http://mondafrique.com/ PAR XAVIER MONNIER - Publié le 30 Août, 2014
Mails, virements, hommes de l'ombre, enquêtes privées et paradis fiscal. Sept ans après la plus grande OPA de l'histoire du géant nucléaire français, la manoeuvre a tourné au fiasco. Deux milliards de perte au moins. Et le dossier irradie encore, de France jusqu'en Centrafrique.
C'est un puzzle dont les pièces ont été éparpillées. Au fil du temps, elles ont même été enrichies, remplacées, détournées, déplacées à travers le monde. Entre Europe, Amériques, Afrique et leurs paradis au climat fiscal bien tempéré, leurs coffres-forts inviolables et leurs transactions frappées du sceau du secret bancaire.
Trésor centrafricain
Sept ans après le rachat d'Uramin, société canadienne immatriculée aux îles Vierges Britanniques, par Areva à l'occasion de la plus grosse OPA de l'histoire du géant nucléaire (et public) français, quelques éléments refont surface, nourrissant le trouble sur les modalités de l'opération. Son but. Ses bénéficiaires. Venues d'Afrique du Sud, de Centrafrique, du Canada ou bien sûr de France, ces empreintes, froides, marquent un terrain largement miné. Que ce soit sur le plan politique, économique ou diplomatique.
Les enquêtes de Bakchich, au cours des dernières semaines, ont révélé certains de ces éléments. Par exemple : le virement d'Areva au trésor centrafricain pour solder le différent fiscal autour du rachat d'Uramin. Si le versement du géant français, via l'un de ses comptes londoniens, a bien été effectué, les finances centrafricaines en ont été délestées… Que cette manne ait été détournée par le clan Bozizé, alors au pouvoir en Centrafrique, et serve maintenant à financer la rébellion dans un pays où les soldats français sont embourbés n'est pas une hypothèse invraisemblable...
Les coquilles d'Areva
Les étranges caviardages des documents transmis par Areva à l'Agence des participations de l'Etat pour valider l'achat d'Uramin intriguent également. Non seulement l'opération a été finalisée durant l'entre-deux tours de la présidentielle de 2007, mais encore les bémols avancés par les experts miniers d'Areva quant aux capacités d'Uramin n'ont pas été soumis à l'appréciation de la puissance publique. Ni même l'étonnante – et très impressionnante - hausse du cours d'Uramin, 6 mois avant son rachat : de quelques centaines de millions de dollars fin décembre 2006, son prix s'est envolé, en juin 2007 à 2,5 milliard de dollars. L'investissement s'est révélé d'autant plus ruineux que le marché de l'uranium s'est effondré après la catastrophe de Fukushima, obligeant Areva à provisionner 2 milliards d'euros de pertes, principalement sur Uramin. Les mines acquises en Namibie et en Centrafrique, difficilement exploitables, ne sauraient être rentables qu'avec un marché de l'uranium au plus haut. Un pari risqué, tenté et perdu par Anne Lauvergeon. A dessein?
De la France à l'Afrique, un fort accent belge
C'est le soupçon qui plane depuis 2007 sur le dossier, et que ni le rapport Ricol en 2010, ni les missions d'information parlementaires de 2012, ni les audits effectués la même année, ni même les enquêtes privées diligentées par Areva, ne sont parvenus à éteindre : celle aussi, sur laquelle planche la brigade financière parisienne, saisie par le parquet national financier après une alerte, en avril 2014, de la Cour des comptes. Sept ans après les faits, la justice a ouvert une enquête préliminaire pour «présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles », « diffusion d'informations fausses ou trompeuses », « faux et usage de faux ». Des premières perquisitions ont été réalisées au sein même d'Areva et aux domiciles de ses anciens dirigeants - d'Anne Lauvergeon (présidente) et son époux Olivier Fric à Sébastien de Montessus (directeur de Mines) en passant par Daniel Wouters (vice-président, et grand exécutant de l'achat d'Uramin) - préalable fort peu urbain mais nécessaire avant une audition en bonne et due forme, à laquelle le dernier nommé a déjà goûté.
