Appel collectif de la société civile aux bailleurs de fonds
Human Rignts Watch - 16 NOVEMBRE 2016 10:38AM EST
Alors que l’Union européenne organise une conférence à Bruxelles pour discuter des priorités pour la République centrafricaine (RCA), les 17 organisations de défense des droits humains centrafricaines et internationales soussignées appellent les États et les organismes internationaux à s’engager de toute urgence à fournir un soutien financier et technique à la Cour pénale spéciale (CPS). Nous appelons également la communauté internationale à soutenir les efforts des autorités centrafricains, à jouer un rôle moteur, et à guider les efforts pour rendre la CPS réellement opérationnelle.
Sur le même thème
Déclaration sur la République centrafricaine novembre 2016
En raison de la longue histoire d’impunité en RCA pour des crimes relevant du droit international et des nombreux défis que rencontre le pays, la justice doit rester une priorité. Juger les auteurs dans le cadre de procès équitables – et révéler ainsi la vérité sur les crimes commis – peut aider à mettre fin aux cycles de violence et avoir un impact durable sur la paix et la réconciliation.
La République centrafricaine est confrontée à une situation sécuritaire difficile, qui s’est dégradée au cours des derniers mois. Néanmoins, en septembre, le président Touadera a rassuré l’Assemblée générale des Nations Unies sur le fait que la République centrafricaine avait « tourné une page sombre de son histoire » et a réaffirmé l’engagement de son gouvernement à mettre fin à l’impunité. La communauté internationale devrait maintenir son engagement durable envers la République centrafricaine, et envers la justice en particulier, afin de veiller à ce que le pays ne s’enfonce pas dans une nouvelle crise.
Le système judiciaire centrafricain reste trop faible pour mener des enquêtes et des poursuites efficaces pour les crimes d’atrocités de masse. L’enquête de la Cour pénale internationale en République centrafricaine offre aux victimes une autre voie indispensable vers la justice, mais elle ne peut tout simplement pas résoudre plus d’une décennie de crimes relevant du droit international, car il est probable qu’elle ne ciblera qu’un petit nombre de suspects. La Cour Pénale Spéciale (CPS), avec son complément de personnel international et national et son expertise, a le potentiel de rendre une justice tant attendue par les nombreuses victimes de crimes relevant du droit international depuis 2003. De plus, une CPS forte et fonctionnelle peut avoir un impact positif sur le système judiciaire centrafricain, permettant un partage d’expertise, apportant un renforcement des capacités et montrant qu’une justice digne de foi est possible.
Mais pour réaliser son potentiel, la CPS a besoin du soutien des bailleurs de fonds.
Financement de la Cour pénale spéciale
Des enquêtes fiables sont un gage de succès des étapes suivantes. En effet, les affaires instruites sur la base d’éléments de preuves solides, suivies de procès équitables et perçus comme tels, inspireront confiance dans l’État de droit.
La sécurité pour le personnel judiciaire principal est aussi fondamentale : les juges, les procureurs et les avocats ne peuvent pas faire leur travail efficacement s’ils craignent pour leur sécurité. La protection des victimes et des témoins est tout aussi critique. En rendant l’aide juridique disponible aux victimes, celles-ci peuvent exercer leur droit à participer aux procès, tandis que l’aide juridique pour les prévenus indigents peut contribuer à garantir le caractère équitable des procès. À toutes les étapes, une action d’information efficace peut favoriser une sensibilisation au rôle et au fonctionnement de la Cour, permettre de gérer les attentes et participer à établir une appropriation nationale du processus de justice.
Pendant les cinq prochaines années, la CPS coûtera 40 millions de dollars américains, d’après les estimations. Sur cette somme, seuls 5 millions de dollars ont déjà été réunis, soit une insuffisance de financement de 35 millions de dollars. Nous demandons instamment aux bailleurs de fonds de garantir un engagement continu envers la CPS pendant toute la durée où elle s’efforcera de remplir son mandat.
Recrutement du personnel
Comme nous l’avons souligné dans une déclaration précédente, le recrutement d’un personnel national et international qualifié, indépendant et motivé sera un facteur déterminant pour le succès de la Cour pénale spéciale.
Le processus de recrutement du personnel international doit bientôt commencer, y compris pour les magistrats, les juges d’instruction, le procureur et le greffier adjoint. Nous demandons instamment à vos gouvernements de proposer les candidats les plus qualifiés pour les postes et de faire pression pour un processus de sélection transparent qui donne la priorité aux compétences avant toute autre considération.
