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28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 14:31
Centrafrique : l’engrenage sans fin des représailles
Centrafrique : l’engrenage sans fin des représailles

 

Lu pour vous 

 

REPORTAGE

 

Centrafrique : l’engrenage sans fin des représailles

 

Par Maria Malagardis, envoyée spéciale à Bangui Libération — 27 novembre 2018 à 20:16

 

Le 1er décembre à Bangui,des vendeurs ambulants regardent les répétitions du défilé de la fête nationale. 

 

Un nouveau massacre dans un camp de réfugiés chrétiens près de Bangui a fait, le 15 novembre, plus de 60 morts. L’archevêque de la capitale témoigne des violences intercommunautaires commises par les différentes milices.

 

C’était une marée humaine déferlant sur un camp de déplacés. Pour tuer, brûler, piller. Voilà en substance ce qu’a raconté Monseigneur Dieudonné Nzapalainga lundi à Bangui, peu après son retour d’Alindao. L’archevêque de Bangui s’y était rendu pour comprendre de lui-même le carnage qui s’était produit une semaine auparavant, le 15 novembre, dans cette petite localité à 300 kilomètres à l’est de la capitale. En quelques heures, plus de 60 personnes y ont perdu la vie, alors que 20 000 déplacés qui se trouvaient dans ce camp, désormais réduit en cendres, se sont éparpillés dans la brousse. «Ils se trouvent pour la plupart dans un petit village à sept kilomètres. Ils n’ont rien à manger. J’ai vu un homme gratter le sol pour ramasser des grains de riz, j’ai rencontré un enseignant dont la femme a été tuée, la maison brûlée. Il n’a plus rien. Il venait de rouvrir une classe de sixième, tout est compromis désormais», souligne l’archevêque d’une voix vibrante.

 

Rumeur en ville

 

En Centrafrique, le massacre d’Alindao a frappé les esprits. Les meurtres de trois musulmans, peu avant le 15 novembre, ont mis le feu aux poudres. La minorité musulmane de la ville s’est vengée en détruisant et tuant ceux qu’elle considérait comme complices : des chrétiens réfugiés sur un de ces innombrables sites disséminés à travers le pays. Mais personne n’est dupe, la zone est sous le contrôle d’un seigneur de guerre, Ali Darassa, à la tête d’une milice, dont le nom, l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), reflète assez mal les intentions prédatrices.

 

Deux semaines avant le drame d’Alindao, c’est à Batangafo, 350 kilomètres au nord de Bangui, que 10 000 déplacés ont dû quitter brusquement leur site, entièrement incendié, pour se réfugier à l’hôpital local après un affrontement entre groupes rivaux.

 

La capitale peut sembler plus paisible. Pourtant, au moins sept personnes y ont été tuées la semaine dernière, dans le seul quartier où se regroupent encore les musulmans : le PK5, une enclave sous la coupe de groupes d’autodéfense. Les musulmans en sortent rarement et les chrétiens ne s’y aventurent pas en période de tension, comme c’est le cas actuellement. «Aujourd’hui, ça tire à PK5», prévient la rumeur en ville, comme s’il s’agissait d’un nouvel orage passager. D’ailleurs, personne ne cherche réellement à connaître la raison de ces nouveaux affrontements : rivalités entre groupes d’autodéfense ? Entre ces derniers et des commerçants qui résistent au racket dont ils font l’objet ?

 

Le pont Jackson sert alors de ligne de démarcation avec le reste de la capitale. Dans ces périodes orageuses, la plupart des taxis s’y arrêtent et les patrouilles de la Minusca, la force des Nations unies en Centrafrique, font également demi-tour. A l’intérieur de l’enclave, dès que les tirs cessent, la vie semble suivre son cours, mais les innombrables échoppes fermées qui s’alignent le long de rues poussiéreuses reflètent la peur qui ronge ce quartier aux allures de village, toujours considéré comme le poumon économique de la capitale.

