http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/En-Centrafrique-les-evacuations-de-musulmans-s-intensifient-2014-04-28-1142747 28/4/14 - 18 H 36
Coincés dans des enclaves protégées par les forces internationales, 1 300 musulmans ont quitté la capitale centrafricaine pour fuir vers le nord.
Organisée par l’ONU, l’évacuation a été dénoncée par le gouvernement centrafricain, qui craint une partition du pays.
L’insécurité règne toujours : 16 civils, dont trois employés locaux de Médecins sans frontières, ont été tués.
Selon l’ONU, l’opération était devenue inéluctable : harcelés depuis des mois dans le quartier PK-12 de Bangui, 1 300 musulmans ont été évacués vers le nord, près de la frontière tchadienne. Dix-huit camions, chargés de familles et de leurs bagages, ont pris la route, escortés par des militaires africains de la Misca. Menacés par des miliciens des quartiers environnants, les musulmans vivaient dans une sorte d’enclave sous protection des soldats français et africains.
Sans attendre, des centaines de leurs anciens voisins se sont mis à piller la mosquée. « Si elle n’a pas été détruite, c’est seulement parce que les soldats de la Misca étaient présents », précise Fatoumata Lejeune-Kaba, porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU.
Ont eu lieu des scènes de haine à la mesure de la tension qui règne entre les communautés à Bangui. Assimilés à la milice Séléka au pouvoir jusqu’en janvier, les musulmans étaient ciblés depuis décembre et le début de l’intervention française. Au PK-12, 18 personnes seraient mortes par balles, grenade ou machette, et les blessés nombreux.
Des centaines de milliers d’habitants déplacés
Un transfert des habitants du PK-12 avait déjà eu lieu dimanche 20 et lundi 21 avril. Il concernait 90 habitants musulmans, réinstallés dans la ville de Bambari, en majorité chrétienne mais relativement épargnée par les tensions entre communautés. Le HCR justifie ces relocalisations par la « radicalisation » des milices anti-balakas, accusées de nombreuses exactions. Elles ont été créées pour combattre les ex-Séléka, eux-mêmes accusés d’abus considérables.
Samedi 26 avril après-midi, 16 civils dont trois employés centrafricains de Médecins sans frontières (MSF) ont d’ailleurs été tués dans Boguila (nord). « Des membres armés de l’ex-Séléka ont encerclé l’hôpital où une réunion avait lieu avec quarante responsables de communautés invités par MSF à discuter de l’accès médical et des soins », précise l’ONG française, qui indique avoir suspendu ses activités dans la ville.
« Nous examinons aussi s’il est possible de continuer les opérations dans d’autres zones », précise Stefano Argenziano, chef de la mission de MSF en Centrafrique. Alors que le pays échappe en grande partie au contrôle de l’État, dirigé depuis janvier par la présidente de transition Catherine Samba-Panza, les organisations humanitaires sont souvent les seules à assurer les soins de base à la population. Des centaines de milliers d’habitants sont déplacés.
Les musulmans, commerçants du pays
« Le plus inquiétant est que l’on sait très peu de chose sur ce qui se passe en province », précise Roland Marchal, chercheur au CNRS. Les forces internationales, longtemps cantonnées à Bangui, se déploient peu à peu dans le pays. Mais les 2 000 soldats de la force française Sangaris, les 6 000 soldats de la Misca et les quelques centaines de soldats européens ont du mal à sécuriser un pays grand comme la France et la Belgique.
« Le problème, c’est que la France et la communauté internationale sont concentrées sur l’aspect sécuritaire, juge Roland Marchal. Pour la réconciliation, on se contente de mettre les chefs religieux en avant. Ceux-ci sont très courageux, mais cela ne suffit pas. Il faut relancer l’économie pour que musulmans et chrétiens se rendent compte qu’ils ont besoin les uns des autres. »
Représentant environ 15 % de la population avant le début de leur exode, les musulmans centrafricains sont les commerçants du pays. Avec leur départ, l’économie pourra difficilement se relancer et les marchés ne pourront être approvisionnés.