Au coeur des interrogations des policiers, le CV dudit Wouters. Financier belge, spécialiste des opérations minières et levées de fonds liées à l'Afrique, il jouit d'un épais carnet d'adresses qui lui a permis de rapidement rebondir, après son départ d'Areva… dans la nouvelle structure créée par les anciens d'Uramin. Encore plus troublant, en 2008, pas peu fiers de la culbute qu'ils avaient réalisée, les fondateurs de la boîte publient un livre, A team enriched, où ils écrivent que le secret le mieux gardé d'Areva consiste en la personne qui a embauché Wouters au sein du géant français.
Cv et mails, les actes gratuits de M. Lauvergeon
Le secret a été partiellement éventé. Le mari d'Anne Lauvergeon a placidementexpliqué qu'il avait, en avril 2006, transmis le CV de Wouters dont l'embauche serait actée que six mois plus tard. « A l'époque, beaucoup de "mercenaires" des mines ont postulé, se rappelle un proche d'Atomic Anne. Mais elle voulait un vrai financier spécialiste des mines, pas un broker. Elle s'en est ouvert à son mari, qui connaît mieux les milieux de l'Est que l'Afrique. Mais un de ses amis travaillait avec Wouters sur une levée de fonds sur la plus gros cimenterie africaine. Il lui a transmis le dossier, sans le suivre». L'acte, gratuit, s'est transformé après le fiasco Uramin, en élément à charge. Que des pièces saisies lors des récentes visites policières sont venues alourdir.
Notamment un mail, dévoilé par L'Obs, sur lequel Bakchich a également mis la main, et que nous publions ici dans son intégralité.
A première vue, ce courriel, un rien crypté, a de quoi indisposer Olivier Fric, qui a toujours nié s'être mêlé des affaires d'Areva, malgré le cas Wouters et son rôle de conseiller des financiers d'UAG, l'un des partenaires d'Areva en Namibie.
Bakouma, un gisement très prisé
Surtout, le mail concerne l'un des épisodes les plus complexes du dossier Uramin dans la «très touchy» Centrafrique. Autour du gisement de Bakouma, racheté à prix d'or par Areva, deux parcelles connexes ont été acquises par Saif Durbar et Richard Odonko, proches conseillers de Bozizé, et regroupés dans la société Uranio. Or, sans ces terrains, impossible de lancer une exploitation de Bakouma. Ce verrou a longtemps pesé sur les négociations entre Areva et la Centrafrique… jusqu'à l'incarcération de Durbar, en France, après sa condamnation à cinq ans de prison dans un (très vieux) dossier d'escroquerie. Étrangement, l'homme d'affaires indopakistanais bénéficiera après seulement quelques mois d'une libération conditionnelle : Uranio, elle, disparaîtra…
«Rigsby, qui est cité dans le mail, était le trustee de Durbar», peste un proche de l'ancien vice-ministre des affaires étrangères de Centrafrique. « Il a essayé de le trahir en vendant ses part dans son dos». Sans succès. Si Robert Kissin, spécialiste comme Fric des marchés de l'Est en général et épinglé par Wikileaks pour son rôle dans une affaire de corruption au Kazakhstan, assure à Bakchich ne pas se souvenir du dossier, les proches de M. Lauvergeon s'en rappellent fort bien.
«Olivier Fric est connu par tous les milieux financiers parce qu'il bosse là dedans depuis 30 ans. Il a reçu 5 propositions d'émissaires d'Uranio, avant et après ce mail. Il a transmis à qui de droit, c'est à dire Montessus, c'est tout. Sans donner suite». Ni succès.
«Dans l'affaire, Durbar a tout perdu », décrit un proche de l'homme d'affaires indopakistanais. « Les permis d'Uranio ont été annulés entre 2010 et 2011, avant d'être accordé à une joint-venture créé fin 2009 entre Areva et Georges Forrest».
Ancien consul honoraire de France et de Belgique au Katanga, Georges Forrest, considéré comme l'un des plus influents miniers d'Afrique australe, avait notamment prêté à Patrick Balkany son avion privé, lors des tournées africaines du maire de Levallois. Selon Le Point, il a même émis virement de 5 millions de dollars sur un compte singapourien, dont le bénéficiaire final serait l'élu sarkozyste.
Encore une pièce dans un puzzle des plus radioactifs…