Par Hippolyte Marboua et Krista Larson The Associated Press
BANGUI, République centrafricaine 23 janvier 2014 – La nouvelle présidente par intérim de la République centrafricaine, Catherine Samba-Panza, a appelé les combattants à rendre les armes alors qu’elle prêtait serment jeudi, quelques heures après une nouvelle flambée de violence dans la capitale.
Mme Samba-Panza, la première femme à diriger la République centrafricaine, a été assermenté quelques jours après avoir été choisie par le Conseil national de transition. Le chef rebelle musulman à l’origine du coup d’État de mars 2013 a démissionné il y a près de deux semaines, face aux critiques internationales sur son incapacité à contrôler ses combattants et à faire cesser les violences.
Dans son discours d’investiture, la présidente a appelé les combattants musulmans et les milices chrétiennes à soutenir le processus de paix.
«J’appelle fermement les combattants à faire preuve de patriotisme en abandonnant leurs armes», a-t-elle dit. «Le désordre en cours dans le pays ne sera plus toléré.»
La République centrafricaine est déchirée par de violents affrontements interreligieux depuis des mois. Près d’un million de personnes ont été forcées de quitter leur maison, et quelque 100 000 d’entre elles sont réfugiés autour de l’aéroport international de Bangui, gardé par des soldats français.
Le conseiller spécial de l’ONU pour la prévention des génocides, Adama Dieng, a prévenu mercredi du «risque élevé de crimes contre l’humanité et de génocide» en République centrafricaine. Devant le Conseil de sécurité, M. Dieng a déclaré que des enfants avaient été décapités, que des villages entiers avaient été incendiés et que le pays était plongé dans l’anarchie la plus complète.
Christian Bernis Latakpi, un étudiant universitaire âgé de 24 ans, a dit espérer que Mme Samba-Panza, qui était mairesse de Bangui depuis le mois de juin, ramène enfin le calme dans le pays.
«Depuis l’indépendance, ce sont toujours des hommes qui ont dirigé le pays et ils ont échoué», a-t-il affirmé. «Nous espérons qu’elle rétablisse rapidement la sécurité et qu’elle réunisse nos frères musulmans et chrétiens. Parce que les Centrafricains musulmans sont nés ici, ils ont grandi ici, et nous ne pouvons pas les renier. Il revient maintenant à la mère de notre pays de réconcilier les deux communautés.»
Quelques heures avant l’investiture de la présidente, les tensions restaient vives dans la capitale. Des centaines de miliciens chrétiens ont attaqué des civils musulmans, pillant et incendiant des résidences et des commerces.
Des casques bleus rwandais et des soldats français sont intervenus mercredi soir pour secourir une trentaine de musulmans gardés captifs dans leurs maisons par des bandes de miliciens dans le quartier PK13 de Bangui, ont déclaré des témoins. L’intervention est survenue après que des militants des droits de la personne eurent réclamé de l’aide pour ces familles.
«Si ces gens ne sont pas évacués d’ici quelques heures, ils seront morts demain. Dès que nous partirons, ils se feront tuer», s’est alarmé Peter Bouckaert, directeur des situations d’urgence chez Human Rights Watch.
Alors que la nuit tombait, les forces françaises ont fourni un camion pour évacuer les familles vers un camp de réfugiés musulmans protégé par les soldats internationaux.
Les rebelles majoritairement musulmans qui ont pris le pouvoir sont devenus de plus en plus impopulaires durant leur règne de 10 mois, alors que des combattants sans scrupules commettaient des atrocités contre la population civile, majoritairement chrétienne. Une milice chrétienne a lancé une contre-offensive le mois dernier, provoquant de violents affrontements dans les rues de la capitale qui ont fait plus de 1000 morts en quelques jours.
Une coalition de pays africains a déployé un total de 4600 casques bleus en Centrafrique, tandis que la France a envoyé 1600 soldats.
Centrafrique: Catherine Samba Panza, battante et femme de dialogue
Bangui (AFP) - 23.01.2014 17:32 - Par Christian PANIKA à Bangui et Célia LEBUR à Libreville
Catherine Samba Panza, 59 ans, qui a pris ses fonctions de présidente de transition jeudi à Bangui, est - sous des dehors avenants - une femme de caractère mais aussi de dialogue, entrée en politique il y a dix ans, déjà pour réconcilier des Centrafricains divisés par un coup d'Etat.
