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9 novembre 2015 1 09 /11 /novembre /2015 21:27

 

 

CENTRAFRIQUE

 

Par Jean-Louis Le Touzet, Envoyé spécial à Bangui Libération — 9 novembre 2015 à 19:16

 

Alors que la capitale est en proie à un déchaînement de violence et que l’Etat est en lambeaux, le pouvoir de transition fait face aux pressions françaises pour que les élections générales de décembre se tiennent à tout prix.

 

La vérité apparaît parfois comme une affreuse plaisanterie: 900 hommes de la force Sangaris, le dispositif militaire français en place depuis 2013, et 12000 Casques bleus de la Minusca (la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique) n’arrivent toujours pas à sécuriser les quatre arrondissements (IIIe, IVe, Ve et VIIIe) de Bangui en proie à une fièvre de violence qui a débuté fin septembre. Tout serait parti d’une moto volée dans le IIIarrondissement le 25 septembre. Le jeune voleur, musulman, aurait été tué par des supposés anti-balaka, les milices chrétiennes. Une épidémie de violence s’est alors emparée de tous les quartiers de Bangui. La seule journée du 26 septembre a fait 77 victimes. «Depuis, chaque matin, on compte les morts à l’aide d’un boulier chinois», dit cet officier français. Ainsi, le mercredi 4 novembre, les équipes de Médecins sans frontières ont admis en urgence à l’Hôpital général 21 blessés, dont quatre femmes, selon un défenseur des droits de l’homme joint à Bangui.

 

«Des forces occultes»

 

C’est dans ce «chaos sécuritaire», comme le qualifie une ONG française, dans une ville fragmentée par les haines communautaires et soumise à la criminalisation qui gangrène désormais tous les quartiers, que s’est déroulée, du 30 octobre au 1er novembre, la visite de la secrétaire d’Etat française chargée du Développement et de la Francophonie, Annick Girardin. Déjà alertée par la décomposition de la société centrafricaine, cette dernière a été confrontée à un pays - tout du moins ce qu’il en reste - laissé face à lui-même. Sa visite venait appuyer le soutien français qui se monte (hors dépenses militaires) à 70 millions d’euros depuis 2014, auquel Paris ajoute une aide supplémentaire de 1,5 million d’euros «afin de renforcer l’administration centrafricaine». Mais l’objectif majeur de ce déplacement était de conforter «la feuille de route» de sortie de crise, qui passe par l’organisation d’un référendum constitutionnel et d’élections présidentielle et législatives le 13 décembre. Selon la secrétaire d’Etat française, «il faut tout faire pour parvenir aux élections avant la fin de l’année pour reconstruire le pays».

 

La déclaration fait écho aux propos de la chef de l’Etat de transition, Catherine Samba-Panza, pour qui il faut «ramener le pays dans l’ordre constitutionnel avant la fin de l’année». La présidente dénonçant «ceux qui instrumentalisent ces violences et ne veulent pas de ces élections». Mais qui vise-t-elle précisément? «Le camp des "nairobistes", avec des ex-Séléka [des milices à dominante musulmane, au pouvoir à Bangui entre mars et décembre 2013, ndlr] et les anti-balaka.» En début d’année à Nairobi, le chef de l’une des quatre factions des Séléka, Noureddine Adam, a en effet noué des alliances avec certaines milices anti-balaka, proches de l’ancien chef de l’Etat François Bozizé, renversé en 2013 par ces mêmes Séléka. Réfugié en Afrique du Sud, un mandat d’arrêt international ayant été délivré contre lui par les autorités de transition, l’ex-président Bozizé ne peut se représenter. Mais ses partisans s’agitent et n’ont pas abandonné l’idée qu’il puisse être de nouveau candidat. «Il faudrait alors que les autorités lèvent ce mandat…» ajoute une source qui ne croit pas à un retour de Bozizé. Dans une allocution à la nation le 2 novembre, la présidente Samba-Panza, qui ne se représente pas, a dessiné un panorama épouvantable de la situation: «Il nous appartient de nous mobilier ensemble pour empêcher un nouveau cycle d’atrocités instrumentalisé par des forces occultes. L’heure est grave.»

 

Devant la presse nationale et française, la Présidente avait un peu mis les formes, en évoquant son «interrogation» face «au travail»de la Minusca. Deux jours plus tard, elle ne s’encombrait plus d’autant de formalités et allait droit au fait: «Je demande à la Minusca de mettre à disposition de nos forces de Défense les armes de l’armée nationale [aujourd’hui mises] sous séquestre afin de renforcer les capacités d’action de nos troupes engagées dans les combats.» En clair, des armes rouillent dans un hangar alors que des troupes formées par le GIGN n’en sont toujours pas dotées. «Ce sont les seules troupes qui connaissent très bien le terrain et qui peuvent rentrer dans les quartiers et neutraliser les éléments qui sabotent le processus» de paix, confie une source militaire sur place. «Sangaris patrouille en ville, mais c’est une autre chose d’aller chercher avec une fourchette à escargots les éléments les plus nocifs. On risque de la casse, avec une opinion française qui ne comprendrait pas que des soldats français tombent dans un conflit qu’on croyait résolu.»