Les juges, les consultants et les experts recrutés devraient parler français et connaître le système de droit civil sur lequel est basé le système judiciaire centrafricain. Les juges devraient avoir une solide expertise en matière d’enquêtes et de poursuites pour les crimes relevant du droit international. Le déploiement de juges, consultants et experts internationaux n’ayant pas l’expérience spécialisée requise pour mener des enquêtes et juger des crimes relevant du droit international peut s’avérer contre-productif et compromettre la légitimité du tribunal.
De même, nous attendons des autorités centrafricaines qu’elles fassent preuve de leadership et d’un soutien politique constant à la Cour pénale spéciale, ce qui devrait se traduire par des mesures concrètes, comme la désignation de personnel national qualifié.
La République centrafricaine est confrontée à de nombreux défis, y compris la démobilisation des combattants, la réforme du secteur de la sécurité et la protection des civils, alors qu’elle lutte pour se reconstruire après des années de conflit. Cependant, traduire en justice les auteurs des pires crimes dans le cadre de procès dignes de foi devrait être au premier rang des priorités de la communauté internationale. Nous espérons que votre gouvernement ou votre organisme intergouvernemental apportera un soutien financier, technique et politique à la CPS comme décrit plus haut.
Bangui, le 16 novembre 2016
Les organisations soutenant la déclaration sont les suivantes :
Action des chrétiens contre la torture (ACAT - RCA)
Amnesty International
Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC)
Association des victimes de la LRA en Centrafrique (AVLRAC)
Avocats Sans Frontières
Civis et démocratie (CIDEM)
Commission episcopale Justice et Paix
Enough Project
Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
Human Rights Watch
Lead-Centrafrique
Ligue centrafricaine des droits de l'Homme (LCDH)
Mouvement pour la défense des droits de l'Homme et de l'action humanitaire (MDDH)
Observatoire centrafricain des droits de l'Homme (OCDH)
Observatoire pour la promotion de l'Etat de Droit - OPED
Parliamentarians for Global Action
République centrafricaine : Appel à soutenir la Cour pénale spéciale
Il faut accorder la priorité à la justice lors de la conférence des bailleurs de fonds à Bruxelles
https://www.hrw.org (Bruxelles) 16 NOVEMBRE 2016 10:36AM EST – Les pays donateurs participant à une conférence à Bruxelles le 17 novembre 2017 devraient apporter leur soutien à la Cour pénale spéciale (CPS) qui doit être mise en place en République centrafricaine, ont indiqué 17 organisations de défense des droits humains centrafricaines et internationales dans une déclaration publiée conjointement aujourd’hui. Les bailleurs de fonds devraient apporter un soutien technique, financier et politique à la CPS et à son mandat qui est de mettre fin à l’impunité pour les crimes relevant du droit international, ont déclaré ces organisations. Le 17 novembre 2016, l’Union européenne accueillera une conférence à Bruxelles afin de discuter des priorités de financement pour la République centrafricaine.
En juin 2015, le gouvernement de la République centrafricaine a adopté une loi pour créer la CPS afin d’ouvrir la voie à la justice pour les victimes, mais ce tribunal n’est pas encore devenu opérationnel.
« La République centrafricaine a été le théâtre de cycles répétés d’exactions terribles pendant plus d’une décennie, sans aucunes conséquences pour les auteurs de ces crimes », ont déclaré les organisations de défense des droits humains. « Les bailleurs de fonds devraient soutenir les efforts visant à rendre la Cour pénale spéciale opérationnelle afin de briser ce cercle vicieux d’impunité, et les autorités centrafricaines devraient faire preuve de leadership dans sa réalisation. »
Au bout de près d’une décennie de conflit intermittent, la République centrafricaine est entrée fin 2012 dans une spirale de violence, avec des groupes armés connus sous le nom de Seleka et d'anti-Balaka, qui ont commis de graves exactions contre des civils, dont des meurtres, des violences sexuelles et des destructions de biens, ce qui a entraîné des déplacements massifs. En octobre, des tensions ont éclaté de nouveau, avec des attaques contre des camps de personnes déplacées dans le centre du pays et des dizaines de civils abattus, poignardés ou brûlés vifs.
