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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 13:07

 

 

Jean-Louis LE TOUZET Libération 22 mai 2015 à 19:46

 

Un rapport du chercheur Roland Marchal revient sur le soutien inébranlable de la France au président tchadien, admiré de longue date par les militaires.

 

Comment embrasser d’une seule vue la diplomatie française au Tchad de ces vingt-cinq dernières années ? Par où attaquer cette forteresse massive ? Roland Marchal, chercheur au Ceri-Sciences-Po, a répondu à la demande du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR), qui regroupe organisations civiles et des droits humains au Tchad, pour publier un rapport qui nettoie à la paille de fer ces relations marquées par la colossale empreinte militaire française. A travers cette étude de 50 pages financée par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire), se dessinent des continuités diplomatico-militaires au fil des différents exécutifs français.

 

Dans son propos préliminaire, Roland Marchal écrit : «Le soutien à Idriss Déby [le président tchadien, ndlr] correspond donc à bien plus qu’à une volonté de le sauver. C’est une certaine conception de l’ordre régional, peut-être irréelle ou obsolète, qui est défendue par Paris.» Ce rapport pose «la problématique de la militarisation de la diplomatie française», explique Bruno Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre solidaire.

 

Cyniques. Roland Marchal, dans un chapitre consacré au «lobby militaire», décrit d’entrée le décor : «Le Tchad semble avoir joué dans l’imaginaire des militaires français, mais aussi dans l’histoire de l’armée française, un rôle important. […] On doit mentionner d’abord une grande fascination pour les gens du désert de la part de l’armée coloniale, que ces nomades fussent alliés ou ennemis.»

 

Marchal fait ainsi dérouler les multiples opérations militaires (Limousin, Bison, Tacaud, Manta, Epervier) : «Le Tchad se prête très bien à une multitude d’exercices dans des environnements divers. Les pilotes ne peuvent que se féliciter, puisque l’espace aérien est le double de celui de la France, et qu’ils ne sont pas astreints aux mêmes règles.» Pour Marielle Debos, universitaire, auteur du remarquable le Métier des armes au Tchad (éd. Karthala), cette étude est «sans équivalent pour nous, Français, parce que le Tchad tient une place totalement à part dans notre politique et aussi parce que le Tchad occupe un rôle essentiel dans l’histoire de l’armée française.»

 

Remis mardi au Quai d’Orsay, ce rapport «a suscité un fort embarras», selon Delphine Djiraibé Kemneloum, présidente du CSAPR. Il est en effet une incarnation grinçante de trois courants de pensée au sein de l’exécutif : les réalistes, les néoconservateurs et les admirateurs de Déby. Le premier courant, cynique, a eu un réel «ascendant», écrit Marchal, dans la seconde mandature de Chirac. Il n’est pas dupe du régime : malversations, détournements et opposition achetée. C’est la ligne «tous pourris». De fait, disent les réalistes, «il vaut mieux avoir Déby de son côté car lui, au moins, on le connaît». Et il peut rendre des services.

 

Puis vient le courant néoconservateur, qui a survécu à la période Sarkozy-Kouchner. Il est toujours en vogue aujourd’hui. Que dit-il ? Que le Soudan est le mal absolu. Que Déby est un rempart, y compris face au chaos libyen. Il défend la laïcité, la francophonie, s’oppose aux hordes islamistes de Boko Haram. Et puis, qui voyez-vous pour le remplacer ? Personne.

 

Enfin, vient le courant des admirateurs. Il regroupe des militaires évidemment, qui chantent le roman d’une armée nationale. On y retrouve des politiques impressionnés par le courage de Déby quand, devant les tentatives de renversement, comme en 2006 et 2008, il refuse l’exfiltration proposée par les Français.

 

Horlogerie. «Chacun de ces courants pèse selon les périodes, écrit Marchal, mais ce qui est le plus important, c’est qu’ils occupent le champ et ferment toute possibilité de véritable aggiornamento politique.» Le chercheur ne se contente pas de démonter les mécanismes d’horlogerie de la politique française au Tchad, il montre sous une lumière crue ceux qui en remontent les ressorts. Il y a des lignes savoureusement vachardes sur les vieux routiers habiles de la diplomatie, ces fameux spécialistes de la zone au Quai d’Orsay. Marchal lâche quelques gouttes de fiel et c’est parfois assez drôle.

 

Certes, l’auteur n’a jamais beaucoup aimé les diplomates, pas plus que les journalistes. Il y a des passages sur certains hauts fonctionnaires du Quai, toujours en poste, totalement dévastateurs. L’un est qualifié de «néoconservateur», spécialiste de la petite blague, à la posture quasi religieuse «plutôt paradoxale pour un franc-maçon».

 

Et Déby ? «Paraître aux yeux de dirigeants français de bords différents comme un vecteur de stabilité régionale n’est sans doute pas le moindre effet de ce talent qui transforme en gains stratégiques des avantages tactiques et qui obère les faiblesses structurales d’un régime autoritaire en projetant son insécurité hors de ses frontières dès lors qu’il est incapable de les réduire.»

 

Marielle Debos se désole de cet aveuglement de la France :«Les mouvements sociaux sont regardés avec mépris par Paris alors que l’opposition travaille dans des conditions extrêmement difficiles. Et surtout, Paris refuse toujours de prendre en compte l’après-Déby.» Et quel sera-t-il ? «Un bain de sang», annonce déjà un opposant tchadien joint vendredi par Libération.

 

ParJean-Louis Le Touzet

 

Lu pour vous : Le vieux lobby pro-Déby à Paris passé au peigne fin
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