Des déplacements et une partition du pays ?
Cette menace explique sans doute les critiques du gouvernement de transition. Après l’évacuation de dimanche 27 avril, le gouvernement a dénoncé une opération « unilatérale », menée « à (son) insu et contre (son) gré ». Ces déplacements pourraient créer des « déséquilibres culturels et sociologiques », a jugé la ministre de la réconciliation Antoinette Montaigne.
Les autorités craignent que les déplacements ne favorisent une partition du nord du pays, qui abrite une forte population musulmane. « Tous les Centrafricains ont le droit de demander que les pays amis n’aillent pas dans le sens d’une séparation de fait de ce pays », a aussi protesté Antoinette Montaigne.
Quelques milliers de musulmans subsistent à Bangui, principalement dans le quartier PK-5. Ils étaient plusieurs dizaines de milliers avant décembre 2013.
Rémy Pigaglio
Evacuation de musulmans et pillages à Bangui
BANGUI 28/04/14 (Reuters) - Environ 1.300 musulmans ont quitté Bangui dimanche sous la protection de soldats africains de maintien de la paix et leur quartier a été pillé par des centaines de chrétiens après leur départ.
Le quartier PK12 dans le nord de Bangui était l'une des dernières poches musulmanes de la capitale de la Centrafrique, déchirée par des violences à caractères ethnique et religieux depuis que des rebelles essentiellement musulmans regroupés au sein de la Séléka ont renversé le président François Bozizé en mars 2013.
"Nous partons pour sauver nos vies", a déclaré à Reuters Mohamed Ali Mohamed, qui est né et a grandi dans ce faubourg, pendant que d'autres musulmans attachaient de gros bidons aux camions prêts à les emmener vers le nord de la Centrafrique.
Certains de ceux qui n'ont pas pu emmener leur voiture ont préféré la brûler sur place plutôt que de la laisser aux chrétiens.
Tandis que les musulmans préparaient leur départ, des centaines de chrétiens ont patienté derrière des cordes installées par des militaires congolais de la force africaine de maintien de la paix, la Misca. Parmi eux se trouvaient des femmes et des enfants mais aussi des hommes armés de machettes ou d'arcs et de flèches.
Une fois les musulmans partis, ces chrétiens ont envahi le quartier et détruit et pillé des maisons sous le regard des soldats africains. Beaucoup scandaient "Libération! Libération!"
"C'est une honte mais on ne peut rien y faire", a déclaré Dieudonné Bignilaba, un chrétien de Bangui.
"Pendant des années, nous avons vécu ensemble mais ce sont eux qui ont apporté les armes ici pour nous tuer", a-t-il ajouté.
DES MUSULMANS NE VEULENT PAS PARTIR
Durant leurs mois de présence à Bangui, les rebelles de la Séléka ont multiplié les exactions, ce qui a entraîné la création de milices chrétiennes et animistes, les anti-balaka.
Avec le départ en janvier du chef de la Séléka, Michel Djotodia, soumis à de fortes pressions internationales, les violences entre communautés ont franchi un palier supplémentaire malgré la présence de près de 2.000 militaires français et de 6.000 soldats et policiers africains.
Le Haut Commissaire de l'Onu pour les réfugiés, Antonio Guterres, a jugé en février que la Centrafrique était en train de sombrer dans un "nettoyage ethnico-religieux".
Sous la protection des forces étrangères, des milliers de musulmans ont ainsi fui Bangui. Ces évacuations ont été critiquées récemment par le ministère centrafricain de la Réconciliation, selon lequel cet exode encadré par la communauté internationale fait le jeu des rebelles musulmans désireux de créer un Etat indépendant dans le nord du pays.
Représentant en Centrafrique de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'agence onusienne impliquée dans ces évacuations, Giuseppe Loprete a déclaré que les musulmans vivant près de la mosquée centrale et dans le quartier PK5 ne voulaient quant à eux pas partir.
(Bertrand Boucey pour le service français)