En 2014, le gouvernement de transition alors en fonction a renvoyé la situation en République centrafricaine depuis le 1er août 2012 à la Cour pénale internationale (CPI). La Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a ouvert une enquête en septembre 2014. La coopération du gouvernement avec la CPI est cruciale, mais l’enquête de la CPI, toujours en cours, ne ciblera probablement qu’un petit nombre de suspects. La Cour pénale spéciale, avec son personnel international et national proposé, est essentielle pour le système judiciaire centrafricain dans son ensemble.
Les organisations soutenant la déclaration sont les suivantes :
Action des chrétiens contre la torture (ACAT - RCA)
Amnesty International
Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC)
Association des victimes de la LRA en Centrafrique (AVLRAC)
Avocats Sans Frontières
Civis et démocratie (CIDEM)
Commission épiscopale Justice et Paix
Enough Project
Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
Human Rights Watch
Lead-Centrafrique
Ligue centrafricaine des droits de l'Homme (LCDH)
Mouvement pour la défense des droits de l'Homme et de l'action humanitaire (MDDH)
Observatoire centrafricain des droits de l'Homme (OCDH)
Observatoire pour la promotion de l'Etat de Droit - OPED
Parliamentarians for Global Action
CPI : Défendre les principes fondamentaux de la Cour
Lors de leur assemblée annuelle, les États parties ne doivent pas compromettre les principes de la justice face au risque de nouveaux retraits
(La Haye, le 16 novembre 2016) – Les pays membres de la Cour pénale internationale (CPI) devraient protéger la capacité de la Cour à rendre justice de façon complète et équitable pour les pires crimes internationaux, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les retraits récents de la Cour par trois pays africains soulèvent des inquiétudes quant au risque que les membres de la CPI pourraient faire des concessions sur les principes fondamentaux de la Cour lors de leur réunion annuelle du 16 au 24 novembre 2016, afin de dissuader d'autres pays de quitter la Cour.
En octobre et novembre, les gouvernements de l'Afrique du Sud, du Burundi et de la Gambie étant annoncé leurs retraits du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. Ces retraits sont intervenus dans un contexte de réaction négative à l’égard de la CPI dans certains pays africains, notamment le Soudan et le Kenya. Les dirigeants de ces deux pays ont fait face à des accusations devant la Cour, et l'Union africaine (UA) a appelé à l'immunité de poursuites contre les chefs d'État et autres hauts fonctionnaires en exercice.
« Les retraits de la CPI risquent de devenir une monnaie d'échange pour les pays qui cherchent à rendre le monde plus sûr pour les dictateurs abusifs », a déclaré Elizabeth Evenson, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Toutefois, plusieurs États africains ont déjà signalé qu'ils n'avaient aucune intention de quitter la Cour, et tous les pays membres de la CPI devraient indiquer clairement que le mandat de ce tribunal n'est pas à vendre. »
Le Nigeria, le Sénégal, le Botswana, la Côte d'Ivoire, le Malawi, la Sierra Leone et la Zambie, à la suite des retraits, ont publiquement indiqué leur opposition aux retraits de la CPI. Deux cents organisations ont adressé le 14 novembre 2016 une lettre aux présidents de tous les pays membres africains de la CPI, pour appeler leurs gouvernements à continuer de soutenir la Cour. Parmi ces organisations figurent plus d’une centaine d’organisations locales basées dans plus de 25 pays africains et une centaine d’organisations pour la seule République démocratique du Congo, en plus d’organisations internationales.
Les pays membres de la CPI devraient réaffirmer leur soutien à la Cour dans des déclarations lors de la session annuelle de l'Assemblée des États Parties (AEP), en particulier pendant son segment d'ouverture de haut niveau, a déclaré Human Rights Watch.
Ne pas permettre à la position officielle d’un individu au sein d’un gouvernement de le protéger contre des poursuites, une caractéristique des tribunaux internationaux depuis les procès de la deuxième guerre mondiale à Nuremberg, est un élément fondamental de la mission de la Cour d'assurer la justice pour les crimes les plus graves. Laisser les leaders au pouvoir s’en tirer créerait des incitations perverses à ce que certaines personnes essayent de conserver le pouvoir indéfiniment pour éviter des poursuites.
Un tel changement ne permettrait pas de combler les lacunes réelles de la crédibilité du système judiciaire international, notamment les blocages politiques au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et l'incapacité des principaux pouvoirs comme les États-Unis à signer le traité, a déclaré Human Rights Watch.
