Par Pierre Pinto RFI jeudi 11 février 2016
Faustin Archange Touadéra face à Anicet Georges Dologuélé, c'est l'affiche du second tour de la présidentielle centrafricaine de dimanche prochain. Faustin Archange Touadéra, Premier ministre de François Bozizé entre 2008 et 2013, a surpris bon nombre d'observateurs au premier tour en se qualifiant avec 19% des voix. Ces dernières semaines, plus d'une vingtaine de candidats battus au premier tour se sont ralliés à lui. Il répond aux questions de RFI.
RFI : Vous avez créé la surprise au premier tour. Beaucoup vous voient comme l’outsider qu’on n’attendait pas. Comment est-ce que vous expliquez votre score de 19% ?
Faustin Archange Touadéra : On dit outsider, mais on oublie les paramètres. Tout de même, j’ai été Premier ministre pendant cinq ans, dans un passé très récent. Je crois que c’est la première fois qu’un Premier ministre reste en poste pendant cinq ans. Et ça, ça compte. Et j’ai un bilan, il y a du travail qui a été fait. Les Centrafricains m’ont vu à l’œuvre et ça, ça compte aussi. Je pense que les standards, il faut les revoir un tout petit peu pour voir comment les Centrafricains sont allés voter. C’est vrai que je n’ai pas d’argent, pas beaucoup pour faire ma campagne, mais j’ai fait ma campagne sur des thématiques qui intéressent au regard de la crise que nous traversons. Et aujourd’hui, les Centrafricains ont envie de tourner la page. Ils veulent quelqu’un en qui ils ont confiance, ils veulent quelqu’un d’intègre pour gérer la chose publique.
Est-ce qu’avoir été Premier ministre de François Bozizé pendant cinq ans, c’est un atout ou un handicap dans la Centrafrique de 2016 ?
Pendant cette période-là, nous avons engagé un certain nombre de réformes. Il y a eu un bilan et un bilan positif. Les salaires étaient régulièrement payés, les bourses, les pensions. Nous nous sommes attaqués au problème de l’éducation : 4 500 enseignants ont été formés et intégrés. Des salaires qui étaient bloqués depuis plus de 23 ans, 24 ans, ont été débloqués. Ça, ça compte. Les cotonculteurs, à qui on n’avait pas payé le coton pendant des années, ont été payés. Et on a relancé la culture du coton. Nous avons assaini les finances, nous avons fait la bancarisation. Beaucoup de fonctionnaires ont apprécié que nous fassions confiance au système bancaire pour avoir la traçabilité. Nous avons mis en place un dispositif pour la lutte contre la corruption dans le cas du PPTE [Pays pauvres très endettés]. Ça, ce sont des choses qui comptent. Bien sûr, il n’y a pas eu que des succès, mais au regard de ça et globalement, les choses étaient positives.
La rébellion Seleka est née durant votre primature. Est-ce que ce n’est pas un échec pour vous ?
Vous savez quand on a commencé, il y avait des rébellions. Moi, quand je suis arrivé aux affaires, il était question d’aller au DDR [désarmement, de démobilisation et de réinsertion]. Il y a eu des efforts qui avaient été faits par le gouvernement pour procéder au désarmement à l’ouest de l’APRD [l'Armée populaire pour la restauration de la démocratie]. Mais les ressources nous manquaient pour pouvoir poursuivre au niveau du nord, nord-est. En avril 2012, nous avons été à New York pour faire un plaidoyer, pour dire attention, les groupes armés étaient prêts à être désarmés, mais nous manquons de moyens pour ça. Mais on n’a pas été entendus. On avait même dit qu’il y avait ces menaces-là et nous avons entamé la réforme du secteur sécurité parce qu’on savait que nos forces de défense à ce moment-là avaient beaucoup de faiblesses. Et ça, il fallait aussi des ressources. On ne nous a pas beaucoup entendus en termes de moyens. Donc je pense qu’il faut examiner les causes en profondeur, mais nous ne pouvons pas décliner nos responsabilités bien entendu.
Aujourd’hui, vous n’avez pas de parti. Comment est-ce que vous comptez composer une majorité avec laquelle gouverner si vous êtes élu ?
Après la proclamation du premier tour, beaucoup de ces candidats, de manière spontanée, ont soutenu ma candidature, et sans condition. Au sortir de là, nous avons les élections législatives. Je ne fais pas beaucoup de paris là-dessus, mais il serait difficile qu’un parti politique seul puisse avoir la majorité. Donc on sera obligés de composer pour pouvoir trouver une majorité pour pouvoir gouverner.
Vous président, quelle serait votre priorité ?
Mais la priorité, c’est la paix, la paix et la réconciliation nationale. La paix passe nécessairement par des négociations pour le désarmement. Et ceci avec l’assistance de la communauté internationale. Ensuite, il y a aussi la réforme du secteur sécurité. Nous voulons une armée nationale professionnelle, républicaine, avec une mission précise pour garantir la sécurité au niveau de nos frontières. Et il y a aussi la cohésion sociale. Nous allons entamer des dialogues intercommunautaires pour que le vivre ensemble soit une réalité centrafricaine.
Comment financer votre politique ?
Evidemment, vous savez que les bases de notre économie ont été mises à mal par cette crise-là. Donc nous allons pouvoir discuter avec la communauté internationale pour essayer de nous appuyer. Mais il n’y a pas que ça : avant de demander à la communauté internationale, nous allons devoir assainir nos finances publiques pour que nous ayons quand même quelque chose à proposer. Il faudrait quand même qu’on nettoie devant notre porte. Relancer un certain nombre de secteurs productifs, notamment l’agriculture, et aussi des secteurs comme le bois, les mines, et autres choses pour voir si nous pouvons avoir assez de ressources pour ça. Aussi, nous allons pouvoir demander à la communauté internationale de nous appuyer. Il y a la situation humanitaire qui est dramatique, il faut faire face à ça, et le gouvernement seul ne pourra pas. Ça, c’est une évidence. Et donc nous sollicitons des aides massives pour nous permettre de sortir de là et de relancer l’économie. Mais pour ça, nous devons nous-mêmes balayer devant notre porte, c’est-à-dire en assainissant les finances publiques, en prenant des mesures de réformes pour lutter contre la corruption parce qu’en fait, l’action que nous allons porter, ce serait l’éthique, la lutte contre la pollution, l’égalité, l’équité et aussi la justice.
Quel bilan faites-vous de la période de transition qui s’achève ?
La transition nous a amenés aux élections. Le niveau sécuritaire a été nettement amélioré. Il y a des choses à faire. Moi, pendant plus de trois ans, je n’étais pas aux affaires, je n’ai pas voulu faire des critiques parce que je sais que les critiques, c’est toujours aisé, mais l’art est souvent difficile. Et ils ont fait ce qu’ils pouvaient faire, connaissant les conditions. Il reste des choses à poursuivre. C’est une question de continuité pour le prochain gouvernement.