Par Jules Crétois
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Par Jules Crétois
Saluée par la communauté internationale, la Cour spéciale, créée en 2015 et appelée à juger les atteintes aux droits de l'homme, dispose enfin d'un procureur.
« Il est arrivé il y a quelques jours ». Musa Gassama, le chef du département des droits de l’homme de la Minusca ne cache pas sa joie de voir arriver en République centrafricaine Toussaint Muntazini Mukimapa, haut magistrat originaire de la République démocratique du Congo (RDC).
En effet, c’est lui qui va diriger la Cour pénale spéciale prévue par une loi adoptée le 3 juin 2015 et qui a pour mandat d’enquêter, de poursuivre et de juger les crimes résultant de violations graves des droits de l’homme.
Le 30 mai, le Haut Commissariat des droits de l’homme des Nations unies, en lien avec la Minusca, a publié un rapport, « Mapping des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international, humanitaires commises sur le territoire de la RCA de janvier 2003 à décembre 2015 ». Le ton global est pessimiste. Parmi les touches d’espoir, il y a la création de cette Cour, mandatée pour s’occuper des événements survenus depuis le 1er janvier 2003, qui siège à Bangui mais peut être délocalisée en cas de besoin, composée de 21 juges dont dix internationaux.
« Sur 386 pages, une bonne dizaine sont d’ailleurs consacrées à donner quelques idées à cette nouvelle Cour », pointe Musa Gassama. En effet, le deuxième chapitre s’intitule : « Une stratégie de poursuite pour la Cour pénale spéciale ».
Un outil pour la paix
Les auteurs du rapport décrivent en filigrane la Cour comme une arme puissante pour la réconciliation : « Les stratégies de poursuite répondant aux besoins exprimés par les victimes sont de nature à produire des changements sociétaux », lit-on.
Le travail du nouveau procureur Toussaint Muntazini Mukimapa ne sera pas de tout repos. Et les auteurs du rapport le mettent en garde : « Il faut s’attendre à des critiques et des pressions », de la part de différents groupes politiques, ethniques ou religieux impliqués dans les violences de ces dernières années. Et le rapport conseille au procureur d’adopter une approche pragmatique : « Le grand nombre de personnes suspectées (…) requiert une sélection réfléchie de dossiers prioritaires afin de s’assurer que les ressources limitées prévues pour les poursuites soient utilisées pour poursuivre les personnes qui portent la plus grande responsabilité et les auteurs de rang intermédiaire, et qui ne sont pas hors de portée de la Cour pénale spéciale ».
Le ministre de la Justice en appelle à la générosité des « pays amis »
Toussaint Muntazini Mukimapa était jusqu’ici directeur de cabinet de l’auditeur général des forces armées de la RDC et a, dans ce cadre, eu l’habitude de travailler avec des ONG et facilité la coopération entre la justice militaire congolaise et les équipes de la Cour pénale internationale (CPI). Lors de son discours à l’occasion du rendu du rapport de mapping, Flavien Mbata, ministre de la Justice, a invité « les pays amis de la République centrafricaine (…) à rejoindre le mécanisme d’opérationnalisation de la Cour pénale spéciale, à appuyer financièrement la Cour » et a remercié le procureur « qui a rejoint Bangui il y a quelques jours ».
MISE EN PLACE DE LA COUR PENALE SPECIALE EN RCA : Une opportunité pour tourner la page
http://lepays.bf 31 mai 2017
En Centrafrique, il s’est passé des choses effroyables depuis notamment 2003, date qui marque, faut-il le rappeler, l’arrivée au pouvoir de François Bozizé dans les circonstances que l’on sait. En effet, à la chute de ce dernier et surtout avec la première alternance démocratique que le pays a connue, l’on avait espéré que la patrie de Bathélémy Boganda allait enfin rompre avec son image de pays chroniquement violent qui lui colle à la peau depuis les premières heures de son indépendance. Mais rien n’y fit. Car, malgré la volonté affichée de celui qui préside aujourd’hui aux destinées du pays, c’est-à-dire Faustin Archange Touadéra, les professionnels des coupe-coupe et de la mort facile continuent d’écumer l’ex-Oubangui-Chari. Et ce, en toute impunité. L’espoir de les voir, dans le futur, répondre de leurs actes est désormais permis. L’on peut même dire qu’il est acté. En effet, une Cour pénale spéciale vient d’être mise en place dans le pays, sous l’égide des Nations unies. Cette juridiction exceptionnelle a pour vocation de connaître des exactions que le pays a enregistrées depuis l’arrivée de François Bozizé au pouvoir en 2003. Déjà, et c’est heureux de le relever, depuis un an, les enquêteurs onusiens ont exhumé des archives publiques et confidentielles en rapport avec cette période noire de l’histoire de la RCA. Autre chose dont on peut se réjouir, c’est la nomination d’un procureur, en la personne du Congolais Toussaint Muntazini Mukimapa, auprès de la Cour pénale spéciale centrafricaine.