« La question du risque d’une justice caractérisée par “deux poids, deux mesures” doit certes être abordée », a déclaré Elizabeth Evenson. « Mais la bonne réponse est d’élargir la portée du champ de travail de la CPI et d’insister sur une action cohérente en faveur de la justice de la part du Conseil de sécurité de l’ONU. Se retirer de la CPI ou porter atteinte à sa capacité de juger des dirigeants en exercice ne sert qu’à saper la justice pour les victimes des crimes les plus graves. »
Des négociations pour contester la capacité de la CPI de poursuivre des dirigeants en exercice pourraient se dérouler lors de la réunion de l'Assemblée des États Parties. D’autres actions de l’assemblée, à défaut d’amendements au traité fondateur, comme des résolutions, risquent encore d'être perçues comme entravant l'indépendance des juges, a déclaré Human Rights.
Les pays membres auront un certain nombre d'autres questions importantes à leur disposition lors de la réunion, y compris l'établissement du budget de la cour et le renforcement de la coopération des pays avec la Cour. Human Rights Watch, dans une note d’information avec des recommandations pour les pays membres, a déclaré que les membres de la CPI devraient tenir une session spéciale lors de la réunion de 2017 afin de faire le bilan des réalisations de la Cour et réfléchir au soutien politique nécessaire pour renforcer son rôle. Le traité de la CPI fêtera son 20ème anniversaire en 2018.
L'organe de direction de l'Assemblée devrait veiller à ce que des mesures soient prises pour répondre aux récentes constatations judiciaires de non-coopération dans les enquêtes et les poursuites de la CPI. Cela comprend une constatation par les juges que le gouvernement du Kenya n'a pas coopéré pleinement dans l'affaire maintenant retirée contre le président Uhuru Kenyatta.
Les pays africains ont conduit les efforts pour établir la CPI dans les années 90, en plaçant la responsabilité des crimes d'atrocité au premier plan de l'agenda international. La CPI a dû faire face à diverses tentatives pour faire échec à ses travaux depuis que son traité a pris effet en 2002. L'administration américaine de George W. Bush a lancé le premier défi. Entre 2002 et 2005, Washington a découragé activement les pays de se joindre à la CPI et a contraint des pays à conclure ce que l'on a appelé des « accords bilatéraux d'immunité » afin de protéger les ressortissants américains contre les poursuites devant la Cour.
La CPI est la première cour permanente du monde chargée de traduire en justice les personnes responsables de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent pas le faire. Le Statut de Rome a créé l'Assemblée des États Parties pour assurer la surveillance de l'administration de la cour. Elle est composée de représentants de chaque pays membre et elle doit se réunir au moins une fois par an.
En se retirant de la CPI, le gouvernement sud-africain a invoqué un prétendu conflit entre ses obligations envers la CPI et sa capacité d'interagir avec les dirigeants dans son rôle de garant régional de la paix. Un tribunal sud-africain a conclu que le gouvernement avait violé ses obligations nationales et internationales en omettant d'arrêter le président du Soudan, Omar al-Bashir, fugitif de la CPI, lors de sa visite dans le pays pour un sommet de l'UA en juin 2015. Al-Bashir fait l’objet de deux mandats d’arrêt de la CPI, pour crimes présumés de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans la région du Darfour au Soudan.
La compétence de la Cour pour les crimes internationaux présumés peut être déclenchée de trois manières. Les pays membres de la CPI ou le Conseil de sécurité peuvent saisir la Procureure de la CPI d'une situation, c'est-à-dire d'un ensemble spécifique d'événements, ou bien le Bureau du Procureur de la CPI peut demander à sa propre initiative l’autorisation d’une chambre préliminaire de juges de la CPI pour ouvrir une enquête.
Des enquêtes en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Mali et dans le nord de l'Ouganda ont été ouvertes à la demande du gouvernement. Les situations au Darfour et en Libye ont été renvoyées par le Conseil de sécurité, tandis que la Procureure de la CPI a demandé aux juges de la CPI d'ouvrir les enquêtes en Côte d'Ivoire, en Géorgie et au Kenya.
La Procureure examine également un certain nombre d'autres situations dans les pays du monde entier. Il s'agit notamment de l'Afghanistan, du Burundi, de la Colombie, du Gabon, de la Guinée, du Nigeria, de la Palestine, des abus allégués des forces armées britanniques en Irak, et de l'Ukraine.
« Il est triste de voir le gouvernement sud-africain se tenir aux côtés des idéologues des premières années Bush », a conclu Elizabeth Evenson. « À l'heure de divisions profondes et de la multiplication des crises des droits humains dans le monde entier, la CPI est plus nécessaire que jamais et les membres de la CPI devraient la protéger. »