 

Bain de sang

 

Ce début de saison sèche est aussi celui de la saison judiciaire : les tribunaux ont rouvert leurs portes le 19 novembre. Il n’y en a plus que deux dans tout le pays : à Bangui et dans la ville de Berberati. La radio diffuse les audiences en direct, et le plus souvent en sango, la langue nationale. Les mots «Séléka» et «antibalaka» résonnent parfois dans les transistors, lorsque le procès concerne l’une des deux forces antagonistes qui ont émergé lors de la crise de 2013-2014. Celle qui marque encore les esprits, celle qui a fait basculer ce pays pourtant coutumier des mutineries et coups d’Etat, dans un bain de sang d’une ampleur inédite. Avec, d’un côté, les rebelles de la Séléka venus du nord du pays pour s’emparer de la capitale en mars 2013, avant d’en être chassés après l’intervention de la Minusca et de l’opération française Sangaris. Face à ces rebelles, on trouve les antibalaka, groupes d’autodéfense apparus après la prise de Bangui par la Séléka.

 

Les uns et les autres ont semé la terreur et ont été vite identifiés aux deux communautés religieuses du pays : la minorité musulmane pour les Séléka, la majorité chrétienne pour les antibalaka. La suite est classique : dans ce pays qui n’avait jamais connu de conflit religieux, les populations ont été sommées de choisir leur camp, se sont retrouvées prises en otage par des chefs de guerre qui prétendent les défendre pour mieux asseoir leur pouvoir et leurs rackets.

 

Près de cinq ans plus tard, on en est finalement toujours là. «A Bangui se joue la comédie du pouvoir, dans le reste du pays l’Etat ne contrôle pas grand-chose», constate un expatrié installé de longue date dans la capitale. Entre 2015 et 2016, une relative accalmie avait pu faire espérer une sortie de crise : un président a été élu, l’Union africaine s’est impliquée dans un processus de paix réunissant 14 groupes armés et le pouvoir en place. Mais les négociations traînent en longueur et la résurgence des violences renforce le climat de méfiance.

Quant au président Faustin-Archange Touadera, le voilà soudain renforcé par une alliance imprévue avec la Russie, qui, dans un tour de passe-passe magistral, a obtenu en décembre 2017 la levée partielle de l’embargo sur les armes, à laquelle elle s’était jusqu’alors toujours opposée au sein du Conseil de sécurité.

 

Guerre froide à l’ONU

 

L’intrusion des Russes, dans ce pays misérable mais doté d’immenses ressources minières, brouille encore plus les cartes au moment où les violences repartent à la hausse. Au niveau international, des rivalités rappelant la guerre froide s’esquissent au sein même du Conseil de sécurité, depuis que les Russes estiment avoir aussi leur mot à dire, fournissent des armes et s’imposent sur le terrain à travers des sociétés privées, sur le plan militaire comme économique. Mi-novembre, ces divergences feutrées ont bloqué le renouvellement du mandat de la Minusca, reporté au 15 décembre.

 

Sur place, l’offensive russe a également bouleversé le rapport de force. Depuis peu, une virulente campagne de presse locale accuse la Minusca et la France de vouloir déstabiliser le pays. Les tueries les plus récentes, à Batangafo et Alindao, ont renforcé ces voix critiques qui dénoncent l’impuissance des Casques bleus. Et y voient parfois la preuve d’un complot ourdi avec l’ancien colonisateur. Au sein du pouvoir en place, comme de l’Eglise catholique, on ne renie pas toujours ces thèses potentiellement explosives.

 

«A Alindao, pendant le massacre, les Casques bleus mauritaniens se tenaient à l’écart et riaient», a ainsi asséné, sans preuves, l’évêque de Bossangoa, présent lundi aux côtés de l’archevêque de Bangui. Lequel a demandé aux chrétiens de ne pas participer à la fête de l’Indépendance prévue le 1er décembre pour se consacrer à une journée de prières en mémoire des victimes des récentes tueries. Il est vrai que dans cette ambiance complotiste, alimentée par des rumeurs incendiaires et l’impuissance face à la résurgence des violences, la fête aura un goût un peu amer.

 

Maria Malagardis envoyée spéciale à Bangui

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