La RCA a souffert dans sa chair et dans son âme
Un autre motif de satisfaction encore est que le choix de ce magistrat n’est pas pour déplaire aux organisations de défense des droits humains, à l’instar d’Amnesty International. Cette structure, en effet, trouve le choix judicieux, compte tenu de l’expérience du colonel Muntazini, notamment dans la poursuite judiciaire des groupes armés. Le ministre de la Justice de la RCA a la même lecture du choix du magistrat congolais. A ce propos, il estime que c’est « l’homme qu’il faut pour accomplir ce travail ». Bref, l’on peut a priori saluer cette noble initiative onusienne, dans l’espoir qu’elle permettra d’élucider tous les crimes qui ont emmaillé l’histoire de la RCA pendant la période concernée, c’est-à-dire de 2003 à nos jours. Et s’il y a une chose dont chacun peut se convaincre, c’est que le magistrat congolais a suffisamment de la matière pour ne pas chômer. En effet, pendant cette période de braise, la RCA a souffert dans sa chair et dans son âme de l’animosité de ses fils et de ses filles. De ce fait, la RCA a toujours rimé avec viol, exécutions sommaires, déplacements forcés de populations, tortures, massacres collectifs qui s’apparentent à des actes génocidaires, bref, tout ce qui rappelle le côté bestial de l’Homme. Et dans l’hypothèse où le magistrat congolais arriverait à dépoussiérer tous ces crimes et à identifier leurs auteurs, l’on pourrait dire qu’il a fait œuvre utile pour la Centrafrique et au-delà, pour le genre humain. En effet, cela permettra au pays d’entamer résolument sa marche vers la réconciliation en soldant non seulement ses comptes avec son passé, mais aussi en se projetant avec beaucoup plus de sérénité dans l’avenir. Cet exercice est impératif et obligatoire si les Centrafricains veulent se réconcilier avec eux-mêmes, et ce dans la durée. Les peuples traumatisés qui ont prôné la réconciliation sans se donner les moyens de solder d’abord leurs comptes avec leur passé, l’ont appris à leurs dépens.
Les Nations unies sont prévenues
Mais, il faut reconnaître que dans le cas de la RCA, le magistrat congolais doit s’attendre à affronter beaucoup de difficultés et non des moindres avant de parvenir à ses fins. Premièrement, il évolue dans un pays qui a la singularité de n’avoir pas d’Etat depuis que la Séléka a déposé, par les armes, le régime de François Bozizé. Depuis lors, c’est le pouvoir des machettes qui régente la RCA. Et l’avènement de Touadéra à la tête du pays n’a pas changé fondamentalement les choses, puisque la poudre continue de parler dans bien des localités du pays. Même la présence massive des Casques bleus n’a pas suffi à pacifier la RCA. La deuxième embûche à laquelle sera confronté le magistrat congolais est liée au soutien connu et/ou caché dont bénéficient les principaux groupes armés qui sèment la terreur dans le pays, depuis la chute de François Bozizé. Les plus emblématiques de ces groupes sont incontestablement la Séléka et les Anti-balaka. Et pour ne pas arranger les choses, des entrailles de ces 2 entités de la haine sont sortis de petits monstres qui ne sont pas moins diaboliques. Et ce qui contribue à durcir davantage leur cœur, c’est la dose communautaire et tribale qu’ils ont apportée à leur folie meurtrière. Il ne faut pas non plus oublier le fait que ce sont les immenses ressources minières du pays sur lesquelles chaque groupe armé veut mettre la main, qui achèvent de rendre inextricable l’écheveau centrafricain. De tout ce qui précède, il faudra, pour le juge congolais, plus que de la volonté pour collecter les preuves des crimes qui lui permettront de confondre les Centrafricains qui en sont à l’origine. Cela est d’autant plus vrai que ces derniers feront feu de tout bois pour l’en empêcher. Ils pourraient ne pas hésiter, par exemple, à menacer de mort, tous ceux qui, par leur témoignage, sont susceptibles d’aider à la manifestation de la vérité. Les Nations unies sont donc prévenues. Les entraves à la manifestation de la vérité et in fine à l’administration de la justice sont nombreuses en RCA. Il leur revient donc de se donner les moyens qu’il faut, pour que cette grande et noble initiative que représente la mise en place de la Cour pénale spéciale en Centrafrique, n’accouche pas d’une souris. Les Nations unies doivent d’autant plus adopter avec fermeté cette posture que la mise en place de la Cour pénale spéciale en RCA représente une opportunité rêvée pour le pays de tourner la page sombre de son histoire. Les Centrafricains apporteront la preuve qu’ils ont cessé de s’inscrire dans le domaine de définition du mal en aidant le procureur de la Cour pénale spéciale dans sa mission. Toute autre attitude de leur part pourrait être interprétée comme le signe d’un nanisme moral et politique incurable.
« Le Pays »
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