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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 14:59

 

 

 

 

 

Par Le Nouvel Observateur   30-08-2014 à 13h46

 

À l'occasion du festival Visa pour l'image de Perpignan, le photojournaliste Michaël Zumstein revient sur ses reportages en Centrafrique.

 

Photojournaliste franco-suisse spécialiste du continent africain, Michaël Zumstein a couvert ces dernières années plusieurs conflits de la Centrafrique à la Côte d’Ivoire en passant par le Mali et la République démocratique du Congo.

 

Pour sa 26édition, le festival Visa pour l’image de Perpignan expose ses photos sur le conflit centrafricain dans une série intitulée "De terreur et de larmes." Un reportage au long cours de plusieurs mois, commencé début septembre 2013, à l’aube de la lutte armée qui allait opposer la Séléka, mouvement rebelle à majorité musulmane, et les anti-balaka, milices chrétiennes d’autodéfense.

 

De la formation des milices aux multiples exactions commises par les deux camps, le photographe a suivi toutes les évolutions du conflit dont la teneur religieuse se profilait. Avec Cyril Bensimon, journaliste au "Monde", ils étaient parmi les premiers reporters sur place. Michaël Zumstein raconte au "Nouvel Observateur" les conditions de travail dans lesquelles il a opéré en Centrafrique et la difficulté pour les photojournalistes de vendre leurs images. Interview.

 

Pourquoi un festival de photojournalisme comme Visa pour l’image est important ?

- La production de l’information est de plus en plus rapide, on est dans l’instantanéité. Le festival Visa offre une histoire de l’actualité sur la longueur, avec la possibilité de montrer la quasi-intégralité des photos du reportage. C’est un temps de répit où le long récit est roi. Pour des sujets complexes, comme la guerre en Centrafrique, le festival permet aussi de mettre en avant le travail des photojournalistes qui, à part lors d’enlèvements ou de meurtres, sont assez peu mis en avant.

 

C’est le moment d’une compréhension du monde, l’occasion de prendre le temps d’expliquer notre travail et les conditions de réalisation d’un sujet.


Certains journaux spécialisés publient encore des photoreportages, mais c’est un public restreint. Avec le festival Visa, plus de 200.000 personnes peuvent y accéder gratuitement.

 

Quand vous prenez une scène violente en photo, comme en Centrafrique avec les machettes, ne craignez-vous pas que cela se retourne contre vous, en tant que témoin ?

 

- Ceux qui commettent ce genre d’exactions savent très bien qu’il y a des journalistes autour d’eux. On est souvent proches de la scène de violence. En tant que Blancs, avec des appareils photos professionnels, on est très vite repérables, surtout si on ne travaille pas au téléobjectif. À partir du moment où l’on n’est pas chassé directement, c’est qu’il y a une permission implicite.

 

Le plus important est de faire attention que les scènes ne se produisent pas à cause des journalistes présents. J’ai connu des situations où des membres de groupes armés nous disaient : "Venez, venez, on a coincé un musulman, vous allez voir ce qu’on va lui faire." C’est de la manipulation pure et dure dans ce cas-là. Le photographe ne doit pas céder à la tentation de l’image facile. Le groupe de photojournalistes dans lequel j’étais a toujours refusé de participer à ce genre de scène. C’est une ligne à ne surtout pas franchir.

 

La crise du photojournalisme vous pousse-t-elle à rechercher des photos plus trash ?

 

- Non, je ne suis pas en quête de photos sanglantes. L’ultra-violence détourne parfois la vision de l’ensemble et enlève le côté narratif au récit que l’on donne à voir. Au contraire, on redouble de prudence avec ce genre d’images "trash". Le sang n’est pas la preuve que la photo est bonne.

 

Surtout, il ne faut pas oublier qu’en zone de conflit, les différents camps veulent manipuler l’information pour se mettre en valeur, intimider l’adversaire et tirer profit de la couverture des médias. Cela fait partie de la propagande des groupes armés."

 

En Centrafrique, au début de la crise, on voyageait avec un chauffeur musulman et un fixeur [accompagnateur, NDLR] chrétien, puis on alternait. Mais après plusieurs semaines de combats, il était difficile d’aller dans un quartier chrétien, avec un chauffeur de confession musulmane, et vice-versa. Or, pour traiter l’actualité, c’est essentiel d’aller dans les deux camps et trouver un équilibre dans la réception de l’information. On recoupe toujours les renseignements qu’on nous donne avec les ONG, les émissaires de l’ONU sur place pour être certain que nos photographies correspondent à la situation. Lors de mes 11 semaines de reportage pour "Le Monde", j’ai pu me rendre partout et passer d’un camp à l’autre dans la même heure.

