détention, répression des manifestations… Le climat politique est tendu en Guinée-Conakry. Régulièrement, les principales organisations de défense des droits de l’Homme alertent sur la politique liberticide du régime. C’est une constante dans l’histoire contemporaine de ce pays, mais l’élection en 2010 d’Alpha Condé, alors présenté comme le premier président démocratiquement élu et fort d’un passé d’opposant lui-même brimé par le pouvoir et passé par la case « prison », avait laissé penser qu’une nouvelle ère démocratique s’ouvrait pour cette ancienne colonie française. Las, comme ses prédécesseurs, Condé a très vite adopté un mode de gouvernance autoritaire, s’en prenant notamment aux médias.
Rien qu’en 2018, au moins 21 personnes sont mortes lors de manifestations, selon Human rights watch et Amnesty International. En 2020, ces deux organisations ont recensé au moins seize personnes tuées par balle entre le 18 et le 24 octobre, au lendemain de l’élection présidentielle remportée par Condé. « Après l’élection, les autorités ont traqué les opposants et des membres de la société civile, indiquait récemment un collectif d’organisations (lien : https://www.hrw.org/fr/news/2021/06/01/la-france-doit-appeler-la-liberation-des-militants-detenus-arbitrairement-en-guinee).
Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées. Aujourd’hui, des figures de l’opposition et des militants associatifs sont détenues dans des conditions de détention inhumaines. Dans les prisons surpeuplées, l’accès aux soins est pratiquement impossible ». Ces organisations alertaient en outre sur le risque de voir s’amplifier « les tensions ethniques ». En réalité, elles n’ont jamais vraiment disparu depuis 2010, Condé jouant régulièrement sur cette corde sensible pour conforter son pouvoir, en ciblant essentiellement les Peuls.
Nombreux et sédentarisés
Cela aussi, c’est une constante dans l’histoire de la Guinée : les préjugés contre les Peuls sont tenaces dans ce pays où ils occupent une place particulière. Par leur importance démographique tout d’abord : ils représenteraient au moins un tiers de la population guinéenne – le seul recensement comprenant des informations sur l’appartenance communautaire remonte aux années 1950, et fournissait les données suivantes : Malinkés et apparentés, 30 à 34 % ; Peuls, 29-30 % ; Soussous et apparentés, 17-18 %, Forestiers, 17-18 %. Par leur prépondérance dans l’économie ensuite : le monde des affaires, le commerce notamment, est en effet dominé par des Peuls. C’est une particularité de la Guinée : les Peuls, ici, sont en grande partie sédentarisés, et ne pratiquent plus guère la transhumance comme leurs cousins des autres pays d’Afrique de l’Ouest. « Nos réalités sont très différentes de celles des Peuls du Macina ou du Niger, indique un opposant en exil qui est influent dans les réseaux peuls. Nous appartenons à la même communauté, mais nous ne nous connaissons pas vraiment en fait. Et nous ne rencontrons pas les mêmes problèmes ». « Nous sommes des commerçants, eux sont des pasteurs », résumait il y a quelques années un habitant de la ville de Labé, dans le Fouta-Djalon, une région vallonnée dont le nom a marqué l’histoire de ce peuple : c’est ici que les Peuls ont constitué l’un de leurs premiers empires aux 18ème et 19ème siècles.
Les préjugés dont ils sont victimes remontent à l’époque de Sékou Touré : le « père » de l’indépendance dénoncera, durant son règne brutal, plusieurs tentatives de déstabilisation menées contre lui, dont le « complot Diallo Ibrahim » en 1960, à l’issue duquel il élimine cet avocat peul devenu adversaire politique, et surtout le « complot peul » en 1976, au cours duquel sera arrêté et tué le célèbre opposant Boubacar Diallo Telli. À cette époque, Touré prononce plusieurs discours anti-Peuls qui sont restés gravés dans les mémoires : il les accuse de débauche et de vol, les suspecte d’être des agents de puissances impériales occidentales souhaitant renverser le régime, et évoque même l’idée de supprimer les bourses aux étudiants peuls partis à l’étranger.
Péché originel
Dans une tribune publiée en 2018 (lien : https://theconversation.com/en-afrique-le-fantasme-dune-communaute-peule-radicalisee-102276), le chercheur Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré rappelait que les Peuls, dans ce pays, « étaient accusés d’avoir peu soutenu le référendum ayant fait accéder la Guinée à l’indépendance en 1958, deux ans avant les autres colonies françaises d’Afrique de l’Ouest ». Une sorte de « péché originel » dans un pays fier d’avoir dit « non » à De Gaulle. « Les rivalités politiques étaient sans doute la source principale de la stigmatisation, les stéréotypes ethniques et le racisme venant rationaliser les positions de l’Etat a posteriori, ajoutait-il. En effet, une grande part des opposants aux politiques de Sékou Touré étaient peuls. »
Après une légère accalmie suite à la mort de Touré en 1984, les tensions communautaires sont réapparues en 2009, lors de la période de transition consécutive à la mort de Lansana Conté. Certes, dans les années 1990 et 2000, la dimension ethnique est toujours au coeur des campagnes électorales. Mais elle n’aboutit que rarement à des violences verbales ou physiques. La donne change lors de la campagne pour l’élection présidentielle en 2010. « La mort de Conté en 2008, en ouvrant la perspective d’une véritable compétition électorale, a stimulé le jeu ethnique, le projetant dans l’espace public », constate l’année suivante International crisis group.