Première femme à occuper ce poste en Centrafrique, elle a été élue lundi par le parlement provisoire pour succéder à Michel Djotodia et a prêté serment jeudi devant la Cour constitutionnelle provisoire lors d'une cérémonie au palais de l'Assemblée nationale.
M. Djotodia avait renversé le régime de François Bozizé en mars 2013 à la tête de sa coalition rebelle Séléka et a été contraint à la démission le 10 janvier, sous pression de la communauté excédée par son incapacité à arrêter les tueries entre chrétiens et musulmans.
Incarnation de la diversité
De par ses origines familiales, Mme Samba Panza - chrétienne mais qui ne met pas en avant ses convictions religieuses - incarne aussi la diversité de la population centrafricaine et la cohabitation jusque récemment sans problèmes majeurs entre des communautés de religions et d'origines différentes.
Elle est née le 26 juin 1954, au Tchad, de père camerounais et de mère centrafricaine. Après des études de droit des entreprises à Bangui puis à Paris, elle rentre en Centrafrique et y crée rapidement une société de courtage en assurances, dans un pays miné par la corruption et peu propice aux affaires. De là vient sans doute son "hostilité à la corruption", que soulignent ceux qui la côtoient.
Dans la capitale, on la décrit volontiers comme quelqu'un de "très rigoureux" qui ne "cède pas facilement aux injonctions du pouvoir", sous des apparences de femme douce, au visage rond et souriant.
Militante des droits des femmes et des victimes
"C'est quelqu'un qui vient du privé, qui bosse", explique une source occidentale dans la ville: "avec elle on aura vraiment une perspective de travail".
Parallèlement à son activité professionnelle, elle s'engage dans le militantisme, au sein de l'Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC). Elle s'y bat pour promouvoir la présence des femmes à des postes qualifiés et les droits des victimes des violences dans un pays où coups d'Etat, rébellions, mutineries s'enchaînent depuis l'indépendance de la France en 1960.
Ce parcours de militante l'entraîne dans l'arène politique en 2003. La Centrafrique est alors encore en pleine crise après le renversement d'Ange-Félix Patassé par François Bozizé, lui-même renversé en mars par Michel Djotodia.
Pour calmer les esprits, M. Bozizé organise alors "un dialogue politique national". Catherine Samba Panza est nommée à la vice-présidence de cette variante d'une conférence nationale.
Elle s'y illustre aux yeux des Centrafricains en réussissant le tour de force à réconcilier l'ancien président David Dacko (renversé en 1981 par un coup d'Etat du général Kolingba) et le Premier ministre de l'époque Abel Goumba, ennemis politiques jurés depuis l'indépendance.
Ce succès inattendu lui vaut d'être propulsée sous les projecteurs. Elle en retire aussi une connaissance très fine des arcanes de la classe politique de son pays et de ses incessants retournements d'alliances.
Pas le droit à l'erreur
Observatrice attentive et informée des années Bozizé, elle est dans la foulée de son renversement nommée maire de la capitale par décret du nouveau président Michel Djotodia.
Ou selon le titre exact, et comme ses prédécesseurs "présidente de la délégation spéciale de la ville de Bangui", avec pouvoirs de maire. Puisque depuis l'abolition du régime du parti unique, au tout début des années 90, il n'y a plus eu d'élections municipales en Centrafrique.
Mariée, mère de trois enfants, elle assiste - révulsée - au fil des mois, à la descente aux enfers de son pays qui bascule dans le chaos et les tueries de masse.
Déjà à la mairie, puis dès son élection lundi elle pousse milices chrétiennes anti-balaka et ex-rebelles Séléka au dialogue, recevant des représentants des deux camps.
Désormais à la tête d'un Etat ruiné et d'un pays dévasté par la haine et une crise humanitaire sans précédent, elle disait dès mardi à la presse qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur: "j'ai mesuré les attentes que les populations ont mises en moi. Je me dis qu'il faut absolument ne pas décevoir ces attentes".
© 2014 AFP