Lu pour vous
http://m.leparisien.fr A.D. 04 novembre 2018, 11h43
L’intérêt du kremlin pour le pays intrigue la diplomatie française.
Au palais présidentiel de Bangui, des soldats russes montent la garde, kalachnikov à la main. Une présence inédite : par le passé, les liens militaires entre Centrafrique et Russie étaient pour ainsi dire inexistants. Désormais, plusieurs dizaines de forces spéciales ont été affectées à la garde rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra. Ils comptent parmi les quelque 200 militaires venus du pays de Poutine et déployés dans le pays depuis janvier 2018, dans le contexte d’une livraison d’armes. Peu avant, le Kremlin avait obtenu une exemption à l’embargo imposé depuis 2013, obtenant l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU de livrer un stock d’armements en Centrafrique. En août, un accord militaire a même été signé entre les deux pays.
Une campagne de dénigrement de la France
C’est peu dire que le nouvel intérêt des Russes pour la Centrafrique intrigue la diplomatie tricolore. Officiellement, ce n’était pas l’objet du déplacement de Jean-Yves Le Drian, venu renouveler le soutien de la France aux autorités politiques de ce pays, notamment par le biais de conventions d’aide budgétaire (10 M€), humanitaire, la cession de 300 m linéaires de ponts, et la livraison de 1 400 fusils d’assaut. Mais sitôt qu’il a foulé le sol ocre de Bangui, lors d’une visite aux habitants du quartier Boeing, le ministre a tapé du poing sur la table : « On est là dans les moments où ça ne va pas, et dans les moments où ça va bien. Et dans les moments où ça ne va pas, il n’y a pas grand monde. » A savoir : pas les Russes.
La curiosité des autorités françaises est d’autant plus piquée que cette présence coïncide avec une campagne de dénigrement de la France dans les médias locaux, dont les uns déplorent le « retrait » quand les autres jugent Paris responsable de tous les maux du pays. Et louent désormais les bénéfices de l’aide militaire de Moscou, pourtant largement inférieure à l’aide de la France : « Depuis la présence russe, la RCA est en paix. » Même si 75 % du territoire est encore aux mains de groupes armés…
Le Drian, un poids lourd qui avance à pas feutrés
http://m.leparisien.fr 04 novembre 2018, 10h23 Notre envoyée spéciale Ava Djamshidi, à Bangui (RCA)
Pilier des gouvernements de Hollande puis de Macron, le ministres des Affaires étrangères multiplie les déplacements et pèse de toute son expérience.
L’opération est restée confidentielle. En plein remaniement, alors que les médias bruissent du nom de Jean-Yves Le Drian pour remplacer Gérard Collomb place Beauvau, plusieurs dirigeants africains se mobilisent, dans le plus grand secret. Ils ne reculent devant rien pour garder celui qu’ils appellent le « ministre de l’Afrique ». Quelques jours après la nomination de Christophe Castaner à l’Intérieur, l’un d’eux avouera au Breton, ravi de son tour : « On a saisi les marabouts pour que tu restes aux Affaires étrangères ! »
Le patron de la diplomatie française a-t-il vraiment envisagé de quitter le Quai d’Orsay ? L’intéressé jure que non. « La question ne s’est pas posée, nous dit-il. Avec le président, on a eu un échange très bref et clair à ce propos. » A la table du conseil des ministres, Le Drian fait savoir au chef de l’Etat - ils sont assis côte à côte - qu’il n’a pas de vues sur l’Intérieur. Réponse du président : « Tu m’es très utile aux Affaires étrangères. » Les deux hommes n’en ont plus parlé. « Il n’a pas été en situation de refus », explique un très proche du ministre.
«Je n’ai plus d’ambition électorale»
Près d’un mois plus tard, ce jeudi 1er novembre, à l’aube, le voilà dans un Falcon de la République. Cap sur la Centrafrique. C’est la première fois qu’il s’y rend en tant que ministre des Affaires étrangères. Sur ses épaules, sa polaire kaki élimée de toujours. Devant lui, une pile de dossiers qu’il désigne quand on évoque ceux qui raillent le « fantôme du Quai d’Orsay », le trouvent absent et en retrait. Le Drian soupire : « Je fais deux voyages comme ça par semaine. Je ne suis pas un frénétique des médias. J’explique et je porte ce qui doit l’être. » Il marque une pause : « Je constate que dans les sondages, je me porte bien. » Un euphémisme : le discret Breton caracole en tête des enquêtes d’opinion.
Dans le nouveau monde, cette figure de l’ancien rayonne par contraste. S’il entend peser de tout son poids dans la bataille des européennes, Le Drian l’assure, lui ne disputera plus de scrutin : « Sur 14 élections j’en ai gagné 13. Je n’ai plus d’ambition électorale. » Il n’y aura donc pas de « petite dernière pour la route », aux prochaines régionales. « A mon âge… », sourit-il en référence à ses 71 printemps. Il met à profit son expérience, épaule les élus de sa région, les reçoit à dîner régulièrement. Le doyen du gouvernement n’a pourtant pas rallié les rangs du parti majoritaire : « J’apprécie la démarche mais je ne suis pas en marche. »
Les trois rendez-vous manqués par le PS
Cette année, pour la première fois, le ministre n’a pas payé sa cotisation au Parti socialiste (PS), dont il a été « excommunié » comme il dit. Le Drian en ressent de la « tristesse » : « Il y a eu trois rendez-vous manqués par le PS. Le rendez-vous manqué avec François Hollande, en n’apportant pas le soutien indispensable pour mener à bien son projet. Celui de la présidentielle, en désignant Benoît Hamon comme candidat. Celui avec Macron, en refusant de soutenir un projet réformateur et pro européen. Je ne suis pas sûr que le parti s’en remettra », déplore-t-il.
Trois rendez-vous que le Menhir, lui, n’a pas manqués. Baron local, homme d’appareil, légitimiste, politique jusqu’au bout des ongles… Un ministre comme hors du temps qui rappelle les grognards de la Mitterrandie ou les piliers de la Chiraquie loin des icônes de la « start-up nation ». Vestige d’une époque ou présage de l’avenir du macronisme ? Quoi qu’il en soit, le pilier du nouveau monde est un pur concentré de l’ancien.