« L’idée que la Guinée s’organise en quatre blocs ethnico-géographiques, déjà ancienne, poursuivent les chercheurs, est en train de se vulgariser, au point de devenir une clé de lecture standard des situations politiques : sur la plaine côtière, les Soussou et les groupes associés ; dans les monts du Fouta Djallon, les Peul ; dans la savane orientale, les Malinké ; dans les forêts du Sud-Est, l’ensemble disparate des Forestiers […] Beaucoup de Guinéens et d’observateurs extérieurs posent qu’une ethnie est au pouvoir quand un de ses membres occupe la présidence, comme si le tout tenait lieu de la partie. Les Malinké peuvent donc affirmer avoir perdu le pouvoir avec la mort de Sékou Touré en 1984, les Soussou l’avoir perdu à leur tour avec la mort de son successeur, Lansana Conté en décembre 2008, et les Forestiers de ne l’avoir gardé qu’un an, jusqu’à la chute du capitaine Moussa Dadis Camara en décembre 2009. Pour leur part, les Peul peuvent se plaindre de n’avoir jamais exercé le pouvoir ».
Match Peuls/Malinkés
En 2010, Cellou Dalein Diallo, le candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) qui n’hésite pas à mettre en avant son appartenance communautaire. Mais il joue avec le feu. « Cela a été mal perçu par les autres communautés, qui y ont vu une volonté d’hégémonie », affirme un diplomate ouest-africain en poste à Conakry à l’époque.
Lors du premier tour, le vote ethnique joue un rôle majeur. La plupart des candidats réalisent leur meilleur score dans leur zone d’origine et ont du mal à mobiliser ailleurs. Cellou Dalein Diallo, principal adversaire de Condé, obtient plus de 80 % des suffrages dans plusieurs villes du Fouta-Djalon. Alpha Condé, de son côté, fait le plein de voix dans la région de Kankan, majoritairement malinké.
Mais c’est durant l’entre-deux tours que les tensions ethniques vont dégénérer. Une bataille verbale sans limite débute. « Plus que Condé, Diallo s’est identifié – et s’est laissé identifier – à sa communauté peule, dont la puissance économique, le poids démographique et les prétentions hégémoniques supposées ont été utilisés par ses adversaires comme autant d’arguments pour essayer de mobiliser le vote des autres communautés, » constatait International crisis group en 2011. La richesse supposée des Peul et leur « ethnocentrisme » sont dénoncés pour mobiliser parmi les autres communautés. » C’est ainsi que Condé a pu rassembler le vote malinké, mais aussi celui des autres communautés, autour de son nom : en tenant des discours enflammés contre les Peuls. Plusieurs d’entre eux ont été attaqués, et certains tués, durant la campagne et surtout après, lorsque les résultats ont donné Condé vainqueur. Les manifestations pro-Diallo ont été violemment réprimées.
Discours de haine
Depuis lors, toute la vie politique est soumise à cette opposition Condé/Diallo, qui prend les traits plus larges d’un match Malinkés/Peuls. De nombreuses manifestations, régulièrement organisées dans des quartiers de la capitale essentiellement habités par des Peuls, ont été réprimées dans le sang. D’un côté, on dénonce une « épuration ethnique », voire un « génocide » au prétexte que ce sont principalement des Peuls qui sont victimes de la répression. De l’autre, on crie à la « manipulation ethnique », car on estime que Diallo et l’UFDG s’appuient uniquement sur la communauté peule dans leur course au pouvoir. Ce qui est sûr, c’est que les deux camps attisent les tensions communautaires à l’approche de chaque échéance électorale.
Ces discours de haine ont d’ailleurs une nouvelle fois alimenté la dernière campagne présidentielle, qui opposait pour la troisième fois Condé à Diallo – et qui a vu pour la troisième fois le premier l’emporter. Au cours d’une visioconférence devant ses partisans, Condé a déclaré en langue malinké : « Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre ». Dès son premier discours de campagne, il avait dégainé l’argument identitaire : « Si vous votez pour un candidat malinké qui n’est pas du RPG [le Rassemblement du peuple de Guinée, son propre parti, NDLR], c’est comme si vous votiez Cellou Dalein Diallo » – et donc pour les Peuls, ainsi que l’ont compris de nombreux Guinéens. En octobre 2020, l’ONU notait que « les appels aux affiliations ethniques, en particulier aux ethnies Malinké et Peul, ont été de plus en plus répandus et ont créé des divisions pendant la campagne ».