 

«Carotte»

 

Alors que les tirs d’automatiques résonnent en ville à l’heure de l’Angélus, la secrétaire d’Etat française se veut ferme: «La communauté internationale aura du mal à soutenir des projets en République centrafricaine sous un régime de transition à bout de souffle. Ces élections doivent se dérouler.» Entendre: si elles ne se déroulent pas avant la fin de l’année, l’argent ne sera pas débloqué. «Cette carotte est une connerie, remarque un observateur international, car c’est le conseil d’administration du Fonds monétaire international qui décidera de débloquer les sommes ou pas, et non Paris.»

 

Au centre des traitements des données électorales de Bangui, fortement gardé, l’Autorité nationale des élections (ANE) travaille d’arrache-pied à la constitution d’une liste électorale «provisoire». C’est du moins l’idée que l’on peut s’en faire alors que les officiels se réjouissent mutuellement du travail déjà accompli. «Tout est prêt, nous avançons dans le mouvement. Il y a bien entendu les aléas techniques et les contraintes de terrain auxquels nous devons faire face», souligne timidement Marie-Madeine N’kouet, la nouvelle présidente de l’institution. En effet, le vice-président et le président de l’ANE ont tous deux démissionné à deux mois d’intervalle. Officiellement, le premier «pour raison de santé»; le second, qui n’a pas justifié son départ, «aurait jeté l’éponge devant la pression internationale», n’ayant jamais caché qu’il était impossible «de mettre sur pied une élection dans un temps si court».

 

Censément, chaque électeur inscrit est photographié. Mais pour un technicien, «50% des photos sont inexploitables». Une objection que la présidente N’kouet balaye, car il y aurait déjà «près de 2 millions d’inscrits» sur une population estimée à un peu plus de 4,5 millions. Les 300 000 réfugiés centrafricains? «Ils seront naturellement pris en compte dans les pays limitrophes, notamment au Cameroun», assure la patronne de l’ANE.

 

«Coûte que coûte»

 

Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale pour le compte de l’International Crisis Group, cette analyse «est complètement irréaliste. Bangui n’est pas sécurisé et la principale route du pays ne l’est pas plus. En fait, rien n’est sécurisé. Par ailleurs, la préparation technique est loin d’être achevée. Il n’y a aucun consensus politique sur qui est légitimement éligible et qui ne l’est pas. Quant au référendum constitutionnel de décembre, personne n’a encore vu le texte de la Constitution début novembre… Cela revient à faire voter des citoyens sur un texte qu’ils ne connaissent même pas».

 

Yolande travaille pour l’ONG Acord (l’Agence de coopération et de recherche pour le développement). Elle milite pour maintenir un dialogue interconfessionnel et est totalement abattue par la situation: «Mais pourquoi avoir gardé tant d’hommes pour un résultat tellement médiocre et bien pire qu’avant! Nous allons vers des élections par défaut et coûte que coûte.» Quand on évoque le désarmement qui a échoué, c’est la même horloge qu’on entend et qui sonne aujourd’hui avec le même carillon du côté des autorités françaises: «On a pu aller aux élections au Mali et en Côte-d’Ivoire sans la réalisation du préalable désarmement. Pourquoi ça ne marcherait pas en Centrafrique?» C’est effectivement imparable. Mais, oserait-on ajouter qu’il y avait dans ces deux pays encore «une empreinte» de l’Etat… or la Centrafrique n’est plus «qu’un territoire», comme le qualifie dans son remarquable rapport de septembre l’International Crisis Group. «Un territoire» livré aux gangs car «tous les [prisonniers de] droits communs sont dans la rue», assure Evrad-Armel Bondadé, le jeune secrétaire général de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme (OCDH). «Un territoire» où il ne serait pas de commerce plus rentable, notamment à Bangui, que vendre au détail des grenades défensives «made in China» pour moins d’un euro. «Moins cher qu’un kilo de bananes», se désole un habitant alors que la visite du pape François est toujours prévue le 29 novembre.

 

Le Vatican, ces derniers jours, évoquait d’ailleurs sa grande «préoccupation» et un report de la visite du pape ne serait pas exclu. Comment en effet assurer la venue de François alors que Bangui procède chaque matin au décompte macabre de la nuit? «Il faut vraiment que Sangaris se bouge le cul», déclarait une source expatriée. Et c’est d’autant plus étonnant que les cibles ont été «clairement identifiées». Le nom de Noureddine Adam, par exemple, est sur toutes les lèvres. Le chef de guerre de la Séléka «va et vient comme il veut dans le pays», constate amèrement une source diplomatique. La position de Paris «à ce sujet est contradictoire, explique en effet Thierry Vircoulon, car c’est vouloir des élections et, en même temps, ne pas vouloir se débarrasser des acteurs qui bloquent le processus électoral. Cette contradiction doit absolument être levée et cela passe par deux solutions: les neutraliser ou alors pactiser avec eux».

 

Pour une source sécuritaire jointe sur place en fin de semaine, «un contre-la-montre a été enclenché». Paris, qui veut à tout prix ces élections, pourrait, dans les jours prochains, se décider «à frapper», entendait-on ces dernières heures à Bangui. Le 4 novembre se déroulait l’AG de l’association des étudiants de Centrafrique. Une grenade «chinoise» a été jetée sur les étudiants : «Par chance, elle n’a pas explosé, raconte Evrard-Armel Bondadé, de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme. On peut imaginer la même chose dans un meeting électoral ou sur le passage du cortège du pape.»

 

Jean-Louis Le Touzet Envoyé spécial à Bangui

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