 

Il y a des photos très violentes que j’ai demandé au journal de ne pas diffuser. Soit parce que je n’avais pas les moyens de vérifier les circonstances de la mort de la personne, soit parce que l’image ne donnait pas plus d’information qu’une mort brutale.

 

Ces photos peuvent-elles servir à expliquer autre chose que l’instant ?

 

- Prendre ces photos est important pour un travail d’archive. L’ambition du photojournaliste est aussi de documenter, de s’inscrire dans l’Histoire. Je me souviens d’une image très dure d’une personne morte qui allait être émasculée, à 100 mètres de la porte d’entrée des forces françaises. Garder cette image est primordial pour savoir comment la France réagira quand on lui demandera de faire le bilan de l’intervention.

 

Quels changements avez-vous observés dans le secteur du photojournalisme ?

 

Au niveau de la production de photos, on a moins d’espace qu’il y a 20 ans par exemple. Quand j’étais plus jeune, j’arrivais à trouver des journaux pour publier mes reportages et raconter des histoires.

 

L’avantage aujourd’hui est qu’avec la baisse des prix des billets d’avion et le développement des moyens de communication, il est plus facile de se pré-positionner sur le terrain quand on sent une actualité. Par exemple en Centrafrique, des relais m’avaient parlé de tensions qui existaient dans le pays. J’y suis allé avant que cela n’explose, ce qui m’a donné la possibilité de nouer des contacts, de comprendre les enjeux géopolitiques et de faire du repérage.

 

Le danger avec ces facilités d’accès au terrain, c’est l’arrivée de jeunes reporters inexpérimentés sur des zones conflictuelles où le risque est démultiplié.

 

En République centrafricaine, j’ai vu des jeunes photographes qui travaillaient dans des conditions dramatiques sans gilet pare-balles, sans assurances, sans média derrière eux, ni même une agence pour distribuer leurs photos."

 

Ils n’avaient pas de voiture, ou alors un vieux taxi qu’il fallait pousser pour faire démarrer ; imaginez quand il faut prendre la fuite pour échapper à une horde de rebelles armés de machettes. L’équipe de photojournalistes professionnels sur place leur a dit de partir. Le danger pour les jeunes photographes c’est de vouloir aller trop vite, trop loin, trop fort.

 

L'indication "Presse" peut-il faire des journalistes une cible, plutôt qu’une protection ?

 

Oui, cela peut arriver. On est toujours des proies potentielles dans une zone de conflit. C’est le grand mythe de tuer le messager plutôt que l’ennemi.

 

Propos recueillis par Tancrède Bonora

 

Michaël Zumstein commente deux de ses photos pour "Le Nouvel Observateur" :

 

"Ci-dessus, une photo que j’ai faite lors de mon premier voyage, en septembre 2013. À l’époque, on ne les appelait pas encore les anti-balaka, c’était encore des groupes d’autodéfense villageois, armés de carabines, qui essayaient de se défendre de la Séléka au pouvoir.

 

Puis quand le rapport de force s’est inversé, à partir de janvier 2014, ces mêmes milices chrétiennes ont commencé à faire aux musulmans ce que la Séléka leur avait fait subir : pillage, viol, destruction de villages. Cette photo prend maintenant des airs de tableau inquiétant car ces hommes sont devenus les maîtres officieux des routes centrafricaines. Au début, la population civile chrétienne les acclamait, maintenant c’est terminé car ils rançonnent tout le monde sur la route (chrétiens et musulmans). Ce sont devenus des grands brigands."

 

"Après l’attaque ratée de Bangui, le 5 décembre 2013, par les miliciens anti-balaka, pour prendre la ville et faire tomber le pouvoir de la Séléka, les miliciens chrétiens se cachaient dans les faubourgs. Ici, nous les trouvons presque par hasard dans une école désaffectée où ils nous proposent d’assister à un cours d’instruction militaire.

 

Alignés en rang comme dans une classe normale, les "élèves" sont venus à l’école avec leurs armes : machettes, gourdins cloutées et couteaux. Ils répondent aux questions de l’instructeur militaire et tachent de faire bonne figure devant le photographe.

 

Quelques semaines plus tard, ce sont ces mêmes hommes qui terroriseront les populations musulmanes et les forceront à quitter un pays qui était pourtant le leur."

 

Lu pour vous : CENTRAFRIQUE. "Le sang n’est pas la preuve que la photo est bonne"
Lu pour vous : CENTRAFRIQUE. "Le sang n’est pas la preuve que la photo est bonne"
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