La réélection contestée de Condé, alors qu’il n’aurait pas pu se représenter s’il n’avait pas modifié la Constitution, n’a évidemment pas calmé la colère de ses opposants. Les tensions se cristallisent toujours autour de l’appartenance communautaire, même si l’on trouve de toutes les ethnies au sein de l’opposition, y compris la plus radicale. Certains craignaient que cela ne dégénère un jour en « pogroms ». D’autres évoquaient la menace jihadiste. « Les groupes jihadistes ne sont pas si loin que ça de nous. On voit qu’ils gagnent du terrain dans le sud du Mali. Bientôt, ils seront à nos frontières. Et on sait qu’ils recrutent beaucoup chez les jeunes sans-emploi. Ils pourraient profiter de la frustration de notre jeunesse », s’inquiète un notable de la ville de Labé.
Guinée, Alpha Condé « encerclé » par les Peuls
By Francis Sahel 16 mai 2021
Fâché avec ses homologues Macky Sall et Umaro Umbalo Sissoco Embalo, à qui il reproche d’accueillir ses opposants peuls, le président guinéen Alpha Condé a fermé ses frontières avec le Sénégal et la Guinée Bissau.
Depuis le mois de septembre 2020, des milliers de familles guinéennes, qui vivent du commerce transfrontalier avec le Sénégal et la Guinée-Bissau, ne savent plus à quel saint se vouer. Sur une simple saute d’humeur, Alpha Condé a d’abord décidé de fermer la frontière entre la Guinée et le Sénégal. Il tenait alors à manifester son mécontentement au président Macky Sall sur sa bienveillance supposée envers l’opposition guinéenne.
En réalité, le Sénégal a historiquement été le lieu de repli de la communauté peule de Guinée qui tentait d’échapper dans les années 1970 à la répression du premier président guinéen Ahmed Sekou Touré.
Le Sénégal, base arrière
Bien plus tard, l’Union forces démocratiques de Guinée (UFDG) du chef de file de l’opposition guinéenne Cellou Dalein Diallo a pu recruter de très nombreux militants au Sénégal où le parti dispose de sa section la plus active en dehors du territoire national.
Selon plusieurs sources, Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre et ancien ministre dans de nombreux gouvernements, a effectué d’importants investissements au Sénégal où il a ses habitudes et ses entrées dans les premiers cercles du pouvoir, y compris dans l’entourage de Macky Sall. Le hasard de la vie a fait par ailleurs que le président sénégalais Macky Sall est issu de la communauté peule tout comme Cellou Dalein.
Alpha Condé y a vu des relations de connivence entre le Sénégal et son opposition, surtout la composante peule. Il a surtout vu des risques réels de déstabilisation de son pouvoir par « une connexion peule » sous-régionale qui passe également par la Guinée-Bissau où, autre hasard de la vie, le président Umaro Sissoco Embalo est également issu de la communauté peule.
Dans sa volonté d’éviter un « encerclement peul » de son pouvoir, Alpha a donc fermé les frontières communes avec le Sénégal et la Guinée-Bissau, jetant dans la pauvreté des centaines de milliers de Guinéens, notamment les producteurs agricoles qui vivent des exportations des produits maraîchers vers le Sénégal.
Au nom de la »Sécurité Nationale »
L’argument de « la sécurité nationale » invoquée à Conakry pour justifier la fermeture de la frontière avec le Sénégal et la Guinée-Bissau n’a convaincu personne. Si tel avait été, rétorque-t-on dans la capitale guinéenne, pourquoi la frontière longue de plus de 800 km avec le Mali d’où partent les attaques terroristes dans la sous-région jamais été fermée. Les Guinéens sont d’autant moins convaincus par les raisons de sécurité nationale que la frontière avec la Côte d’Ivoire, autre voisin de la Guinée déjà attaqué plusieurs fois par les groupes terroristes, n’a jamais été fermée elle non plus.
Après une longue période de silence, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est résolue à interpeller le président guinéen sur sa décision de fermer les frontières de son pays avec ses voisins sénégalais et bissau-guinéen. En effet, le Protocole constitutif de la CEDEAO signé par la Guinée garantit la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace communautaire. Ce que la Commission de la CEDEAO basée à Abuja a rappelé au chef de l’Etat guinéen qui a accueilli par le mépris cette injonction.
Nombreux sont désormais en Guinée ceux qui redoutent que cette longue fermeture des frontières n’appauvrisse considérablement les populations frontalières et prépare un terreau favorable au recrutement des jeunes par les groupes terroristes qui sont déjà aux portes du Golfe de Guinée, après avoir écumé le Sahel.