Plus de chef d’Etat ni de Premier ministre, des combats intercommunautaires... la Centrafrique est minée par la violence. Ce pays peut-il sortir de la crise? Et comment? Thomas Hofnung, journaliste au service monde de «Libération» a répondu à vos questions.
Jérôme. Qui gouverne la Centrafrique?
Thomas Hofnung. La question mérite d’être posée. Le pays est censé être dirigé par le président du Conseil national de transition (CNT) Alexandre-Ferdinand Nguendet après la démission, vendredi dernier, de Michel Djotodia. J’ai bien dit censé, car dans la réalité le président par intérim dirige un Etat fantôme. Il n’y a plus d’armée, plus d’administration, plus d’argent. Le pays est dans un état catastrophique. Disons, que ce nouveau chef représente le visage d’un Etat centrafricain à reconstruire.
Le pays n’est pas dirigé, les forces de sécurité étrangères tentent pour l’heure de stopper les affrontements quasi quotidiens à Bangui. Pour le reste, la population est livrée à elle-même. Il y a donc urgence à reconstruire un début d’Etat en Centrafrique.
Adrien. Comment la Centrafrique va-t-elle pouvoir organiser une élection présidentielle dans un délai si court, alors que le pays est à feu et à sang?
T. H. Entamé à l’été dernier, le régime de transition devait courir jusqu’à début 2015, date à laquelle des élections présidentielle et législatives seraient organisées. Mais on est face à un vide total du pouvoir et de l’administration.
Effectivement, on peut se demander comment organiser à cette date des élections fiables et transparentes dans un pays à la fois faiblement peuplé et vaste, puisqu’il est plus grand que la France. Le dilemme c’est qu’il faut pourtant aller vite pour mettre fin à ce vide politique qui laisse la place aux groupes armés de toute obédience. Paris voudrait une sorte de compromis: des élections avant la fin de cette année. Difficile de savoir si cette proposition est réaliste. En tout cas, il y a urgence.
Gewurzt. Au vu du rôle du Tchad dans la situation en Centrafrique, alors que ce pays est un grand allié de notre pays, peut-on parler de double jeu de la France?
T. H. Vous avez raison de pointer les ambiguïtés de la France. Mais, je ne parlerais pas de double jeu. Je pense que la France est quelque part coincée vis-à-vis du Tchad. Elle est sans illusion sur le rôle pour le moins trouble joué par N’Djamena en Centrafrique, mais elle sait bien qu’elle ne peut stabiliser ce pays sans le soutien du Tchad. Par ailleurs, il est vrai que Paris a un besoin crucial de ce même Tchad au Mali. Ce qui explique le silence prudent de la France sur les responsabilités d’Idriss Déby dans la crise en Centrafrique.
Yacou68. La France a-t-elle voulu surfer sur le succès relatif de son intervention au Mali pour intervenir en Centrafrique et maintenir son influence militaire et économique?
T. H. Je suis d’accord avec la première partie de votre question. La France a sans doute péché par orgueil en Centrafrique suite à ses succès militaires et politiques enregistrés au Mali. Elle a pensé qu’il suffisait d’envoyer 1600 hommes sur, je cite,«une période de quatre à six mois», pour ramener la paix civile en Centrafrique. Ce faisant, elle a gravement sous-estimé la profondeur et l’intensité des haines intercommunautaires.
Mais, je ne crois pas qu’elle soit intervenue pour sauvegarder des intérêts économiques qui n’existent pas. Certes, la Centrafrique est potentiellement riche de ses diamants, de son or et de son uranium. Mais ce ne sont pas les Français qui les exploitent, bien au contraire, Areva, qui, un temps, avait été intéressé par l’uranium centrafricain a préféré se désister, au vu du contexte sécuritaire.
En revanche, il est clair que Paris cherche à maintenir son influence dans la région et son rang sur la scène internationale. Or, la Centrafrique est nettement dans une zone où Paris peut encore influer sur le cours des événements.
Centrafriquedebout. Personne n’est dupe à l’idée que la France ne fait rien sans contrepartie…
T. H. Si vous voulez, nous ferons le point dans six mois, et nous verrons si les entreprises françaises ont décroché moult contrats en Centrafrique
Centrafriquedebout. Je suis centrafricain, j’ai été à Bangui il y a quelques mois, les musulmans centrafricains n’avaient rien contre leurs frères chrétiens. Ce sont des mercenaires tchadiens et soudanais qui violaient, tuaient, sans impunité sous Djotodia…
T. H. Revenant moi-même de Bangui, je dirais que, hélas, ce clivage entre chrétiens et musulmans est aujourd’hui une réalité. Ce qui est terrible c’est que, comme vous le dites, il est très récent. D’après ce que j’ai compris sur place, les deux communautés ont vécu en bonne intelligence depuis toujours. Ce que démontre le conflit actuel, c’est que la concorde et la paix civile sont des vertus éminement fragiles, et qu’on peut, à des fins politiques, manipuler les communautés et les dresser rapidement les unes contre les autres. J’insiste sur ce point, pour moi le conflit en Centrafrique est avant tout de nature politique. Ce qui est en jeu c’est le contrôle du pouvoir.
Salomé. Y a-t-il des risques de génocide? Que pensez-vous de la comparaison avec le Rwanda ?
T. H. Avant de me rendre sur place, je pensais que le discours distillé par les diplomates, français et américains sur un risque de génocide en Centrafrique était exagéré. Et même que Paris utilisait cette rhétorique pour mieux justifier son intervention militaire. A l’épreuve des faits, il s’avère que la Centrafrique n’en était pas loin. Les communautés étaient tellement exaspérées, ulcérées et révoltées, qu’elles en étaient quasiment à souhaiter le départ, voire plus, de l’adversaire. D’ailleurs, vous avez pu vous-même l’entendre dans des reportages, certains affirment par exemple: «On ne veut plus des musulmans, on ne peut plus vivre avec eux!» On ne peut donc imputer à l’intervention française un risque de massacre à grande échelle qui lui préexistait.
En revanche, ce qui est terrible, c’est que dans un premier temps, cette intervention s’est traduite par davantage d’affrontements et de violences sur le terrain. Car le camp anti-Séléka a cru que l’heure de la revanche avait sonné. La comparaison avec le Rwanda ne me paraît donc pas pertinente.
N. Quelle portion du territoire est sécurisée aujourd’hui? Y a-t-il toujours des combats, des exactions? Dans quelles zones? Entre quels combattants ?
T. H. Il est très difficile de savoir ce qui se passe exactement à l’intérieur d’un pays où les voies de communications sont quasiment inexistantes. En dehors de Bangui, l’armée française est déployée à Bossangoa, où les chrétiens et les musulmans cohabitent plus qu’ils ne vivent ensemble. D’après les informations parcellaires dont on dispose, certaines zones du pays n’ont pas été trop affectées par les violences intercommunautaires.
Ce qui est sûr, c’est que partout la population vit dans une grande détresse. Il n’y a plus d’administration, pas de sécurité et l’activité économique, auparavant déjà faible, est quasiment paralysée. On peut dire que le pays tout entier est dans un état de survie. Espérons que le plus dur est derrière lui et que les futures autorités de transition vont réussir à ramener le calme, avec l’aide active de la communauté internationale. Mais, pour terminer, je dirais: rien ne sera possible sans la volonté des Centrafricains eux-mêmes de vivre ensemble.