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20 novembre 2018 2 20 /11 /novembre /2018 10:05

 

 

Par Cyril Bensimon Le Monde Publié hier à 16h34, mis à jour à 09h05

 

Le transfert à La Haye d’Alfred Yekatom Rombhot, chef de milice devenu député, est révélateur de l’incapacité du pays à juger les responsables d’exactions.

 

Alfred Yekatom Rombhot aurait mieux fait de se souvenir que les usages de la vie de député obéissent à des règles différentes de celles d’un petit chef de guerre. Le 29 octobre, alors que les élus centrafricains étaient réunis pour choisir un nouveau président de l’Assemblée nationale, l’« honorable » représentant de la circonscription de Mbaïki II s’était autorisé à sortir un revolver et tirer deux coups de feu en l’air pour exprimer sa colère. Arrêté en flagrant délit, dépossédé de son immunité, il a finalement été transféré à la Cour pénale internationale (CPI) samedi 17 novembre. Un aller simple pour La Haye (Pays-Bas) et une date de retour à Bangui probablement très lointaine.

S’il ne s’est pas encore vu notifier les charges qui pèsent contre lui, la Cour a déjà indiqué avoir trouvé « des motifs raisonnables de croire que M. Yekatom aurait commis ou ordonné, sollicité, encouragé et facilité » des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre entre décembre 2013 et août 2014.

 

Racket et intimidations

Le visage mangé par une barbe de guérillero, adepte de tee-shirts moulants affichant des messages pompeux, comme « Besoin de révolution », « Le savoir est une arme », sur une confortable bedaine, Alfred Yekatom Rombhot, 42 ans, fut l’une des funestes révélations de la guerre civile en Centrafrique.

Fin 2013-début 2014, cet ancien caporal-chef de l’armée s’était établi à la sortie sud-ouest de Bangui, contrôlant avec ses sbires le trafic sur la rivière Oubangui et la route en direction de Mbaïki : un groupe d’anti-balaka bien plus militarisé que la plupart des hordes de miliciens indisciplinés qui s’étaient levées pour affronter les rebelles de la Séléka, au pouvoir entre mars 2013 et janvier 2014, et chasser les civils musulmans accusés d’avoir soutenu ce régime honni.

 

De ses positions, le « colonel Rombhot » – que beaucoup ont appelé « Rambo », le contexte aidant – disait, avec l’assurance des nouveaux puissants, vouloir apporter son concours aux autorités de transition, mettait en avant ses relations avec les officiers de l’armée française et promettait d’aider à l’évacuation des derniers musulmans coincés dans des poches d’un territoire qui leur était devenu hostile. Il était en revanche moins disert sur le racket aux barrières et les exactions dont étaient accusés les hommes sous son commandement – 3 000, selon la CPI, mais le chiffre paraît surestimé.

Paradoxe centrafricain, en février 2016, le chef anti-balaka avait été élu député, moins de six mois après avoir été placé sous sanctions des Nations unies en raison de ses « actes qui compromettent la paix, la stabilité ou la sécurité en Centrafrique ». Le groupe d’experts des Nations unies avait cependant noté que le parlementaire avait obtenu sa victoire après avoir « intimidé les électeurs et harcelé les autres candidats dans sa circonscription ».

Seigneurs de guerre

Jusque-là, la République centrafricaine s’était montrée une bonne pourvoyeuse d’affaires par la CPI, permettant la traduction du Congolais Jean-Pierre Bemba, jugé et acquitté pour les crimes commis entre 2002 et 2003 par ses miliciens dans ce pays, et du rebelle ougandais Dominic Ongwen, ancien numéro deux de l’Armée de résistance du seigneur. Elle n’avait en revanche jamais envoyé ses ressortissants devant la justice internationale. Tout en se félicitant de cette extradition, l’ONG Human Rights Watch considère que « les charges retenues contre Yekatom devraient être la première de plusieurs inculpations à la CPI visant les crimes commis par toutes les parties concernées en Centrafrique ».

 

En septembre 2014, à la suite de la saisine de Bangui, la CPI avait ouvert des enquêtes sur les crimes commis depuis 2012 par l’ex-Séléka et les anti-balaka. Depuis, le sort judiciaire des principaux acteurs de la guerre civile est devenu un enjeu dont dépend la paix dans ce pays. Se prémunir contre d’éventuelles poursuites est en effet l’une des premières conditions posées par les chefs de milices de tous bords pour rendre les armes. Dès lors, le transfert d’Alfred Yekatom aurait-il valeur de message d’avertissement, alors que la majeure partie de la RCA demeure sous la coupe de seigneurs de guerre et que les tueries perdurent ?

« Ceux qui pensaient que l’amnistie serait la règle lors des négociations politiques peuvent constater que la lutte contre l’impunité est une option qui participe de la stratégie des autorités pour obtenir une paix durable en Centrafrique. On peut faire la paix par la négociation, mais peut-être pas avec n’importe qui et pas à n’importe quel prix », analyse Florent Geel, le responsable Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme.

 

Evasions de masse

Reste que le cas du « colonel Rombhot » est aussi révélateur des incapacités centrafricaines et de la nouvelle stratégie de la CPI. De bonne source, le suspect, dont le mandat d’arrêt a été délivré le 11 novembre par la Cour, n’était pas une « cible immédiate », mais « une opportunité » qui s’est présentée suite à son arrestation fin octobre.

En théorie, celui-ci aurait été un cas parfait pour la Cour pénale spéciale centrafricaine fraîchement inaugurée. Seulement, cette juridiction composée de magistrats locaux et internationaux n’est pas encore opérationnelle. Et l’on voit mal, aujourd’hui, comment Bangui pourrait maintenir en détention des personnalités qui disposent encore d’un arsenal de guerre et d’hommes capables de s’en servir, alors que la prison de Ngaragba, le pénitencier de la capitale, est régulièrement le théâtre d’évasions de masse. Dès lors, la place d’Alfred Yekatom était toute trouvée à La Haye.

 

Il y a vingt ans, lorsque fut adopté le statut de Rome qui permit la création de la CPI, l’ambition était de juger les plus grands criminels : des chefs d’Etat, des cadres haut placés au sein de pouvoirs tortionnaires, des patrons de rébellion d’envergure. Depuis, le président soudanais Omar Al-Bachir n’a jamais vu son mandat d’arrêt exécuté, l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba a recouvré la liberté et l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo pourrait prochainement faire de même. La cible s’est recentrée sur des seconds couteaux dont la traduction en justice n’implique aucune conséquence politique majeure.

Cyril Bensimon

Le « Rambo » de Centrafrique, un second couteau à la Cour pénale internationale
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