Par Pierre Pinto RFI
Agenda chargé sur le plan international pour le président de l'Assemblée nationale centrafricaine. Karim Meckassoua a reçu Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, venu expliquer aux députés le retrait de Sangaris alors que le pays connaît un regain de violences depuis plusieurs semaines. Il a également reçu le numéro 2 de l'ONU Jan Eliasson, sur fond de montée des critiques sur l'action de la Minusca. Et dans dix jours a lieu un rendez-vous crucial pour la RCA : la conférence des donateurs à Bruxelles, au terme de laquelle le pays espère 3 milliards de dollars pour financer un plan de relèvement sur cinq ans. Karim Meckassoua a reçu notre envoyé spécial.
RFI : Qu’est-ce qui explique, selon vous, la recrudescence des violences aujourd’hui en Centrafrique ?
Karim Meckassoua : Il y a plusieurs causes. La première réponse facile, c’est de dire que le départ des contingents Sangaris est interprété par certains groupes rebelles comme étant la possibilité qu’eux doivent faire pression sur le gouvernement. Deuxième réponse possible : bientôt, nous entrons dans la saison sèche et c’est la période où tous les groupes criminels sont plus ou moins mobiles. Troisième raison possible : le fait que six mois après l’élection du président de la République, il n’y ait pas eu des signaux considérés par eux – alors que le président de la République travaille d’arrache-pied – des signaux positifs pour qu’ils puissent désarmer. Mais sur les 14 groupes armés, 11 ont décidé d’adhérer au processus du DDRR et il n’en reste que trois aujourd’hui.
Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, est venu à l’Assemblé lundi dernier pour expliquer le retrait des troupes françaises de Sangaris. Est-ce que vous pensez que le message du ministre français est passé auprès des députés ?
Les députés ont clairement dit que le départ des troupes françaises, compte tenu des raisons précitées, ne pouvait pas nous convaincre parce la résurgence de ces violences semble être dopée par l’annonce du départ des Sangaris. Maintenant, les députés ne peuvent pas être satisfaits parce que ce qui leur importe c’est la sécurité du peuple centrafricain. Et la sécurité du peuple centrafricain ne peut être que la conjugaison de toutes les forces internationales mises en place par les différentes résolutions des Nations unies. Nous savons que Sangaris devait partir. Nous savons que le mandat de Sangaris était limité dans le temps. Mais le moment choisi ne nous paraissait pas opportun et les députés le lui ont clairement exprimé.
Vous avez aussi reçu il y a quelques jours le numéro 2 des Nations unies Jan Eliasson. Face aux critiques contre les casques bleus qu’on entend à Bangui régulièrement, il affirme : « Nous avons tiré les leçons, notamment après les événements de Kaga-Bandoro ». Est-ce que ce message vous rassure ?
Le message ne rassurera que lorsque la Minusca aura mis en place des brigades d’intervention rapide pour pouvoir anticiper ces crimes. Il faut un mandat robuste. Nous ne pouvons pas accepter de voir des groupes armés qui se préparent à commettre des crimes. Vous ne pouvez pas vous contenter d’une intervention a posteriori. Il faut anticiper. Et puis troisièmement, seules les forces centrafricaines à terme sont susceptibles d’assurer la sécurité de tous nos concitoyens. Or aujourd’hui, vous savez qu’il y a un embargo qui pèse sur nos forces de défense. Nous ne pensons pas que le maintien de cet embargo-là favorise le retour à la paix en République centrafricaine. Donc, nous avons l’intention de saisir le Conseil de sécurité et de faire venir à Bangui le Comité des sanctions pour la levée partielle de cet embargo.
Le 17 novembre, les bailleurs de fonds de la Centrafrique ont rendez-vous à Bruxelles pour soutenir un plan de relèvement sur cinq ans. Pensez-vous que l’objectif de 3 milliards de dollars pourra être atteint ?
Oui, les besoins de la République centrafricaine dépassent les 3 milliards. Donc si nous développons un bon plaidoyer, cet objectif peut être aisément atteint. Par contre, je peux vous dire que tous les bailleurs sont soucieux d’une chose. C’est la redevabilité, la reddition de compte. Et c’est ce que nous, au niveau de l’Assemblée, nous voulons utiliser comme outil que nous permet la Constitution. Au lieu que ce soit la communauté internationale qui contrôle l’exécution des budgets et de l’aide, l’Assemblée nationale est outillée pour assumer pleinement son rôle de contrôler l’exécution du budget et de cette aide. Et ça, en termes de redevabilité et en termes de reddition de compte, c’est un aspect important comme argument pour pouvoir lever ces ressources et atteindre le chiffre fatidique, voire de dépasser, les 3 milliards.
Les Etats-Unis aujourd’hui sont engagés en Centrafrique. Karim Meckassoua, vous votez Clinton ou Trump ?
J’ai souvenir de façon très précise de l’engagement de Bill Clinton, lorsqu’il était président, de son engagement pour l’Afrique. Je crois savoir que c’est la même équipe qui travaille, et avec suffisamment de recul, pour Hillary Clinton. Et à titre personnel, naturellement, je n’engage pas toute la représentation nationale, mais l’équipe Clinton me paraît être mieux à l’écoute des problèmes du continent que l’équipe de Donald Trump.